Focus
La minute lecture: Maman de Régis Jauffret
Publié le 30/08/2025 , par Laurence Caracalla

Il avait déjà écrit sur son père dans un précédent livre, Papa, avait raconté l’histoire triste et poignante de cet homme sourd et neurasthénique, son existence sans aspérité, du moins le croyait-il. Il est à présent grand temps de parler de Madeleine, Madelon, Mado, Magdalena, autant de surnoms pour cette centenaire qui vient tout juste de s’éteindre.
Madeleine, c’est la mère de l’auteur mais c’est surtout un personnage romanesque. Enfant unique, Régis Jauffret a été adulé par cette femme dont l’existence tout entière tournait autour de lui. Un poids lourd à porter pour ce fils qui a préféré survivre en fuyant à Paris, l’abandonnant à Marseille. Mais rien n’est aussi simple. L’auteur ne fait pas partie de ceux qui enjolivent ce qui doit l’être. Il préfère tout lui dire, le beau et le laid, car c’est à elle qu’il s’adresse, sans jamais hésiter à avouer ses propres manquements. Il prévient quand il va aller trop loin, prévient aussi quand il risque de se répéter ou d’être un peu long. Ce drôle de dialogue fait d’ailleurs toute la saveur et parfois la tension de ce récit : le lecteur n’est pas seulement un simple témoin, il participe aux événements, mieux, il devient son complice.
Quand Régis apprend la mort de sa mère, il ne sait d’abord que penser. Il se souvient de ses dernières visites, de son agacement devant ce trop plein de tendresse qui le met mal à l’aise, sa culpabilité de la laisser là, dans un Ehpad, perdue au milieu de vieillards qui ne lui ressemblent pas. Puis il repart sur les traces de cette enfance heureuse, protégée ? Pas si sûr. Madeleine est sans aucun doute complexe, perverse aussi. Car le romancier nous l’avoue très vite : elle l’a trahi. Et nous ne saurons ce dont il s’agit qu’au fil des pages. Il joue avec nos nerfs et s’en amuse. Il enquête sur Madeleine, découvre ses mensonges, et ils sont parfois cocasses, apprend de la part de presque inconnus des anecdotes jamais entendues, va parfois très loin en la soupçonnant d’un crime qu’elle aurait pu commettre, et qui nous vaut des scènes irrésistibles. Le livre devient même roman noir pour un temps. Mais Régis Jauffret est avant tout un sorcier sentimental, il joue avec nous, et est capable de passer de la vérité à la fiction sans nous prévenir. Ici, pas de chronologie, les souvenirs surgissent soudain et ils font parfois mal.
Cette mère impossible était la sienne, elle doit être pardonnée malgré tout. Sans elle, il n’aurait pas eu d’enfants, pas eu cette petite-fille qui fait sa joie. Sa présence est partout, quoi qu’il fasse.
Comme elle est étrange cette relation mère-fils. Et pourtant, certaines péripéties nous la rendent familière. Serait-elle alors plus universelle qu’il n’y paraît ? Reste que Madeleine a laissé une trace indélébile, un grand vide dans le cœur d’un enfant devenu grand. Dans ce livre si plein de culpabilité, d’impatience, de questionnements, de fascination, d’admiration, d’amour, apparaît le visage d’un fils qui porte en lui sa mère. Ne le secouez pas, il est plein de larmes.