Joseph Kerkhoven : Le livre de Jakob Wassermann

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Archipoche

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Le docteur Kerkhoven, spécialiste des " troubles de l'âme ", poursuit ses travaux sur la folie. Il suggère à l'écrivain Alexander Herzog, dépressif, d'écrire l'histoire de sa liaison passionnelle avec Ganna. Ultime volet de sa trilogie L'affaire Maurizius, le dernier roman de Wassermann, paru en 1934 peu après sa mort en exil.

Le roman d'une quête spirituelle

Ébranlé par une déception amoureuse, en quête d'une nouvelle vie, le docteur Kerkhoven, psychiatre spécialiste des " troubles de l'âme ", poursuit ses travaux sur les symptômes de la folie. C'est ainsi qu'il rencontre l'écrivain Alexander Herzog, à qui il propose d'écrire son histoire d'amour avec Ganna pour surmonter une profonde dépression. Roman dans le roman, le lecteur est convié à suivre l'histoire de Herzog, en plein " délire humain "... Grâce à de longues conversations, les troubles de Herzog finiront par se dissiper. Une thérapie qui ouvre sur les questions de caractère spirituel qui ont toujours agité Kerkhoven, athée tourmenté.
C'est en Sicile, où il passe le printemps de 1932, que Jakob Wassermann commence Joseph Kerkhoven, suite d'Etzel Andergast et œuvre testamentaire, largement inspirée de ses propres déboires (son divorce d'avec Julia, soupçonnée de folie). Roman d'un homme traqué, il paraîtra en 1934 en Hollande, et non en Allemagne, peu après la mort de l'auteur exilé en Autriche. Troisième et dernier volet d'une trilogie commencée avec L'Affaire Maurizius (1928), il présente un tableau panoramique de la société allemande, dans une volonté délibérée de rassembler dans un livre tous les problèmes et toutes les questions de son époque.

Déjà parus chez Archipoche : L'Affaire Maurizius et Etzel Andergast

" Ce roman, qui exprime toute l'amertume et tout le bonheur d'une existence humaine, est l'achèvement d'une vie littéraire. " (Joseph Roth)

" Un livre qui dépasse le cadre d'un roman et possède l'authenticité d'une confession. "
(Alfred Döblin)

De (auteur) : Jakob Wassermann
Préface de : Jean-François Beerblock
Traduit par : Paul Genty

