Dans la vallée : Le livre de Hannah Kent
Le temps semble s'être arrêté dans ce village du sud de l'Irlande égaré dans la vallée et battu par la famine. Nóra Leahy a perdu son mari et sa fille et se retrouve seule avec son petit-fils de quatre ans, infirme. Pourtant, Nóra s'en souvient : quelques années plus tôt, Micheál marchait et commençait déjà à parler. Que lui est-il arrivé ? A-t-il été changé, remplacé pendant la nuit par les fées qui auraient posé un démon dans le berceau ? Est-ce à lui que la vallée doit la malédiction qui la frappe ? Mary, la jeune servante que Nóra vient d'engager, se laisse impressionner par les commérages du village et les rapporte à sa maîtresse. Ensemble, les deux femmes se mettent
en quête de la seule personne en mesure de sauver Micheál : une originale, qui vit seule dans la lande et parle le langage des plantes. Car, même si tout le monde s'en méfie, on sait que la vieille Nance Roche a le don. Qu'elle communique avec le peuple invisible. Et qu'il n'y a qu'elle pour faire revenir ceux qui ont été enlevés...
De (auteur) : Hannah Kent
Traduit par : Karine Guerre
Expérience de lecture
Avis Babelio
Chatquilit
• Il y a 4 ans
Sorti en 2016 et découvert en train de prendre la poussière dans la bibliothèque de ma grand-mère, ce livre m'a interpellé, car il parlait d'un thème qui me passionne : les croyances folkloriques relatives aux êtres surnaturels. Ici, il s'agit des faës (fairies en anglais, laissé tel quel par le traducteur) dans l'Irlande pauvre et rurale du 19° siècle. Plus particulièrement, des superstitions et pratiques autour du changelin (ou « changeon » en vieux français), cet enfant malingre et impossible à nourrir que la croyance populaire Nord européen disait être un rejeton de « l'autre peuple », laissé à la place d'un bébé volé. Jusqu'à la BD (Courtney Crumrin et les Choses de la Nuit de Ted Naifeh), de nombreux récits ont évoqué ce thème, de manière parfois tendre, effrayante ou humoristique, mais toujours tragique. En littérature, Des hommes et des trolls, de Selma Lagerlöf pour la Suède et Jamais avant le coucher du soleil de Johanna Sinisalo sont ceux qui m'ont le plus marqué – j'en reparlerai peut-être plus tard. Cette croyance au « changelin » et les pratiques qui y étaient associées sont bien documentées dans les sources historiques également (voir le classique de l'ethnohistoire de Jean-Claude Schmitt, le Saint Lévrier : Guinefort, guérisseur d'enfants depuis le XIII° siècle). Elle a permis de justifier l'abandon et même le meurtre d'enfants malades, handicapés ou simplement différents pendant des siècles, et ce jusqu'à une époque récente (le dernier cas recensé, jugé en Irlande, a eu lieu en 1895). L'auteur base justement son histoire sur un fait divers de 1826, documenté par les archives, dont je ne peux rien dire au risque de révéler la chute. Interdiction, donc, de vous renseigner avant si vous voulez conserver le suspense ! Même si l'incertitude quant au sort du petit Micheál nous pousse à tourner les pages avec avidité, l'attente du dénouement n'est pas tellement le moteur principal du livre. La fascination un peu glaçante qu'on éprouve en voyant les éléments se mettre en place de manière diabolique repose surtout sur la justesse de ses personnages. On suit avec un intérêt grandissant le parcours de ces trois femmes très différentes, que le destin du petit Micheal a amené à se rencontrer : la veuve Leahy, obstinée jusqu'à la mort, la maladroite, mais généreuse Mary et surtout la vieille Nance, la cailleach qui, indifférente aux crachats et aux persécutions soigne les miséreux, donne et, parfois, reprend la vie. Des femmes humaines, pleines de failles et de forces, déterminées à survivre, quoi qu'il en coûte. Ensemble, elles chemineront dans la tempête jusqu'au dénouement final, où leurs chemins se sépareront à nouveau. Autant vous avertir : cette histoire est dure comme l'hiver irlandais. Dès les premières pages, on se trouve plongé dans le rude quotidien de ces gens qui n'ont aucun autre avenir que de sarcler des champs arides, se vendre à la ville ou mendier