Train d'enfer : Le livre de Trevor Ferguson

En 1964, le chemin de fer n’a pas encore traversé la région de Pine Point dans les Territoires du Nord-Ouest canadien mais avec la ruée vers le plomb et le zinc, c’est le seul moyen de pouvoir exploiter les mines du Grand Lac des Esclaves. Alors la Compagnie de Chemins de Fer va embaucher une équipe d’ouvriers pour un grand chantier de construction ferroviaire dans « la région la plus vaste et la plus perdue où l’homme ait jamais posé du rail ». En rejoignant l’équipe comme contrôleur, le jeune Martin Bishop, pour son premier emploi, va plonger dans un monde impitoyable où vont s’échouer ses principes, sa morale et toutes les valeurs que lui ont inculquées son père. Rien ne résistera à la violence de Fisk le contremaître, à la perversité de Prud’homme « le couque », aux manigances de Stratton le superviseur et au peu de solidarité des poseurs de rail. Sous la menace permanente d’être chassé dans la taïga avec les « craqués », dévoreurs d’ordures, Martin Bishop va se battre pour garder sa dignité et son éthique. Qu’ils soient idéalistes, diaboliques ou investis d’une mission, les personnages de Trevor Ferguson, d’une incroyable profondeur, sont les oubliés du rêve américain qui ont vu se briser toutes leurs illusions sur le mur de l’adversité. Au cœur d’une nature sauvage et dangereuse, ce roman puissant s’inscrit dans la plus pure veine de l’œuvre de McCarthy. Le bien et le mal y marchent de concert, faisant douter les hommes les plus convaincus et dans le combat contre la misère, un travail, aussi dur soit-il, vaut bien le prix d’une âme. Un chef d’œuvre.

Avec « Train d’enfer », Trevor Fergusson nous emmène aux confins de la taïga avec les ouvriers qui construisent le chemin de fer du Grand-Lac-des-Esclaves dans les Territoires du Nord-Ouest au Canada, C’est une expérience que l’auteur (canadien) a vécu comme beaucoup d’autres métiers qu’il a exercé. (Voir sa biographie) Cette main d’oeuvre, est faite de réprouvés, de voyous, de taulards, de maquereaux, est une faune violente sans foi ni loi, rongée par l’ennui et le désespoir, prête à en découdre pour un regard de travers, pour pas grand chose. Les conditions de travail sont épouvantables, déluge de pluie continuel, froid, milieu hostile que subissent ces hommes frustes, sauvages, violents, exploités par un contremaître voleur, tricheur, manipulateur, que cet isolement, au milieu de nulle part, échauffe rapidement les esprits. Un dénommé Martin, bavard incorrigible, à l’enfance douloureuse ayant eu un père particulièrement cinglé qui imposait à sa famille des rites étranges sur la voie ferrée (il s’agissait d’attendre le passage des trains, perchés sur la voie ferrée, et de sauter au dernier moment, avec les conséquences qu’on imagine où qu’on avait pas imaginé). Cet homme, bon contremaitre, vient rejoindre le groupe où sa loghorrée ,sa culture, indispose le groupe, car elle lui rappelle en permanence sa vacuité. Ces dispositions vont en faire une tête de turc toute trouvée, le déchaînement de violence n’est pas loin. Il suffira d’une étincelle dans les cantines, dans les bars minables où les putains, les magouilleurs et les jeux d’argent se disputent la paie des ouvriers, pour qu’un déchainement de violence éclate qui fera exploser le fragile équilibre du groupe. Ce qui est extraordinaire dans ce roman, c’est l’écriture de Ferguson qui nous envoute très rapidement dans ce maelström où, passé les premières lignes destinées à planter les personnages et le décor, nous sommes haletant, tendus jusqu’au bout, désirant connaître l’apocalypse de cette histoire,… ou le suspens ne nous quittera pas jusque’à la dernière ligne.