Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon : Le livre de Jean-Paul Dubois, Jacques Gamblin

Le grand-père du narrateur, un pêcheur danois habitué aux courants tortueux qui se créent à la pointe du Juttland entre la Baltique et la Mer du Nord, avait coutume de dire avec l'intention de "minorer les fautes de chacun" que "tous les hommes n'habitent pas le monde de la même facon" et il avait bien raison. J'en prends pour preuves quelques exemples issus de ce livre. Patrick Horton, le compagnon de geôle du narrateur, n'a pas son pareil pour confesser, au moment de sa défécation quotidienne, les raisons de la demi-culpabilité qu'il compte plaider en justice quant à la mort violente d'un notoire délateur d'une bande de motards ennemie. de toute facon, "à part deux ou trois conneries, ils n'ont pas grand chose contre lui. En leur faisant son truc, il leur offre une porte de sortie, c'est une expression qu'emploie toujours son avocat. Il lui dit, monsieur Horton, il faut toujours offrir une porte de sortie à un juge, sinon il se braque." Ou encore ce locataire de longue date de l'Excelsior -cette résidence montréalaise pour vieux riches dont le narrateur est concierge-, ce locataire donc, Kieran Read, a pour profession celle de casualities adjuster, qui offre (selon lui) "un énorme avantage". "Elle ouvre une porte sur les arrière-cours de notre monde, ces endroits où se traite le prix d'un homme, où l'on marchande sa valeur, où tout se monnaye, tout se paye..." Je pourrais aussi citer Winona, la pilote d'hydravion qui fut onze ans durant la femme (au sens d'une ancestrale coutume algonquine) de notre narrateur, qui, "dès les premières secondes, comprit que Winona Mapachee, Algonquine par son père, Irlandaise par sa mère, appartenait à la catégorie de celles qui vivent avec la conscience, à chaque seconde, de ce que la vie est beaucoup trop courte et précieuse pour accepter de ralentir dans les files d'attente des problèmes subalternes." Je rajouterais volontiers quelques exemplaires d'humanité profonde qui peuplent ce livre un peu confus mais très jouissif, si je ne devais pas aller à l'essentiel et vous dire de ne pas trop vous faire d'illusions, vous prévenir que ce roman, touffu bien que limpide, n'a pas vraiment de fil rouge ni d'intrigue et que Jean-Paul Dubois prend un plaisir fou à mener ses lecteurs en bateau. En un mot, comme en cent, je vous conseille de lire cet opus éternel si vous ne l'avez pas encore fait.

Paul est en prison. Il nous raconte son quotidien, enfermé avec un Hells Angel qui vaut un homme et demi, qui peine à bâtir des phrases, mais avec lequel il se sent en sécurité dans l'exiguïté de leur cellule. La réclusion est propice à l'introspection et Paul revient peu à peu sur son histoire et ce qui l'a conduit derrière les barreaux, lui le fils de pasteur qui a passé sa vie à rendre service, à accompagner les autres et à leur tenir la main, depuis son poste d'homme à tout faire dans une grande résidence avec pelouses et piscine. A ses côtés, trois fantômes aimés lui font paraître le temps moins long. On pourrait penser s'ennuyer auprès de Paul, ou bien ressasser la noirceur du monde, ce n'est pas le cas. Il nous emmène du Danemark à Toulouse, du fond des mines d'amiante au ciel limpide du Canada, trouvant l'amour d'une femme à défaut de celui de Dieu. A notre tour, on a envie de lui prendre la main, de refaire le monde avec lui afin que chacun puisse l'habiter à sa façon.

À l'époque où ce livre a paru en librairie, je me suis dit : "Ah tiens, le nouveau roman de Jean-Paul Dubois vient de sortir... Mouais, pourquoi pas..? Et donc, ni une ni deux, je me suis précipité, ventre à terre, vers ma librairie préférée afin de me procurer le nouvel opus de mon auteur toulousain de prédilection... (À ce moment, de ma critique, il est important, voire primordial, que vous sachiez que je tiens Jean-Paul Dubois dans la plus haute estime.) Et donc, me voilà, guilleret, avec "Tous les hommes ne vivent pas le monde de la même façon" entre les mains ... Je l'ai lu une première fois, comme tout le monde ou presque, pour le simple plaisir de la lecture. Je l'ai a-do-ré ! Mais bon, c'est pas suffisant, de nos jours, pour se forger un avis, n'est-ce pas..? Donc je l'ai relu afin d'être bien certain de mon sentiment initial. Je l'ai re-a-do-ré. Là, je me suis dit, c'est pas normal, y'a sûrement un truc qui cloche... Donc je l'ai re-relu. Et, croyez-moi ou pas, je l'ai re-re-a-do-ré. Et là, patatra, la méga catastrophe, grandeur et misère de la littérature française moderne, j'apprends que Jean-Paul Dubois vient d'obtenir le prix Goncourt... Non pas qu'il ne le méritait pas le Goncourt, bien au contraire et d'ailleurs ce n'est pas le sujet. Mais perso, les prix littéraire, désolé d'être trivial, mais je m'en bât les couilles, je m'en tape royalement. Ce sont les répercussions qui m'agacent, franchement... Et au plus haut point. Surtout les commentaires de celles et ceux qui s'autorisent à porter jugement, non pas sur la qualité intrinsèque d'un livre, mais sur son éventuelle capacité à satisfaire leur égo meurtri... Maintenant, comment faire comprendre que ce livre est une pure merveille !? Comment dire que chaque mot de ce texte est à sa juste place, chaque ponctuation est là où elle doit se trouver, que les dialogues sont d'une incroyable justesse, que ce livre vous fait déborder d'émotions, comment dire que la lecture de ce livre vous fait aller mieux, comment vous faire comprendre que vous devez absolument lire "Tous les hommes ne vivent pas le monde de la même façon" de Jean-Paul Dubois..?

Aaah lala l'écriture de Jean-Paul Dubois.... Si j'écrivais des romans c'est comme ça que je voudrais les écrire . Il est virtuose dans la façon de tourner les phrases qui peuvent basculer du côté tordant ou touchant sans qu'on ait vu venir le coup. Effet assuré. Montréal. Paul Hansen est en prison pour....réponse en fin de livre. Il partage sa cellule avec Patrick Horton, gros dur. Il se raconte sa vie, son père pasteur, sa mère, sa femme, son chien. Chez J.P Dubois, les personnages sont toujours bourrés d'humanité. Ils sont racontés avec plein d'humour fin, tout en retenue. Ce livre est une histoire de vie génialement contée....à la Jean-Paul Dubois .