Proust : Le livre de Ghislain de Diesbach

Je ne suis pas particulièrement amateur de biographies, mais, après avoir lu «#8201;À la recherche du temps perdu#8201;», je voulais comprendre quel genre de bibitte pouvait avoir pondu un tel ouvrage#8201;; cette lecture m’a certes aidée dans ce sens. Cette longue biographie (plus de mille pages au total) est une mine de renseignements pour qui veut comprendre le personnage. À ma grande surprise, j’ai été happé par ce bouquin alors que je redoutais une lecture plutôt académique sans grand relief, sans doute comportant son lot d’énumérations ad nauseam de personnages ayant gravité auprès de Proust#8201;; quel préjugé#8201;! Car l’auteur a su doser énoncés historiques, réflexions et analyses, citations et extraits, de façon à toujours soutenir l’attention, livrant une foule d’informations sans que cela ne soit ni rébarbatif ni ennuyant. Je ne connaissais pas cet auteur dont l’écriture est délicieuse, précise et distinguée sans pédanterie, ponctuée ici et là de remarques rigolotes et parfois caustiques. En soi la plume de Diesbach vaut la peine. Quand, en plus le sujet nous intéresse grandement, cela donne une lecture aussi agréable qu’instructive. D’autant que les citations de certaines correspondances de Proust et d’extraits de la Recherche nous comblent en cours de route. J’ai grandement apprécié.

Il existe de nombreuses et excellentes biographies sur Marcel Proust, que beaucoup d’écrivains ont connu (Jacques Benoist-Méchin, Marthe Bibesco, André Maurois, Paul Morand). Ghislain de Diesbach, en publiant son « Proust » en 1991, bénéficie de deux avantages concurrentiels, d’une part l’édition du manuscrit de « Jean Santeuil » (autobiographie masquée) et de la « Correspondance de Marcel Proust » (19 tomes) établie par Philippe Kolb de 1970 à 1991, et d’autre part sa connaissance du XIX siècle qu’il a labouré au fil de ses ouvrages (Madame de Staël, Chateaubriand, La Comtesse de Ségur, L’abbé Mugnier, La Princesse Bibesco, Ferdinand de Lesseps, Ferdinand Bac, Les secrets du Gotha) et qui lui livre les clefs pour ouvrir les placards du grand Marcel. Cet ouvrage est monumental (XIII pages de préface, 23 chapitres couvrant 746 feuilles, plus un cahier photographique, les remerciements, les choix bibliographique et l’index, 800 pages en tout) et je suis parti à la recherche du temps perdu en choisissant de lire un chapitre chaque soir. Au fil des pages l’auteur décrit la généalogie familiale, le cercle dans lequel Proust a grandi, les salons où il a été introduit, les amitiés et inimitiés qu’il a nouées, les combats qu’il a mené (Dreyfus) ou observé (Guerre 14-18). La narration est détaillée (environ un chapitre par année à compter de 1902), précise, étayée par un arsenal de notes et de références qui sont comme des liens hyper textes menant à la source des citations ou anecdotes. La plume n’hésite pas à manier humour et ironie, ce qui rend la lecture aussi plaisante qu’instructive. Enfin, et surtout, Ghislain de Diesbach démontre une connaissance exhaustive et détaillée de toute la production de Proust, sa (trop) vaste correspondance, ses chroniques journalistiques, ses billets mondains, ses études sur Ruskin, ses romans et il relie la vie et l’oeuvre de Proust avec beaucoup de doigté. Cette immense biographie exige du temps et de l’attention mais il me semble que le lecteur est très largement récompensé au terme de ce portrait d’un géant de notre littérature et de ce tableau d’un monde que Proust a immortalisé.

Brillante biographie de Marcel Proust, tout simplement. Pat