Ion et autres textes : Le livre de Platon

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Le choix des textes commentés du Ion de Platon, de l'essentiel du livre X de la République et du passage central du Phèdre, publiés ici dans une traduction inédite, vise à clarifier les présupposés et les enjeux de ce que Socrate appelle, dans la République, l'immémorial différend de la poésie et de la philosophie.

Ces textes capitaux éclairent la manière dont le philosophe a remis en cause le sens du divin et la prééminence de la poésie dans la cité.

Via le néoplatonisme de la Renaissance, et le commentaire que Marsile Ficin a donné de Ion, ce modèle a cependant ouvert à l'esthétique occidentale des voies décisives.

La relecture ici proposée vise à montrer la complexité du texte platonicien pour repenser le rapport que la philosophie entretient avec la poésie et avec l'œuvre d'art.



INÉDIT

De (auteur) : Platon
Traduit par : Jean Lauxerois

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Expérience de lecture

Avis Babelio

clementnosferalis

4.50 sur 5 étoiles

• Il y a 6 mois

Ion est un dialogue simple. Deux personnages sont présents : Socrate et le rhapsode Ion. La question est de savoir quelle est la nature du travail du rhapsode et de celui du poète. Une seule réponse est apportée (contrairement au Théétète, dans lequel on trouve trois réponses successives, dont aucune n’apporte satisfaction à la fin) et se trouve développée : c’est une inspiration divine. Le dialogue n’étant pas aporétique comme le Théétète, à la fin les deux personnages sont d’accord, après qu’une alternative soit écartée : le travail du poète et du rhapsode serait une science qui lui permettrait d’être supérieur à des prétendants à la science dans leur domaine (général, médecin, pilote par exemple). Le rapport de Platon (et de Socrate comme personnage) aux poètes est complexe. Le fait que, dans le Phédon, Socrate vient d’écrire un poème, laisse imaginer que la condamnation unilatérale de la poésie qu’on lui prête est peut-être excessive. Ion permet d’apporter de l’eau au moulin des commentateurs : il n’y a pas dans ce dialogue de condamnation des poètes et des rhapsodes. Je ne crois pas qu’on peut y voir une condamnation implicite, car « l’inspiration divine » est une grande chose, avec les Grecs ne plaisantaient pas, dont on ne peut dire qu’elle est une simple formule pour exprimer l’inanité des poètes. On peut choisir de dire qu’Ion est un dialogue attribué au jeune Platon, et que sa condamnation unilatérale arrivant dans un texte prétendument postérieur (La République), c’est uniquement cette condamnation finale qu’il faudrait retenir. On rétorquera qu’il faut alors au moins voir une relativisation, et aussi se reporter à l’éloge des poètes qu’on trouve dans le Phèdre. Pourtant, il ne faudrait pas tomber dans le travers inverse et diminuer la violence de la condamnation des poètes dans La République. C’est que Platon ne condamne pas toute la poésie : il condamne le trompe-l’œil, l’illusion que crée l’art en nous faisant croire qu’il est la « vraie vie » ou que ses créations ont autant de réalité que la réalité. On le voit bien dans le passage où Socrate ironise Ion ressentant et faisant ressentir aux spectateurs des émotions par ses discours fictionnels. Mais Platon garde les hymnes et les louanges aux héros ; dans La République, la poésie a même une place très importante dans l’éducation. L’art ne vaut pour Platon que s’il est là pour louer la réalité et pour faire signe vers elle ; le reste est simulacre inutile, la technique n’y change rien. La question fondamentale de Platon est celle du langage. Dans une démocratie, l’avancement social, la position et l’action politiques se font par les discours. Toute l’œuvre de Platon interroge ceux qui se croient en possession du discours. C’est ce que Gilles Deleuze appelle « le bal des prétendants » : chacun prétend détenir la vérité, la justice et la beauté, mais le personnage Socrate va dénoncer sans cesse ceux qui usurpent leur position d’autorité, avec ce qui est pour lui le discours vrai, juste et bon : la maïeutique philosophique. On ne peut comprendre la condamnation des poètes si on ne connait pas la position des poètes dans la Grèce antique : ils jouissent d’une position sociale importante, sont considérés comme les éducateurs de la Cité, et on lit Homère comme on lit un oracle, comme la plus grande vérité. Ce qu’attaque Platon, c’est la prétention des poètes à détenir la vérité. Car, à son époque, on lit encore Hésiode, Homère ou Archiloque comme la vérité ; les écrits religieux et certains traités philosophiques se font sous forme poétique. Platon remet les poètes à leur place : ils doivent louer la vie, les Hommes et les dieux, pas se prendre pour des prophètes et des savants. Les passages que cite Socrate sont des passages où Homère énonce des vérités générales sur la navigation ou l’armée, alors qu’il n’en est pas spécialiste, et raconte ainsi sur ces sujets des choses fausses. Les hymnes d’Homère sont acceptables, pas ses prétentions à la vérité. La grande avancée de Platon, c’est de déplacer la vérité hors de la mystique. On ne peut plus simplement dire : j’ai écrit des vers sibyllins, mais c’est là que réside la plus grande vérité. La vérité selon Platon doit s’énoncer de manière simple et intelligible. Les romantiques s’attaqueront à cette idée en voulant montrer que la science n’est qu’à la surface des choses alors que la poésie en atteint la profondeur ; ce sera aussi, dans un autre ordre, la position de Bergson laissant une grande place à la mystique pour entrer dans ce que la science et le langage ne peuvent que réduire. Mais une vérité qui ne passe pas par le langage peut-elle être appelée une vérité, alors qu’elle n’est pas communicable et donc n’est propre qu’à l’individu ? Pour la question de la vérité, on entre alors dans une autre histoire, qui passe notamment par Nietzsche. Disons simplement, pour conclure, que la pensée de Platon est évidemment bien plus complexe que les poncifs qui traînent à son sujet ; la lecture approfondie des textes mêmes est nécessaire avant d’en parler. Mais surtout, Platon me semble l’un des auteurs les plus fondamentaux pour comprendre notre époque, ne serait-ce que parce que nous sommes en démocratie, face au problème du langage utilisé à toutes fins (notamment financières) ; pensons simplement à cette discipline qui l’aurait tant fait écrire : la « communication ». Bien plus que tel ou tel penseur d’aujourd’hui, Platon est notre contemporain. Avancer dans son œuvre, c’est percer les détours que prend le langage pour nous tromper, c’est saisir toujours plus les moyens d’échapper aux illusions qu’on nous propose, qu’elles soient dans nos grands livres ou sur internet. Il y a bien urgence à lire et relire Platon.

