Depuis peu, jugeant de la première prudence de ne pas étaler le secret de ses frasques, le roi avait confié à Lebel le soin de trouver dans les parages du château un lieu discret pour ses passades.
Lebel découvrit une maison modeste de dimensions et d'apparence, rue Saint-Médéric, à proximité de la caserne des Gardes françaises, dans le quartier du Parc aux cerfs. Il loua à son nom cette ancienne réserve de chasse où l'on trouvait plus de lapins que de cervidés. Le lieu convint parfaitement au roi. Il pourrait prendre prétexte d'une visite à ses gardes pour pénétrer dans cette demeure et s'y livrer à ses plaisirs.
On baigna Louise, la bichonna, la parfuma, la vêtit comme une demoiselle de la cour. Il fallut lui apprendre à faire correctement la révérence, à sourire, rire, danser et adopter un vocabulaire propre à sa nouvelle condition. En attendant de la loger au Parc aux cerfs, le roi fit aménager pour elle l'ancien appartement de Mme de Mailly. Il ne lui permit pas de paraître aux fêtes, mais elle fut autorisée à se promener à sa guise, et seulement dans Versailles. Si Louise O'Murphy ne pouvait prétendre au titre de favorite, sa situation y ressemblait fort. La coterie du dauphin s'en réjouissait, d'autant que l'on observait, plus sensible de jour en jour, un déclin des sentiments du roi pour la marquise. Plus il se sentait brûler pour sa nouvelle conquête, plus la marquise sentait la cendre.
? Le roi, me dit François Brancas, semble très épris de celle qu'on appelle la Morphise, mais ce sera un feu de paille, comme pour les précédentes. Cette gamine n'a rien pour le retenir plus d'une semaine ou deux.
La favorite est persuadée que cette caillette ne prendra jamais sa place. Elle dut déchanter lorsque le bruit courut que la nouvelle sultane était enceinte. Cet événement inattendu laissa craindre que le roi fît de cette gamine sa maîtresse déclarée, en attendant mieux…
Le jour où il lui annonça qu'il allait la quitter pour passer quelques jours à Chaillot, elle en conçut un tel chagrin qu'il renonça à ce séjour. On ne se priva pas de murmurer que les jours de la Pompadour étaient comptés. La « petite Murphy », comme on l'appelait, jouait de malchance : une fausse couche la priva de l'enfant qu'elle attendait du roi. Moins d'un an plus tard, elle était de nouveau enceinte et le roi exultait. Il la couvrit de présents, fit tapisser les parquets pour amortir ses chutes éventuelles, lui fit aménager un appartement à Fontainebleau… Ce n'est qu'aux derniers mois de sa grossesse qu'il décida de l'installer au Parc aux cerfs, avec une gouvernante, une femme de chambre et des valets. Au mois de juin, elle accoucha d'une fille à laquelle on donna son prénom. On la lui retira aussitôt née pour la mettre en nourrice, en vertu des coutumes de la cour. À l'âge d'être enseignée et éduquée, on la confia au couvent des Filles de la Présentation, rue des Postes, à Paris.
Louise O'Murphy, un caprice du roi ? C'est l'expression que j'ai découverte dans la copie d'un courrier de l'ambassadeur d'Angleterre, lord Albemarle, que j'ai conservé dans mes archives. L'ambassadeur voyait juste. La flambée de passion que le roi avait conçue pour sa jeune maîtresse s'était éteinte comme un feu de paille, à la suite d'un incident. Elle avait dit un jour au roi :
« Je vous aime plus que jamais, sire, mais, quoi qu'il puisse vous en coûter, renvoyez votre vieille marquise ! »
Pris de colère, le roi s'écria :
? Quelle insolence, et quelle prétention ! Cela ne vient pas de vous, j'en jurerais. Qui vous a inspiré ces propos ?
L'innocente se jeta aux genoux du roi et lui révéla le nom de la coupable : la duchesse de Valentinois qui, en lui conseillant cette réplique, souhaitait simplement la maintenir dans l'affection du roi. La maladresse de la duchesse signa son exil de la cour. Quant à la pauvre Louise, elle fut mise en quarantaine et subit à son tour la disgrâce royale. Elle quitta Versailles avec, pour ultime faveur, un titre ronflant : Louise Murphy de Boisfailly. Elle devait épouser quelques années plus tard un nobliau auvergnat, avec une dot et une pension confortables. Quant à sa bâtarde, le père refusa de la reconnaître : il n'avait pas la générosité de cœur de son aïeul, le Grand Roi…