Focus
La Minute Lecture : L'Enseveli de Valérie Paturaud
Publié le 15/09/2025 , par Laurence Caracalla

Les coups de foudre amicaux peuvent se produire n’importe où, n’importe quand. Parfois même dans des circonstances dramatiques, quand la vie ne tient qu’à un fil.
En pleine Première Guerre mondiale, Abel rencontre Adrien, et ces deux-là vont être liés à jamais. Pourtant, tout les sépare.
Abel est né dans la pauvreté. Fils de paysan, son enfance a été rude. Obligé de fuir les siens pour survivre, il sera ouvrier. Mais pas n’importe lequel : sa personnalité, son bagout, sa soif de justice en feront toujours un meneur, un militant.
Cette guerre qui n’en finit plus, cette guerre d’une violence inouïe, il va la mener avec courage jusqu’à se blesser grièvement aux jambes pour sauver un inconnu d’une mort certaine. Cet inconnu, c’est Adrien, qu’il va retrouver dans un hôpital de fortune quelque temps plus tard. A-t-il bien fait de sortir ce soldat de ce trou dans lequel il était enterré ? Doit-il lui avouer que c’est grâce (à cause) de lui qu’il est en vie ?
Adrien est à présent une gueule cassée comme un grand nombre de ses camarades. Il ne peut plus parler, plus déglutir, son avenir, comme son visage, est en miettes. S’il est officier, grand bourgeois, il est d’abord médecin. Il sait, mieux que quiconque, la vie qui l’attend. Entre les deux hommes va naître une complicité, un attachement sans faille. Chacun racontant à l’autre sa vie, l’un oralement, l’autre par écrit. Dans ce dortoir où gisent de grands blessés, ils vont créer une bulle, une intimité qui les aide à tenir.
Après le succès de son précédent roman, La Cuisinière des Kennedy, Valérie Paturaud confirme, s’il en était encore besoin, son don pour mêler réel et romanesque. Elle nous entraîne dans ces années noires, évoque avec minutie la vie à la campagne du début du XXe siècle, l’atmosphère des tranchées, le dévouement des soignants, détaille les progrès de la médecine réparatrice. Et s’insurge contre l’inégalité de ce conflit, ses jeunes hommes tués ou mutilés pour une guerre qu’ils ne comprennent pas, qui ne les concerne pas.
Mais c’est d’abord la relation entre Abel et Adrien qui emporte tout : comment ne pas s’émouvoir, comment ne pas sentir son cœur se serrer devant la relation de ces deux êtres si dissemblables qui se raconteront tout, du plus intime aux souvenirs ensevelis, avouant leurs failles, sans jamais se donner le beau rôle mais avec une poignante sincérité.
Dans ce face-à-face improbable, plus de hiérarchie, plus de différences sociales. Le Major et le soldat de deuxième classe sont des alter ego, des hommes affrontant courageusement leurs douleurs, physiques bien sûr mais aussi intérieures, bien décidés à se soutenir et à se consoler.
Abel et Adrien ont, chacun à leur façon, souffert dès le plus jeune âge et cette souffrance en a fait des êtres à part. Ils se sont en quelque sorte reconnus. Ils ne savent pas encore à quel point. Ces deux enfants grandis trop vite ont soudain tant en commun : des regrets, du chagrin, une certaine idée de la dignité et de la fidélité. Et, plus que tout, le goût de la fraternité.