Une execution : Le livre de Danya Kukafka

Un homme dans le couloir de la mort, et surgissant du passé les récits des femmes qu’il a assassinées. Quand je commence ce genre de livre, je me rappelle les mots de Neige Sinno dans Triste Tigre (désolée, je n’ai pas la citation exacte) : beaucoup d’agresseurs sexuels ont été des petits garçons incestés, peu de petites filles incestées deviennent des agresseuses sexuelles ; l’enfant subit, l’adulte a un choix de faire le mal ou pas. Un homme est dans le couloir de la mort. Assez vite, on comprend qu’il a commis plusieurs féminicides. On passe avec lui ses dernières heures avant l’injection létale. En même temps, des mouvements en arrière, du point de vue des femmes qui l’ont côtoyé à différents âges de sa vie. On alterne ainsi un récit qu’il fait de sa vie à la première personne, et ce qu’ont perçu de lui ces femmes qui l’ont connu. L’exercice pourrait s’annoncer périlleux : trop souvent, dans ce genre de récit, on essaie de comprendre pourquoi un assassin tue, d’aller lui chercher des excuses dans le passé. Ici, ça n’est pas le cas. Et la narration ne semble pas vouloir comprendre pourquoi cet homme a tué toutes ces femmes. On a un morceau d’histoire tel que l’a vécue le meurtrier, qui se concentre davantage sur le présent que sur les motivations qui l’ont poussé à agir. Et comment les trois narratrices ont vécu ce temps passé à ses côtés, puis comment elles ont continué à vivre sans lui, et comment elles ont vécu aux côtés de celles qu’il a assassinées et ont défendu leur mémoire. Enfin, c’est un livre qui rend hommage aux victimes et tente contre toute attente d’en éclipser l’assassin (qui est pourtant placé au centre du dispositif narratif).

De cette autrice, j'avais lu il y a fort longtemps "Dans la neige" que j'avais plutôt bien aimé. Mais je trouve que celui-ci est bien meilleur et plus abouti, plus maîtrisé. Ansel, quarantenaire orphelin depuis l'enfance et tueur en série, attend son exécution, qui aura lieu dans onze heures. Il se livre alors à une introspection, revit ses moments les plus joyeux. Trois femmes vont bouleverser ce monologue en s'y entremêlant : Shaffy, l'inspectrice qui l'a débusqué ; Hazel, la soeur d'une des victimes et Lavender, la mère d'Ansel. C'est un roman choral, puissant, plein d'émotions et terriblement humain. Même si l'on connaît d'emblée le nom du tueur, il règne un climat anxiogène tout du long du roman, et le suspense monte creshendo, car tout le monde a des secrets, et il faut attendre la fin pour qu'ils nous soient dévoilés. L'autrice parvient à insuffler un peu d'humanité à Ansel malgré ses exactions, et l'on s'attache beaucoup aux trois femmes qui composent également ce roman. Un excellente lecture à découvrir !

-Excellent polar -Structure intéressante. Le meurtrier est bien sûr au centre du roman mais on le découvre à travers les femmes qui l’ont côtoyé. -Pas de jugement, pas de manifeste contre la peine de mort. On fait des aller-retours entre les différentes périodes de sa vie. -Pendant tout ce temps le suspense nous tient car les heures et les minutes avant son exécution s’écoulent implacablement

"Une exécution" est l'une des très belles surprises de cette année. Bien vendu par la libraire qui me l'a conseillé, c'est un bouquin qui a le mérite de ne pas prendre vraiment parti mais plutôt de proposer des pistes de réflexion en donnant au lecteur plusieurs clefs de l'histoire et en le mettant, en quelque sorte, dans la position du jury, sans avoir dé décision à rendre, la sentence étant déjà tombée. Sur un thème de société difficile, le livre donne la parole aux femmes qui ont été les témoins du parcours criminel du personnage central, Ansel Packer. A quelques heures de son trépas, ce condamné à mort pour plusieurs meurtres de jeunes femmes garde encore l'espoir d'un appel, ou d'une évasion promise par l'une de ses geôlières. Outre le récit intime de l'assassin, Danya Kukafka nous emmène dans la vie de femmes qui ont croisé le chemin du tueur. Pour chacune d'elles, le récit est puissant et permet aux victimes d'exister vraiment. Tout est nuancé, avec intelligence. Avec beaucoup de justesse et de finesse, l'auteure livre un roman fort et dresse le portrait sans jugement de personnages que la vie n'a pas épargnés, qu'ils soient du bon ou du mauvais côté de l'histoire. Au final, c'est bel et bien l'histoire d'une exécution, qui ne tombe jamais dans le voyeurisme mais qui rend justice aux victimes d'un homme qui aura brisé leur destin. Essentiel, d'autant que dans la quasi totalité des cas de meurtres, on néglige les victimes au profit de leur assassin.