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P0liss0n

4.00 sur 5 étoiles

• Il y a 11 mois

Dans ce dialogue, Socrate veut prouver à Ion, rhapsode de son état, que ses talents ne sont ni le fruit d'un quelconque art ni d'une quelconque science. Il fait d'abord remarquer que l'art ou la science offre à son détenteur le pouvoir de juger le bon et le mauvais sur tous les objets de cet art ou de cette science. Or, le génie du rhapsode ne s'applique jamais sur la poésie en général, mais toujours sur des poètes particuliers (Homère dans le cas d'Ion). Mais alors, demande Ion, à quoi est dû le talent du rhapsode, si ce n'est à l'art ou à la science ? Socrate répond par une métaphore sur une pierre magnétique capable de faire tenir entre eux des anneaux de métal. Par cette image, Socrate exprime que la poésie est d'origine divine, que la Muse (la pierre magnétique) s'empare du poète (le premier anneau) qui, par l'intermédiaire de rhapsodes eux aussi transcendés (les anneaux intermédiaires), la transmet au public (dernier anneau). D'ailleurs, quand ils récitent leurs textes, les rhapsodes ne sont-ils pas réellement emportés par les émotions fictives du poème, tout comme le spectateur, preuve de l'irrationalité de leur activité ? Bien que flatté par l'idée d'être possédé par un être de nature divine, Ion reste convaincu qu'il y a de la science dans son activité. Quand Socrate lui demande sur quels objets de la poésie d'Homère sa prétendue science s'applique-t-elle, Ion répond "tous". Mais le philosophe lui fait observer que quand Homère parle de l'art des cochers dans ses poèmes, c'est au cocher et non au rhapsode d'y pouvoir juger. De même pour les médecins, les devins, les bouviers, et tout ce dont parle Homère, car tout est soumis à une science. Dans ses derniers retranchements, Ion déclare que la science du rhapsode est maîtresse dans l'art de commander aux hommes, car l'éloquence du rhapsode fait forcément de lui un bon général. Socrate désamorce ce dernier argument par une simple boutade, commandant à Ion, si bon rhapsode, d'aller de ce pas diriger les armées d'Athènes pour le bien de la Cité. L'Ion éclaire les idées de Platon sur l'art poétique, dont il est si critique. Que sa métaphore de la chaîne d'anneaux soit l'expression de sa pensée propre ou un simple procédé dramatique permettant à Socrate de ménager son interlocuteur n'est pas très important. Dans les deux cas, Platon montre que la poésie est essentiellement irrationnelle. Si Homère peut se montrer convaincant dans sa description des divers arts comme celui du cocher, il y est arrivé par possession, ou par transe, et non par la science. Sans méthode, impossible d'approcher la Vérité, d'autant plus que l'œuvre des poètes, eux-mêmes interprètes de la Muse, est ensuite interprétée par les rhapsodes, et donc bien peu fiable. Pour le lecteur moderne, cette critique de la poésie peut paraître stupide et obsessionnelle. Ce serait oublier que dans la Grèce Antique, les poètes (et surtout Homère) jouaient un rôle considérable dans l'éducation des jeunes gens. Ainsi, pour le lecteur moderne, cette critique de la connaissance par le mythe (interprétation d'interprètes !) au profit d'une connaissance par la science devrait plutôt apparaître comme révolutionnaire et, aujourd'hui encore, de première importance. De plus, ce questionnement sur la source du savoir, et donc sur la validité d'une expertise prétendue, n'a pas perdu de son actualité ; il n'y a qu'à scruter les plateaux télévisés pour s'en convaincre.