sur le bord des fossés ; qui, malades, doivent choisir entre un curé dogmatique complètement hors-sol et une rebouteuse prête à tout pour alléger leur fardeau (jusqu'aux solutions les plus radicales). le paysage est aussi radieux qu'un roman de Claude Seignolle. Entre messes et accusations de sorcellerie, les accidents de la vie se succèdent : mort subite en pleins travaux des champs, ébouillantage à l'huile, fausse-couche, mortalité infantile... le ciel est gris et pluvieux, la boue encrasse les pieds de ces pauvres hères sans chaussures, la pauvreté rend méchant, alcoolique et cancanier, la faim pousse à voler les patates du voisin. Les femmes battues par leur mari se vengent sur les autres et tout le monde cherche un coupable à sa misère : le voisin à l'enfant anormal, la vieille qui a choisi de vivre sans homme, les « bons voisins »… « Pas assez bons pour le paradis, mais pas assez mauvais pour l'enfer », ceux-là sont la source de tous les malheurs du monde. On les redoute et on cherche à se les concilier. Leur présence est comme une menace sourde, omniprésente ; pourtant, comme ce Dieu qu'on prie en vain, ils restent invisibles. le petit Micheál, ce petit devenu difforme, est-il humain ou fae ? S'agit-il d'un enfant malade à force de malnutrition, handicapé de naissance, ou un changelin sournois qu'il convient de renvoyer chez lui ? L'auteur ne nous donne ni solution ni interprétation. Juste l'éventail des vérités, différentes pour tous : le curé, le médecin, la rebouteuse, les voisins, la fille de ferme, et, finalement, la grand-mère, qui attendra jusqu'au bout la retour de son « vrai » petit-fils… Personne n'est montré du doigt non plus ; aucun coupable ne sera désigné à la fin de cette tragédie celte. On ressort de là bouleversé, et émerveillé par la complexité de la vie et la résilience humaine, si bien rendues par Hannah Kent.
MonsieurLoup
• Il y a 4 ans
Lire Dans la Vallée, c'est marcher pieds nus dans l'herbe grasse, la boue qui s'insinue entre les orteils. C'est subir les assauts réguliers des trombes de pluie. C'est le vent froid qui balaie la vallée. C'est la campagne irlandaise désolée, aux masures au sol de terre battue, éparpillées sur les coteaux. C'est la brume matinale qui les cache à la vue et nous laisse esseulé·e avec le petit être qui hurle entre nos murs. Ce sont les vaches qui ne donnent plus de lait, le beurre qui ne monte plus quand on le baratte. Ce sont les médisances murmurées autour du puits, les discussions qui s'arrêtent quand on approche pour tirer de l'eau, les regards inquisiteurs. C'est le feu qui crépite dans la cheminée, le tison qu'on enfonce dans sa poche, en protection. Ce sont les pipes qu'on bourre et les discussions à la chaleur des flammes. C'est la magie de la nature, le pouvoir des plantes, connues de quelques seules. C'est voir ce qui est caché. C'est ramper nu·e à reculons sous un bosquet d'aubépines, y murmurer une langue inconnue et jeter des piseógs, des mauvais sorts. C'est chevaucher avec les Bonnes Gens, être emporté·e par les Fairies, et ne pas revenir. Ou alors changé·e. Lire Dans la Vallée, c'est lire trois femmes. Une veuve à qui l'on confie un petit-fils qu'elle ne reconnaît plus et dont elle ne sait pas quoi faire. Une jeune fille qui loue ses services et se retrouve à veiller sur un être bien étrange. Une vieille femme qui a le don, qui sait soigner les maux ordinaires comme ceux imputables aux Fairies. C'est un village pauvre où la main et la parole compatissantes ne sont jamais bien loin de la langue acérée et du poing fermé. C'est le nouveau curé qui tente de balayer les superstitions qui y ont cours pour n'y laisser que le Christ. C'est le petit Micheál, qu'on tient caché. Lui, ses jambes malingres, ses pleurs incessants et son appétit vorace, qui n'ont rien d'humain. Lire Dans la Vallée, c'est lire l'habile mélange entre fiction et faits historiques, entre réalité et superstitions, un récit qui nous happe et ne nous lâche plus, où le fantastique du folklore, palpable, darde le bout de sa langue pour chatouiller nos oreilles et mordre nos doigts.
