La Mort de l'auteur : Le livre de Nnedi Okorafor

Nnedi Okorafor est une autrice que j'ai envie de découvrir depuis la sortie de Qui a peur de la mort en 2013. Autant dire que je suis patiente (ou que je procrastine, c'est selon), mais cette fois, Babelio et Robert Laffont m'ont donné l'opportunité de lire son dernier roman en date. Et après avoir attendu si longtemps, je suis un peu déçue. J'ai passé un bon moment avec cette lecture qui fut parfois prenante, mais je pense qu'elle ne me marquera pas à long terme. Tout d'abord, la plume n'est pas forcément d'un style que j'adore. Avec ses phrases courtes et ses voyelles multipliées (dans les dialogues, mais aussi dans la narration), j'ai un peu peiné à prendre le rythme et, même si j'ai fini par passer outre, ce n'est pas une écriture qui m'aura touchée. (De plus, je suis un peu frustrée du choix du traducteur d'utiliser « auteure » plutôt qu'« autrice ».) J'ai vraiment beaucoup aimé le personnage de Zelu et ses nuances : elle est déterminée, elle est indubitablement « une femme forte », mais elle est aussi sujette à des crises d'angoisse et elle exprime son émotivité régulièrement sans que cela n'apparaisse comme quelque chose de négatif. Elle doute énormément, mais en même temps, elle a cette voix qui ne demande qu'à sortir, qui sort au grand dam de certaines personnes qui ne la souhaiterait pas si entière, si franche, si rude parfois. Son handicap la marginalise, l'isole et tend à l'étouffer tant sa famille – et la société validiste – la considère comme une petite chose fragile qu'il faut protéger (et protéger d'elle-même avant tout). L'identité et la relation au corps sont très présentes dans l'histoire – du fait de la vie de Zelu, son accident, les opportunités qui lui sont offertes, ses écrits… – et viennent parfois se heurter aux croyances, aux convictions et aux impulsions aussi protectrices qu'étouffantes de sa famille ; par la suite, c'est aussi la célébrité qui vient malmener Zelu alors que ses fans attendent toujours davantage d'elle. C'est un personnage que j'ai apprécié côtoyer et j'étais curieuse de la voir progresser dans sa vie d'autrice, dans sa vie personnelle, de découvrir jusqu'où les possibilités offertes par l'argent et la célébrité allaient la mener. C'est typiquement un roman qui ouvre sur des identités éloignées de la mienne, des problématiques que je ne vivrai jamais, avec cette immersion aux côtés de cette héroïne atypique avec laquelle on rentre en empathie. (Mon estomac se mêle à mon esprit : Zelu et sa famille ont clairement su me donner envie de découvrir bon nombre les spécialités nigérianes dont les mentions – et j'ai presque envie de dire, les odeurs et les saveurs – ponctuent le roman.) En revanche, j'ai trouvé moins efficace les autres narrations qui tissent la trame du roman. Les interviews avec les proches de Zelu permettent un autre regard sur l'héroïne, mais m'ont également un peu déçue en donnant l'impression d'une chose terrible qui n'arrive jamais. Quant aux passages avec Ankara et les robots sont intéressants et bien écrits (d'une écriture qui me plaît davantage), mais un peu pauvres émotionnellement parlant, en dépit du fait que l'automation de Nnedi Okorafor tende à devenir plus humaine… pour le bon comme pour le moins bien. Le dernier chapitre vient faire basculer ce que l'on croyait être la bonne interprétation de l'alternance entre Zelu et Ankara, entre la « réalité » et la fiction. Enfin, elle peut le faire basculer, ou pas, car, de mon point de vue, ça reste aux lecteurices d'en décider… puisque l'auteur est mort. (Et à titre personnel, j'ai eu du mal avec le personnage de Jack Preston qui m'a un peu questionnée. Il m'a fait l'effet d'un alter ego du Musk de SpaceX avec ses milliards, ses excursions de loisirs dans l'espace, ses critiques de la Nasa, ses fondations contre le changement climatique qui semblent un peu des prétextes « bonne conscience »… Or, toute mention de Musk a tendance à m'irriter, allez savoir pourquoi.) Même si ça a simplement été une bonne lecture, La mort de l'auteur propose une SF subtile, intimiste et sensible, qui m'a clairement envie d'aller zieuter un peu plus du côté de l'afrofuturisme (et je pense tout de même prendre le temps de lire Qui a peur de la mort ? un jour).