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Philonous

4.00 sur 5 étoiles

• Il y a 1 an

En lisant ce très court ouvrage, je me suis dit qu'il ferait un excellent texte à traduire pour les étudiants de lettres classiques ou de philosophie apprenant le grec ancien. Il possède toutes les qualités de clarté nécessaires, et met merveilleusement à jour la méthode socratique.

Denis_76

4.00 sur 5 étoiles

• Il y a 5 ans

Ion est un rhapsode (poète, ou plus exactement déclamateur de poésie ) ; il dialogue avec Socrate, et lui dit qu’il n’y a qu’Homère qu’il peut bien interpréter. Pour Hésiode, par exemple, il n’y arrive pas. Socrate lui explique que certains poètes sont inspirés par les Muses, filles de Zeus : c’est une faveur divine. Homère est favorisé des dieux ! C’est normal, car dans « Apologie de Socrate », en buvant la ciguë, il se réjouit d’aller visiter Homère là-haut… « Comme les prêtres Corybantes qui rentrent en transe en dansant, ainsi font les poètes lyriques : c’est quand ils n’ont plus leur raison qu’ils se mettent à composer ces beaux poèmes lyriques. » Cependant, après avoir abondé dans le sens d’Ion, Socrate le teste : Il lui sert une maïeutique à sa sauce, avec un système « algorithmique », des questions fermées avec deux réponses possibles ; il le pousse dans ses retranchements. . J’aime les dialogues de Socrate mis en scène par Platon, car il tourne autour du pot, autour du problème de son interlocuteur ; en général, l’autre est orgueilleux, et avec sa maïeutique, Socrate arrive à le faire avouer qu’il est impossible qu’il soit supérieur en tout à tout le monde : ici, est-il supérieur au cocher concernant la conduite d’une voiture ? d’un pêcheur concernant l’attitude des poissons, etc.. ; cependant, exaspéré, l’orgueil de Ion se dévoile : il se déclare l’égal des meilleurs stratèges ! Alors Socrate lui pose la question qui tue : Mais pourquoi donc la démocratie grecque, qui a tant besoin de stratèges, n’a-t-elle pas fait appel à toi ? Coincé, Ion s’en tire par une pirouette … Et Socrate dit qu’il agit comme Protée qui change de forme quand il a un problème ( d’où, sans doute, le terme « protéiforme #128522; ) N’y a-t-il pas plein de personnes qui s’en tirent par des pirouettes ?

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Fiche technique du livre

  • Genres
  • EAN
    9782266154307
  • Collection ou Série
    Agora
  • Format
    Poche
  • Nombre de pages
    224
  • Dimensions
    178 x 109 mm

L'auteur

Nous sommes ravis de vous accueillir dans notre univers où les mots s'animent et où les histoires prennent vie. Que vous soyez à la recherche d'un roman poignant, d'une intrigue palpitante ou d'un voyage littéraire inoubliable, vous trouverez ici une vaste sélection de livres qui combleront toutes vos envies de lecture.

8,70 € Poche 224 pages