Si Einstein m'était conté (nouvelle édition) : Le livre de Thibault Damour

Dix ans après l'avoir acquis et entamé, je me suis replongé dans l'ouvrage exceptionnel de Thibault Damour, Si Einstein m'était conté. Pourquoi s'intéresser aujourd'hui au récit d'un homme mort voici 70 ans et dont les principales découvertes datent de plus d'un siècle ? Le livre de Thibault Damour aurait pu s'intituler « jamais sans mon Einstein ! » tant ses inlassables réflexions sur la structure de la réalité ont débouché sur des applications technologiques et scientifiques qui parsèment les commodités de notre vie quotidienne. Ce livre n'est pas simplement une introduction à la physique moderne ; c'est une exploration fascinante de la vie et des idées d'Albert Einstein, qui a façonné la physique du XXe siècle avec ses travaux sur la relativité et les quanta. Le cadre de pensée d'Einstein était complètement différent – et même inverse- de celui de ses concurrents. En effet, il part du résultat (« principe de relativité ») que les autres essayent de déduire d'hypothèses sur la matière, et il le pose comme postulat, en tant que point de départ et outil pour en déduire des résultats généraux sur la structure de la matière. Selon ses propres mots, l'idée était de « retourner » le problème, de telle sorte qu'en admettant un principe de symétrie, comme postulat de base, on en déduise des résultats généraux, un peu à la manière du grand philosophe Spinoza qui utilisa cette méthode dans l'Éthique. Mais à la fin du XIXème siècle, la « réalité » que définissait la science du moment semblait très familière et proche des conceptions communes que tout un chacun se faisait du monde autour de nous. Ides Grecs, nous savions qu'il y avait un Espace (contenant) qui constituait la grande scène de l'Univers (contenu), où les évènements de la vie (la Matière) étaient ponctués dans la durée que chaque humain pouvait éprouver dans une durée mesurable entre le passé, le présent et le futur (le Temps) dans un vaste mouvement (la Force) qui se déploie à mesure que le Temps fait traverser la Matière dans l'Espace. Toutes ces évidences se sont écroulées avec la venue des théories d'Einstein : le passage du temps est une illusion. La réalité que définit la relativité restreinte est un bloc « espace-temps » quadridimensionnel où le « passage du temps » ne correspond à rien et que la matière créée à partir de l'énergie peut tout aussi bien se dissoudre en un rayonnement impalpable. La théorie quantique nous dit également que le bloc espace-temps-matière est en fait élastique et déformable ; tout cet ensemble spatio-temporel constituant une série de superpositions d'éléments qui co-existent dans une perpétuelle agitation de particules granulaires. Confronté à cet invraisemblable imbroglio, Einstein rêvait de parvenir à une théorie unificatrice qui aurait pu réconcilier nos « évidences journalières » avec cette « nouvelle réalité » qui se dégage de nos représentations visuelles et émotionnelles trop grossières. Bien qu'encore inabouti, ce vaste programme d'intégration des théories de la relativité et de la théorie quantique, ouvre des voies complétement nouvelles apparues avec la « théorie des cordes », initiée en 1968 par un travail de Gabriele Veneziano et développée ensuite pendant une trentaine d'années par de nombreux physiciens, consistant à dire que les briques élémentaires dont est composée la Matière et la Force sont des cordes et non pas (comme on le supposait auparavant) des particules ponctuelles, tel que l'affirmait le courant des philosophes-physiciens Leucippe et son élève Démocrite au Vème siècle avant JC pour qui la matière est discontinue et composée d'éléments insécables. Doctrine reprise par Épicure, puis à Rome par Lucrèce au Ier siècle av. J.