Figure incontournable de l'afrofuturisme, Nnedi Okorafor est une romancière née en 1974 aux États-Unis de parents igbos nigérians. Ses oeuvres, fortement marquées par ses origines, explorent des thématiques telles que l'identité et la culture africaines, le féminisme et le pouvoir des femmes, la technologie vue d'un prisme autre que celui de l'occident. Son travail a été récompensé de nombreux prix comme le prix World Fantasy (2011) et le prix Imaginales (2014) pour son roman Qui a peur de la mort ?, le Nebula (2015) et le Hugo (2016) du meilleur roman court pour Binti ou encore le Locus du meilleur roman pour jeunes adultes (2018) avec Akata Warrior. Avec La mort de l'auteur, Nnedi Okorafor signe un nouveau roman de science-fiction hors des clous et hors du temps, dans la collection Ailleurs et demain des éditions Robert Laffont (trad. Fabien le Roy). Si le roman s'apparente au premier abord à une fresque familiale, le récit qui nous est offert par l'autrice prend une dimension sans égal à mesure que l'on progresse dans celui-ci. L'histoire se concentre sur Zelu, la protagoniste. Issue des ethnies Igbos par son père et Yoruba par sa mère, notre héroïne vient de perdre son travail de professeure de création littéraire à l'université après avoir été trop dure avec l'un de ses élèves. Privée de l'usage de ses jambes après un accident lorsqu'elle était enfant, Zelu va alors s'inspirer de son vécu pour tisser la trame d'un roman de SF alors qu'elle est pas coutumière du genre. Pourtant, ce récit va bouleverser sa vie de bien des manières. C'est dans une temporalité proche de la nôtre que prend place la triple narration de la mort de l'auteur. le point de vue de Zelu, tout d'abord, depuis lequel on découvre son quotidien de jeune femme paraplégique, les affres de sa vie d'autrice en mal de reconnaissance, et puis surtout sa famille, parents, frères, soeurs, cousins, qui offrent un autre point de vue au récit au travers d'interviews à propos de Zelu. Et pour finir, une narration en marge avec des extraits du roman "Robots rouillés", l'oeuvre qui fera de Zelu une autrice mondialement connue. Parlons-en un peu de ce roman. L'histoire de "Robots rouillés" prend place au Nigeria et porte sur un androïde érudit, un Hume, retrouvé brisé dans un monde en ruines, dominé par les robots et hanté par des "fantômes" – des IA errantes dans les systèmes. La Terre est presque vidée de ses habitants humains et c'est la dernière survivante connue qui répare l'androïde qu'elle baptise Ankara. Désormais doté d'une IA, Ankara évolue dans un univers où ces entités sont pourtant en guerre contre les Humes. Lorsqu'il découvre une information capitale qui pourrait sceller le destin de la planète, Ankara devient porteur d'un secret qu'il doit impérativement transmettre aux siens. Commence alors un périple périlleux à travers le Nigéria, théâtre de cette lutte pour la survie. A travers Robots rouillés, Nnedi Okorafor réalise un tour de maître : une mise en abyme audacieuse et intelligente qui questionne le rapport au corps et à l'identité et entre en résonance avec les événements que vit Zelu. Cette dernière, forte du succès planétaire que reçoit son livre, se voit offrir une paire de jambes robotiques, sorte d'exosquelette ultra perfectionné, qui lui permet de marcher à nouveau sur ses deux jambes après 20 ans passés dans un fauteuil. Si sa famille voit cela d'un mauvais oeil, c'est l'occasion pour Zelu de retrouver un semblant d'autonomie et d'estime de soi. Mais alors, la frontière entre Zelu autrice et les événement de son roman devient floue. Nnedi Okorafor joue sur ces limites que l'on franchit aisément pour brouiller les pistes et renforcer le parallèle : est-ce Zelu qui se transforme en robot ou Ankara qui fait preuve d'humanité ? Les deux personnages semblent se refléter et leurs quêtes se répondre. Qu'est-ce qui relève alors de la fiction et de la réalité ? Où est la frontière entre Zelu et son oeuvre ? La mort de l'auteur est un roman qui questionne merveilleusement le rapport au corps et à l'identité. le parcours de Zelu est une quête initiatique vers son individualité, son essence, ses racines. Les deux niveaux de fiction renforcent un sentiment de glissement entre la réalité et la fiction et ce récit dans le récit devient peu à peu une extension