Sandra_C
• Il y a 5 ans
J'ai été totalement absorbée par ma lecture au fin fond de l'Irlande et en plein coeur de la superstition et de son Folklore. Dès le deuxième chapitre, l'auteur lance le tempo avec cette atmosphère mystérieuse et hostile qui devient de plus en plus lourdes jusqu'àl'apothéose. J'en suis même venue à douter de la problématique que l'auteur voulait soulever. Jusqu'au bout j'ai fait fausse route. J'en suis venue à détester pratiquement tous les personnages sauf Nance que j'ai trouvé très touchante et forte. Et c'est la force de ce roman, cette description des lieux, des personnages forts, la magie qui réside dans cette vallée où clairement je n'aurais pas aimé vivre. Ca fait froid dans le dos de savoir que c'est basé sur des faits qui se sont passées et qui se passe peut-être encore quelque part dans le monde. Une lecture passionnante que je ne peux que recommander. Les 535 pages sont passés en un éclair.
fran6h
• Il y a 5 ans
Hannah Kent est une grande écrivaine. Après le très bon "A la grâce des hommes", elle récidive et la première impression se confirme. Il encore question de femmes, dans cette Irlande rurale du début du XIXème siècle. Mais quelles femmes ! Le roman tourne autour de trois personnages et des croyances ancestrales qui cimentent encore cette petite société qui vit de peu, à la lisière de l'indigence et du malheur. Et du malheur, Nora Leahy va en connaître. Après avoir perdu sa fille, son mari décède, et elle se retrouve seule avec son petit-fils de quatre ans, un enfant qui n'a pas l'usage des jambes et qui ne parle pas, qui braille toutes les nuits et se souille à longueur de journée. Or, lorsqu'elle l'avait vu, deux ans auparavant, il croissait normalement. Et c'est là qu'entre en jeu les esprits, les "bonnes gens", ceux qui ont échangé son petit-fils contre cette créature. Aidée de Mary, pour les tâches quotidiennes et la tenue de la ferme, et de Nance, la guérisseuse qui possède la don, elle tentera de récupérer son petit-fils. L'ambiance de cette terre dure, cette vallée un peu isolée, qui a forgé les caractères est soigneusement restituée. Le conflit ouvert entre les anciennes croyances populaires et la religion catholique porteuse d'émancipation est permanent. Ce conflit va irriguer toute la société, les relations entre ses membres et les prétextes qui permettent de faire porter la faute de ses malheurs sur l'autre. Avec ce roman, on oscille sans cesse d'un monde à l'autre. Parfaitement maîtrisé, le récit est captivant porté par des personnages dont on atteint l'âme profonde. Et malgré la cruauté générale de l'environnement, de l'époque et de sa structure (notamment la place des femmes de ce monde là) on aime ces femmes au destin tragique.
Avis des membres
Fiche technique du livre
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- Genres
- Romans , Roman Étranger
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- EAN
- 9782258152328
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- Collection ou Série
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- Format
- Livre numérique
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- DRM
- Adobe DRM
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