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Avis Babelio

Creisifiction

4.00 sur 5 étoiles

• Il y a 6 mois

Digne représentant du mouvement de renouveau de la littérature de langue allemande au XXe siècle, à côté de Mann, Rilke, Zweig ou Roth - pour ne citer que ces derniers – l'oeuvre de Jakob Wassermann semblerait pourtant devenue de nos jours nettement plus confidentielle que celle de ses célèbres contemporains. (Ce billet sur « Joseph Kerkhoven » est d'ailleurs le tout premier à être posté sur le site.) Mann, Rilke, Zweig et Roth étaient également, à côté d'un large public de lecteurs du premier tiers du XXe siècle, de fervents admirateurs de Wassermann, de la clarté et précision de son style, de la finesse d'observation psychologique, ainsi que de la quête de sens et de finalité morale traversant l'oeuvre de celui qui se considérerait lui-même comme un écrivain «plus Allemand que Juif», surnommé d'autre part par la critique, ses amis et confrères «le Balzac allemand», de par son sens acharné du travail, la diversité des situations et personnages ou encore la critique sous-jacente et sans parti pris de la société de son temps. Troisième volet d'un triptyque romanesque aux panneaux cependant amovibles ( «L'Affaire Maurizius» ; 1928 , «Etzel Andergast», 1931 ; «Joseph Kerkhoven» enfin, publié à titre posthume en 1934, par lequel j'entamerais donc la lecture de la trilogie), le tout dernier opus (publié à titre posthume) de Wassermann peut être envisagé à la fois comme la transposition littéraire du testament d'un écrivain face à un sentiment d'échec personnel et au pessimisme qui finiraient par s'emparer de lui, et en même temps comme l'expression d'un besoin impérieux de révélation et de salut, sorte d'aspiration épiphanique face au chaos croissant du siècle en cours et à la proximité de la mort. Harcelé moralement par celle qui avait été le grand amour de sa vie, ruiné par un divorce rocambolesque et interminable, discrédité auprès de son public et de ses éditeurs suite à un livre de mémoires concocté par son ex-femme dans le plus pur style «hard revenge», doublement blessé face à la montée inexorable du nazisme, en tant que Juif et en tant qu'Allemand fier de son sentiment d'appartenance à la nation allemande, malade et voyant sa fin s'approcher, c'est par un effort extrême que les personnages et doubles de Wassermann chercheront à offrir à leur créateur une possibilité ultime de rédemption. Pour ce qui est de l'ambition littéraire du roman, elle sera à l'image de celle du personnage qui lui donne titre, Joseph Kerkhoven. Médecin cherchant à pénétrer dans les arcanes de la folie, la trajectoire de Kerkhoven devrait le conduire, à partir d'une sévère crise personnelle et conjugale sur laquelle s'ouvre le récit, à une remise en question en profondeur de ses valeurs. De retour d'une période d'exil volontaire à l'étranger, il cherche une manière nouvelle d'aborder les soins psychiques qu'il prodigue, à travers notamment un engagement personnel, empathique et bienveillant auprès de ses patients, dans une approche ouverte aux dimensions existentielle et holistique de leurs troubles mentaux et de leurs souffrances morales. Le personnage de Kerkhoven semble s'inscrire naturellement dans la lignée de ces grands praticiens de la fin du XIXe siècle. Le lecteur pensera volontiers aux précurseurs de la psychanalyse, Freud bien sûr, pourtant jamais cité, mais aussi à certains de ses plus illustres disciples du premier cercle, ou encore à cet autre célèbre contemporain de Wassermann, le psychiatre et philosophe Karl Jaspers. Médecins de formation classique et, en même temps, pionniers d'une discipline dégagée définitivement des notions de «dégénérescence» chères au XIXe siècle, pour lesquels, d'autre part, organicisme et psychogénéticisme ne font pas encore l'objet d'un clivage aussi radical que celui qui conduirait bientôt la psychiatrie à une scission entre une branche «biomédicale» et une psychiatrie «psychologique», cette dernière s'essayant librement à une «talking cure» dont les critères de crédibilité, de validité et de transférabilité seraient par la suite (et ce jusqu'à nos jours) régulièrement remis en question. Médecin du corps physiologique autant que de ce qui, «méta»-physique et immatériel par essence, animerait pourtant ce dernier, l'engloberait, voire quelquefois l'outrepasserait, Kerkhoven se donne pour mission rien moins que de pouvoir réunir en un ambitieux dispositif, à la fois clinique et théorique, corps et esprit, existence matérielle et besoin de transcendance, cherchant à édifier, comme l'avait souhaité un moment Freud lui-même, un pont entre «biologie et psychologie» (… et, pourquoi pas, en l'occurrence, entre «religiosité» aussi). Adoptant une vision qui n'exclurait pas des facteurs considérés comme plus ou moins obscurs, ou en tout cas hors-champ par une médecine scientifique et positiviste («il faut méditer jusqu'à ce que le miracle ne paraisse plus un miracle, mais une manifestation soumise aux lois de la nature»), ou essayant d'associer harmonieusement une démarche médicale