du parcours de Zelu, un miroir dans lequel elle se reconnaît autant qu'elle s'y perd. Okorafor joue ici avec le concept de « la mort de l'auteur » popularisé par le critique et théoricien littéraire Roland Barthes, selon lequel une oeuvre, une fois publiée, échappe à son créateur et devient l'objet de l'interprétation des lecteurs. Zelu vit cette dépossession de manière quasi-littérale : plus son livre prend de l'ampleur, plus elle semble perdre le contrôle de sa propre histoire. Au-delà de cette réflexion sur l'écriture, La Mort de l'auteur est aussi un roman profondément ancré dans les thématiques chères à Nnedi Okorafor : l'identité, la marginalisation et le combat pour se faire entendre. Zelu, en tant que femme noire, handicapée et écrivaine de science-fiction, incarne une figure d'outsider à plusieurs niveaux. Sa lutte pour exister en tant qu'artiste, pour imposer sa voix dans un milieu dominé par d'autres, résonne avec les propres combats de l'autrice dans le monde de la littérature. L'histoire explore également la manière dont une personne peut être définie, voire enfermée, par la perception des autres. Zelu devient un symbole, une image figée dans l'esprit du public et des critiques, qui projettent sur elle des attentes et des interprétations qui lui échappent. Dans ce jeu de reflets où elle perd pied, elle cherche désespérément à se réapproprier son propre récit, au sens figuré comme au sens littéral. le final du roman mettra un terme aux interprétations de façon magistrale. Avec La Mort de l'auteur, Nnedi Okorafor signe un roman d'une finesse désarmante et d'un intelligence émotionnelle forte, qui bouscule les frontières entre le réel et l'imaginaire. Son audace formelle et ses questionnements philosophiques peuvent déconcerter, mais son écriture franche et son héroïne complexe en font une lecture incontournable. Ce livre confirme, une fois de plus, que l'autrice est une voix indispensable de la littérature contemporaine.

[Masse critique Babelio 2025] Wow, quelle claque ! Ce roman a été un vrai coup de coeur ! Le roman alterne entre la vie de Zelu, écrivaine, et des extraits de son roman Robots Rouillés, qui devient un best seller. On voit le moment où la vie de cette nigério-américaine paraplégique bascule avec le succès de son roman ... et les conséquences sur elle et ses proches. Zelu est un personnage complexe, attachante, difficile à cerner... très humaine finalement ! Les personnages qui gravitent autour d'elle dans son récit sont touchants, énervants, joyeux, confus, profonds, bref, eux aussi sont très humains. Tout le monde croit bien se connaître, mais finalement, c'est toujours un portrait incomplet qui est dressé. J'ai particulièrement aimé les aventures d'Ankara, robot humanoïde friande d'histoires, dans un contexte de guerre latente entre les SansCorps et les Humes. La dimension purement "science-fiction" se mélange très fluidement avec les passages et questionnements de Zelu et ses proches. le roman parle d'écriture, de créativité, mais aussi d'identité (notamment "nigériaméricaine" comme se décrit un personnage dans le livre !), d'humanité (et ses limites ... ou pas), de handicap, de troubles anxieux, de cyberharcèlement, de traditions, de robotique, de racisme, de white-washing (lorsqu'on "blanchit" des personnages pour une représentation à l'écran par exemple), de famille, de deuil, de se sentir chez soi ... Et tous ces thèmes sont bien écrits, font réfléchir, nous touchent. Bref, on a toujours envie de suivre Zelu dans ses hauts et ses bas ! [masquer] Olalalala j'avais tellement envie de la suivre dans l'espace, encore et encore, et d'avoir ce deuxième tome de Robots Rouillés moi aussi [/masquer] C'est un roman qui oscille entre réalisme et science-fiction, et j'ai trouvé que c'était bien dosé. Je pense qu'il peut plaire autant aux amatrices et amateurs de SF que de romans aux thématiques plus contemporaines. C'est un roman troublant, qui ne va jamais dans la direction qu'on attend, et je l'ai trouvé particulièrement virtuose dans sa plume/traduction et dans les thèmes abordés. En bref, je suis très contente de cette première découverte réalisée par la Masse Critique Babelio, merci à Babelio et merci à Robert Laffont. Je pense faire un épisode de podcast avec cette lecture, affaire à suivre sur le lien en bas ;)

