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Face à face : ces émotions qui nous emportent
Publié le 30/06/2025 , par Laurence Caracalla

La saudade, ce mot portugais, mélange de mélancolie et d’espoir, pourrait convenir aux protagonistes de Et chaque fois mourir un peu mais aussi à L’Amour-Fleuve. Pourtant, si le premier est, on ne peut plus ancré dans le réel, le second est difficile à situer dans le temps. Ces deux romans, aussi différents soient-ils, dégagent comme un sentiment de profond tumulte, un chaos intérieur inguérissable.
Depuis toutes ces années, Karine Giebel est toujours parvenue à nous embarquer dans son univers, et il est noir, extrêmement noir. Cette fois, elle remise ses thrillers impitoyables, voire féroces, pour un roman profondément humain. Nous n’y trouverons ni meurtres sanglants, ni manipulations perverses. Son héros, Grégory, est infirmier du CIRC, le Comité international de la Croix-Rouge. Il est chaque jour confronté à la guerre et à ce qu’elle a de plus abject. Et, s’il se bat pour sauver les autres, il se bat aussi contre lui-même : il ne peut se consoler d’une tragédie personnelle. Son humanité à toute épreuve force le respect, mais jusqu’à quand pourra-t-il supporter ces cauchemars qui ne le quittent plus ? Pourra-t-il encore et encore endurer ces scènes innommables au Rwanda, au Pakistan ou en Colombie ? Ces enfants mutilés, ces femmes violées ? Mais ces peuples ont besoin de lui, et il a, au fond, besoin d’eux.
Les cauchemars, la haine de soi sont aussi des thèmes essentiels dans le roman de la Brésilienne Carla Madeira. Venâncio est un garçon farouche qui trouve le bonheur en rencontrant une jeune femme solaire. Il ne quittera plus la douce et merveilleuse Dalva. Ensemble, ils forment le couple le plus amoureux, le plus magique, une relation presque mythique. Mais les démons de Venâncio, profondément enfouis, vont réapparaître à la naissance de leur premier enfant. Son épouse ne lui pardonnera pas. Ses regrets n’y pourront rien, elle ne lui adressera plus un mot, se murera dans le silence, quand Lucy, prostituée extravagante et provocante, donnerait tout pour qu’il lui accorde ne serait-ce qu’un regard. Venâncio se noie dans le malheur. Dans cette ambiance brésilienne où la musique paraît résonner dans chaque ruelle, où les femmes des bordels s’offrent aux plus offrants, où la famille demeure le plus doux des refuges, le feu qui s’est emparé des personnages du livre semble impossible à éteindre.
Tout comme celui qui brûle en Grégory : il pourrait couler des jours heureux mais, chaque fois, repart vers les pays en conflit, toujours prêt à soigner les blessés, toujours témoin de la souffrance, inimaginable, de victimes innocentes. Et, s’il offre à chacun un visage serein et apaisant, ses cicatrices refusent de se refermer.
Grégory et Venâncio sont deux héros hors normes. L’un comme l’autre a choisi les chemins les plus sombres et se perd dans des pensées qui détruisent. Attirés par le côté obscur de la vie, ils en subissent les conséquences. Ces hommes cherchent l’impossible : sauver le monde pour Grégory, réparer le mal qu’il a semé pour Venâncio. Un combat perdu d’avance ?