-C. mais également invoquée en Inde par plusieurs écoles bouddhistes et hindouistes. D'une certaine façon, cette théorie des cordes répond partiellement aux voeux d'Einstein en démontrant que la déformation produite par la gravitation de l'espace-temps joue un rôle fondamental qui permet de décrire de nouvelles structures encore plus riches que celles utilisées en relativité générale. Damour nous guide à travers les réflexions d'Einstein sur des concepts fondamentaux, notamment le temps et la lumière. Lorsque ce dernier s'est intéressé à la vitesse de la lumière, il a dû renoncer à la combinaison classique des vitesses, qui repose sur un temps universel identique pour tous les observateurs. Cette renonciation a ouvert la voie à la relativité restreinte, puis générale, mais certaines caractéristiques de la lumière demeuraient inexpliquées. Cela a conduit Einstein à émettre l'hypothèse révolutionnaire que la lumière est composée de particules discrètes, appelées plus tard photons. Ce dualisme onde-particule a été une manière novatrice de réconcilier les visions de Newton et Huygens, une perspective qui aurait stupéfié ces deux grands penseurs. Les idées d'Einstein ont eu des répercussions spectaculaires, tant sur le plan théorique que pratique. Par exemple, son travail sur l'effet photoélectrique a posé les bases des lasers, qui sont omniprésents aujourd'hui dans notre vie quotidienne, des codes-barres aux fibres optiques, transformant ainsi des domaines comme l'ophtalmologie ou la télécommunication. Einstein a su relier curiosité insatiable et applications concrètes, façonnant des inventions qui nous entourent. Damour met également en lumière comment la relativité générale transforme notre compréhension du temps. Le système GPS, par exemple, utilise des signaux satellites et doit intégrer les effets relativistes pour fonctionner correctement. Si ces effets n'étaient pas pris en compte, un décalage de plusieurs mètres pourrait survenir en quelques minutes, entraînant des conséquences désastreuses. La médecine moderne, quant à elle, bénéficie aussi des découvertes d'Einstein. le PET scan, utilisé en cancérologie, et l'IRM reposent sur des principes quantiques fondamentaux expliqués avec clarté par Damour. La relation entre matière et énergie, illustrée par la célèbre équation E=mc2E=mc^2E=mc2, est essentielle dans ces technologies. Au fil de l'ouvrage, Damour réussit à rendre ces concepts accessibles tout en leur donnant une dimension presque poétique, illustrant comment l'espace-temps est une structure dynamique, influencée par la matière. C'est une invitation à reconsidérer notre rapport au temps et à l'espace, à comprendre que notre réalité est interconnectée et évolutive. Albert Einstein unanimement reconnu par ses pairs comme « le plus grand génie de la physique » (avec Newtown) ne s'est jamais tenu éloigné des implications pratiques de ses découvertes. le plus extraordinaire est qu'il était mu par une incroyable curiosité qui le faisait regarder au loin, à la recherche d'hypothèses un temps abandonnées ou nichées dans des domaines peu accessibles d'où il parvenait à faire émerger de nouvelles idées aussi intuitives qu'audacieuses par leur niveau de bouleversement avec les théories antérieures. La véritable difficulté nous explique Thibault Damour est que la physique est une sorte de métaphysique : la physique décrit la « réalité ». or nous ne savons pas ce qu'est la « réalité », nous ne la connaissons qu'à travers la description qu'en donne la physique ! » Einstein affirmait lui-même que « Seule la théorie décide de ce qui est observable ». Ainsi, Si Einstein m'était conté va au-delà de la simple vulgarisation scientifique ; c'est une réflexion profonde sur notre compréhension du temps, de l'espace et de la réalité elle-même. Damour, à travers ses analyses, nous pousse à envisager l'univers sous un nouveau jour, à explorer les profondeurs de notre compréhension, et à accepter que la science moderne, tout en étant rigoureuse, soulève encore plus de questions qu'elle ne fournit de réponses. Ce livre est une lecture incontournable pour quiconque souhaite plonger dans la pensée d'Einstein et découvrir comment ses idées continuent de résonner dans notre monde contemporain. En nous confrontant à ces idées, Damour nous pousse à réfléchir sur notre propre rapport à la science et à la réalité, tout en honorant l'héritage d'un des plus grands penseurs de l'histoire.