LES FANTOMES DU CHAPELIER : Le livre de Georges Simenon

On était le 3 décembre et il pleuvait toujours. Le chiffre 3 se détachait, énorme, très noir, avec une sorte de gros ventre, sur le blanc cru du calendrier fixé à la droite de la caisse, contre la cloison en chêne sombre séparant le magasin de l’étalage. Il y avait exactement vingt jours, puisque cela avait eu lieu le 13 novembre encore un 3 obèse sur le calendrier , que la première vieille femme avait été assassinée, près de l’église Saint-Sauveur, à quelques pas du canal... Reprenant la nouvelle "Le Petit tailleur et le chapelier", le roman substitue au point de vue de Kachoudas celui du chapelier Labbé, point de vue de l'assassin dont le lecteur découvre peu à peu le passé à partir du moment où il tue sa femme. Le récit alterne avec des passages du « Petit mémoire au sujet des victimes de l'étrangleur » rédigé par Labbé pour expliquer ses actes.

Un Simenon comme on les aime. Avec une atmosphère oppressante, aussi bien dans le détails des descriptions, que dans le lieu choisi pour l'intrigue. Alors l'auteur nous annonce dès le départ qui est le tueur en série qui sévit à la Rochelle. Un homme bien sous tout rapport, marié, travailleur et avec un rythme de vie bien établi. J'ai adoré le caractère du chapelier, puisque rien que dans sa psychologie de départ, avec son emploi du temps limite obsessionnel... Qui ne laisse rien au hasard et en complète adéquation avec celle d' un tueur en série. C'est aussi toute l'évolution d'un tueur et le basculement d'un homme vers le côté obscur qui est décrit dans ce roman. Et il faut reconnaître que Simenon excelle dans l'exercice. Je connais bien Simenon pour les Maigret, car sans dire que je l'ai ai tous lu, je n'en suis vraiment pas loin... Mais hors des Maigret, Simenon est un auteur inconnu pour moi... Et là, je me dis " mais pourquoi tu as autant traîné a lire ces Simenon là !!". Je remercie Morganex pour m'avoir poussé à sauter le pas ... J'ai vraiment passé un très bon moment.

Un excellent roman, probablement un des meilleurs romans noirs francophones. Il ne s’agit pas d’un roman policier, car dès les premières pages le lecteur se doute de qui est le coupable, le chapelier Labbé. Le doute se transforme très vite en certitude. Tout l’enjeu est de comprendre ce personnage, de l’observer dans son évolution, de le voir se mentir à lui-même. D’autant qu’il reste quelques inconnues : comment cela a-t-il commencé, va-t-il aborder son voisin le tailleur Kachoudas, et, bien sûr, comment cela va-t-il finir ? Simenon mène l’intrigue de main de maître, il dépeint l’ennui qui plombe un automne pluvieux, les petites habitudes des uns et des autres, en particulier des petits notables locaux, coincés chacun dans ses petites manies routinières et dans sa façade de respectabilité. L’action se passe début décembre, il fait nuit tôt, un assassin rode, les femmes n’osent plus sortir, il pleut, les rues sont donc quasiment vides et silencieuses. Tout cela rend l’atmosphère des soirées à La Rochelle pesante, d’une lourdeur palpable, d’autant que les personnages semblent comme en vase clos : Labbé passe sa journée dans sa boutique, et ne sort que le soir, à heures fixes, pour jouer au bridge au café, puis il rentre assez tôt car il doit s’occuper de Mathilde, sa femme malade. Un très, très grand Simenon !

Un autre coup de coeur en ce début d'année! Cette fois pour un "vieux" roman, de 1948, signé Georges Simenon. Nous sommes à La Rochelle le 3 Décembre, et depuis le 13 novembre il pleut et des femmes meurent. N'imaginez pas une enquête à la Sherlock Holmes, même si le temps pourrait nous faire penser à Londres, à son brouillard, voire même à Jack The Ripper! Dès les premières pages, le doute est levé : M. Labbé , chapelier de son état, est l'assassin. Ses journées sont minutées et ses quelques déplacements à l'extérieur du magasin rue du Minage se font à heures fixes. En fin de journée il va au bar des Colonnes boire son picon bière et s'asseoir à la table des habitués alors que son voisin le tailleur M. Kachoudas, s'installe juste derrière lui. Très vite, il partage les dernières nouvelles avec le médecin, le sénateur, ... non loin du jeune journaliste qui rédige ses articles sur le tueur en série au coin d'une table, et il regagne bientôt sa maison-échoppe, car Mathilde, son épouse malade, a besoin de lui. Pourquoi est-ce si bien alors qu'il n'y a pas vraiment d'enquête? Parce que Simenon dresse le portrait d'un homme qui a tué parce qu'il était convaincu de ne pas avoir d'autres solutions. Kachoudas, lui, a compris, il sait. Parce que l'atmosphère pesante, rigide, superficielle de cette petite société est génialement rendue par l'auteur. J'ai hâte de voir l'adaptation de Claude Chabrol avec Michel Serrault et Charles Aznavour!