empirique à une approche spéculative, anthropologique et philosophique, l'ambition hors pair de Kerkhoven m'aura personnellement évoqué celle du grand médecin et psychanalyste suisse Carl Gustav Jung, jamais cité lui non plus… (Le réalisme, pratiqué pourtant consciencieusement par Wassermann, semble, sur ce point comme pour le reste d'ailleurs, se dispenser volontiers de tout détail ou toute référence à la réalité historique jugés superflus au récit !!) Aussi, Kerkhoven ayant enfin compris le rôle essentiel de la qualité de présence dans la relation thérapeutique, ainsi que toute la portée de sa place privilégiée, celle, selon la fameuse formule à venir de Jacques Lacan, en tant que «sujet supposé savoir», ces mots de Viktor Frankl, psychiatre fondateur de la «troisième école de Vienne» auraient pu parfaitement sortir aussi de la bouche du personnage : «On pose aujourd'hui au médecin des questions qui ne sont pas proprement d'ordre médical, mais philosophique, et auxquelles sa formation ne l'a guère préparé. Des patients s'adressent au psychiatre parce qu'ils doutent du sens de leur vie, voire désespèrent de trouver un sens quelconque à la vie.» L'écoute active et libératrice de Kerkhoven se portera, parmi d'autres patients que le récit fera découvrir au lecteur, plus particulièrement sur le désespoir apparement sans remission possible d'Alexandre Herzog, écrivain et double fictionnel de Jakob Wassermann. Personnage ruiné, pessimiste et désespéré exactement pour les même raisons que son créateur, Herzog serait-il l'autre face tendue par l'auteur à une fiction censée avoir à son tour des propriétés curatives ? Obsédé par le spectre omniprésent de son ex-femme, qu'il identifie, à l'instar de Wassermann, comme étant l'agent principal de sa chute, Herzog, à la demande de son médecin, Kerkhoven, s'astreindra à la tâche pénible de devoir coucher sur le papier l'histoire détaillée de sa longue relation de dépendance à Ganna, matrone antique au profil exubérant, disséquée par Herzog dans les plus petits détails de sa personnalité histrionique et de ses agissements perfides. Ce récit très minutieux des vicissitudes interminables y compris procédurières d'un couple en instance de divorce durant de longues années occupe une place trop importante, me semble-t-il, par rapport au reste, plus de la moitié des six-cents pages du roman (Kerkhoven en aurait apparemment écrit plus de mille cinq-cents, qu'il aurait élaguées au fur et à mesure de ses très nombreuses et laborieuses réécritures du texte !!). La charpente roborative qu'on retrouve d'ordinaire dans une certaine littérature typiquement allemande, dont Thomas Mann et Hermann Broch constitueraient par ailleurs des représentants modernes tout aussi géniaux et emblématiques que l'était Wassermann lui-même (on a quelquefois comparé sa trilogie à «La Montagne Magique» de Mann…), aura risqué de s'effondrer littéralement sur la tête du lecteur que je suis au cours de ces trop longues et parfois redondantes pages, en tout cas de grever sérieusement le capital enthousiasme engrangé par une première partie vraiment stimulante sur tous les plans. Si le ton obsédant, monocorde, trop pesant à mon goût, a pu servir, certes, d'exutoire thérapeutique à Herzog/Wassermann, il aura failli me coûter, j'avoue, et ce malgré l'immense talent de l'écrivain dans cet exercice périlleux de règlement de comptes déguisé, l'abandon pur et simple du livre… Heureusement, j'ai réussi à tenir bon!! Car le retour providentiel de Kerkhoven dans la troisième et dernière partie du roman, et surtout le dénouement sublime d'un récit qui entretemps m'avait donné le sentiment de s'être égaré dangereusement dans les terribles sables mouvants du ressentiment, récompenseraient largement ma ténacité. Le résultat des courses s'avèrerait absolument surprenant, extraordinaire, un sommet littéraire, à mon humble avis de lecteur. En refermant l'ouvrage, je me suis dit qu'entre autres Jakob Wassermann avait réussi à forger, à travers Kerkhoven, un personnage en parfait contrepoint, voire aux antipodes de celui - ô combien emblématique - d'un autre de ses plus célèbres contemporains de langue allemande: l'«Ulrich», de Robert Musil. Wasserman réussit à retracer avec brio le parcours d'un «homme de qualités» particulièrement solides, au moment même où tout un pays était en train de s'abaisser collectivement et de se décomposer moralement. (N'empêche, me suis-je d'autre part rajouté, que la mesquinerie incroyable de Julie Spier, ex-femme de Wassermann - petite ironie du destin! - aura quant à elle réussi, en ce qui me concerne dans cette affaire, à subtiliser encore, post-mortem, une autre petite étoile à son impardonnable Jakob…!!) ..

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Fiche technique du livre

  • Genres
    Classiques et Littérature , Littérature Classique
  • EAN
    9791039203425
  • Collection ou Série
    classique et littérature
  • Format
    Poche
  • Nombre de pages
    580
  • Dimensions
    180 x 110 mm

L'auteur

Jakob Wassermann

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