Les Mystères du peuple ou Histoire d'une famille de prolétaires à travers les âges : Le livre de Eugène Sue

Eugène Sue, ce romancier populaire du XIXe siècle, a été au centre de nombreuses controverses littéraires et politiques. Son œuvre monumentale "Les Mystères du peuple" illustre bien les traits distinctifs de sa pensée et l'étendue de ses ambitions narratives et idéologiques, qui ont suscité elles-mêmes des critiques sous différents aspects : son socialisme romantique, sa conception de l'histoire, son style d'écriture, son anticléricalisme, et ses positions républicaines radicales. Les lecteurs de cette fresque historique se sont-ils eux-mêmes révélés capables d'en saisir toute la portée ? Je vous laisse juge. Le socialisme romantique de Sue a fait l'objet de critiques récurrentes. Il percevait la lutte des classes comme un moteur de l'histoire française, une vision jugée par beaucoup comme excessivement schématique. Karl Marx, qui fut d'abord un commentateur attentif de Sue avant de s'en distancer, considérait ce socialisme littéraire comme une forme d'idéalisme qui substituait les bons sentiments à l'analyse matérialiste. Cette approche idéaliste se traduit directement dans sa fresque historique qui présente l'histoire de France comme une lutte permanente entre oppresseurs et opprimés, indifférente aux nuances et complexités réelles. Cette vision a été remise en question par les historiens académiques qui soulignaient que cette dichotomie, bien que séduisante pour le lecteur populaire, sacrifiait la vérité historique au profit du message politique. Cette simplification se retrouve également dans son style littéraire, bien que considéré captivant par son lectorat contemporain, il n'a pas échappé à la critique des puristes. Sainte-Beuve a ainsi qualifié l'approche de Sue de feuilletonesque et mélodramatique, notant que son écriture flamboyante cachait souvent un manque de profondeur psychologique. La popularité immense de ses œuvres ne pouvait compenser, selon les critiques littéraires de l'époque, les défauts d'une prose jugée parfois emphatique et simpliste. Cette tendance à la simplification se manifeste avec encore plus de force dans son anticléricalisme virulent qui a provoqué non seulement la censure de l'œuvre mais aussi des critiques substantielles. Les détracteurs lui ont reproché une vision caricaturale de l'Église, réduisant une institution complexe à un simple instrument d'oppression, sans nuance historique ni reconnaissance de ses contributions sociales et culturelles. Ainsi, les "Mystères du peuple" nous révèlent que la littérature engagée, lorsqu'elle sacrifie les nuances sur l'autel de l'efficacité narrative, devient paradoxalement le miroir des mêmes simplifications qu'elle prétend combattre.