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Celui-ci va rencontrer un succès immédiat et sa vie va alors changer du tout au tout. #10240; #120142;#120163;#120154;#120165;#120154;#120159;#120152; #120158;#120170; #120159;#120160;#120167;#120150;#120157; #120165;#120146;#120166;#120152;#120153;#120165; #120165;#120153;#120154;#120164; #120165;#120160; #120158;#120150;, #120146;#120164; #120168;#120150;#120157;#120157;: #120148;#120163;#120150;#120146;#120165;#120154;#120160;#120159; #120151;#120157;#120160;#120168;#120164; #120147;#120160;#120165;#120153; #120168;#120146;#120170;#120164;. #10240; Comment parler de ce livre ? Un livre incroyable, fort, riche, mais surtout vraiment atypique. Tout le monde n’y trouvera pas son compte tant c’est un OVNI littéraire, mais c’est en tout cas un roman qui ne peut pas, je pense, laisser indifférent. #10240; Une des grosses particularités de ce roman, c’est qu’il y a une triple narration imbriquée : l’histoire de Zelu de son point de vue, des extraits d’interviews de ses proches qui parlent d’elle et de comment elle est devenue ce qu’elle est devenue, et enfin des extraits du fameux roman qui l’a rendue célèbre. Et bien que Zelu évolue dans un monde où la technologie est un poil plus avancée que la nôtre, il est assez difficile de voir l’aspect SF du livre de prime abord, à part évidemment dans les extraits du roman SF écrit par Zelu. Je ne doute pas un instant que cet aspect risque déjà d’être un peu surprenant, peut-être même gênant, pour des lecteurs de SF. C’est donc important d’avoir ça en tête avant de se lancer dans cette lecture. #10240; Le gros du roman est plutôt un récit assez intime, je trouve. Nous sommes donc dans la tête de Zelu, une femme paraplégique nigériane-américaine, qui après avoir été longtemps perçue (par la société, par sa famille au Nigeria mais aussi par ses proches dans une certaine mesure) comme étant « moins que » à cause de sa différence. Lorsqu’en son statut social change du tout au tout suite à la publication de son roman et à ses retombées, elle va commencer à être perçue différemment par le monde, mais pas forcément par sa famille qui continue de la materner à l’excès, de l’infantiliser. #10240; L’autrice aborde une quantité de thématiques gigantesque dans ce roman. On y parle de relation toxique, de traumatisme, de validisme, un peu de de racisme et de misogynie évidemment. À travers son personnage, l’autrice nous raconte aussi ce que c’est d’être un.e auteurice à succès, et surtout quel est le revers de la médaille. Et puis on parle d’histoires évidemment, celles qu’on raconte aux autres mais aussi celles qu’on se raconte à soi-même. #10240; Je ne sais pas trop dire si j’ai vraiment aimé Zelu (au début oui, j’ai eu peut-être un peu plus de mal à la comprendre dans la seconde partie du roman) mais ce qui est sûr c’est que c’est un personnage passionnant. Elle est forte, indépendante, sûre de ses convictions, parfois égoïste (pas forcément dans un sens péjoratif, elle sait se prioriser quand c’est nécessaire) mais toujours entière. Surtout, elle n’a rien à prouver à personne et ce genre de personnage est toujours génial à lire. Qu’on la comprenne ou pas, qu’on l’apprécie ou pas, je trouve que c’est une femme inspirante, d’autant plus quand on voit son parcours et surtout son entourage qui n’est pas franchement un cadeau (même s’il y a quand même de l’amour derrière tout ça). #10240; Vraiment, parler de ce roman est compliqué. Ce n’est pas de la SF telle qu’on l’imagine habituellement mais ce n’est pas non plus « juste » un récit de vie. C’est tout ça et bien plus encore. Un roman engagé, intimiste, une véritable expérience de lecture. Je pense qu’il peut y avoir pas mal de triggers warnings pour certaines personnes même si on est loin de la violence de ses précédents romans. C’est en tout cas une violence plus ordinaire, plus insidieuse, plus systémique. #10240; Une dernière chose, si vous lisez ce roman, il est possible que vous ressentiez une petite inquiétude à l’approche de la fin en vous disant que l’autrice n’arrivera jamais à boucler son histoire dans le temps imparti. Faites lui confiance. Si ce livre est aussi exceptionnel, c’est aussi grâce à son dernier chapitre qui vous retournera le cerveau. #10240; Lisez ce roman !