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Par Solar, publié le 23/01/2023

Pourquoi suis-je resté.e : découvrez l'interview d'Anne Clotilde Ziégler

A l'occasion de la sortie de son nouveau livre, Anne Clotilde Ziégler répond à cette question que se posent souvent les proies, les victimes de pervers narcissiques : "Pourquoi suis-je resté.e ?". Elle revient avec nous sur la construction de son livre et de ses messages.

Qu'est ce qui vous a animée dans la réalisation de cet ouvrage ?

Plusieurs choses m'ont animée pour réaliser cet ouvrage. La première, c'est que je me suis rendue compte que la question "Pourquoi suis-je resté.e ?" était une question récurrente, que je peux entendre trois ou quatre fois par jour dans le cheminement des personnes que j'accompagne, qu'elles sortent d'emprise ou qu'elles l'aient fait par le passé. Une fois que les victimes, que j'appelle "les proies", ont compris ce qu'était cette relation et ce qu'elle supposait de malsain, elles se disaient mais "quel.le imbécile je suis, pourquoi est-ce que je suis resté.e ?". C'est à ce moment que j'ai réalisé que si elles se posaient la question, beaucoup d’autres personnes se la posaient aussi, et qu'il était nécessaire que je prenne le temps d'expliquer pas à pas pourquoi on reste.

L'autre chose qui m'a animée pour écrire le livre est une colère contre la notion de masochisme, qui sous-entend que l'on reste par plaisir de souffrir, qui me parait être une espèce de pirouette facile pour expliquer un comportement que l'on ne comprend pas, ou qu'on ne veut pas prendre le temps ni la peine de comprendre. Cette explication me semble être contraire à la dignité humaine, et elle me révolte car elle enfonce la personne dans son problème en insinuant que sa souffrance serait voulue par elle. Ce n'est pas le cas !

Quel message souhaitiez-vous faire passer à travers sa publication ?

Il y a plusieurs messages, pour différent type de personnes, que j'ai souhaité faire passer à travers la publication de "Pourquoi suis-je resté.e". Tout d'abord, le message que je souhaite faire passer aux gens qui sont restés est que si l'on reste, ce n'est pas parce qu'on est nul, ou masochiste. Ce livre est un moyen de leur dire qu'une fois que le diagnostic est posé, il est nécessaire de recommencer à penser, de refaire le chemin pour comprendre comment on en est arrivé là. Ce livre est en quelque sorte une invitation à la relecture de tout le cheminement. 

Ensuite, le message que je voulais faire passer au grand public est que les phrases comme "tu n'avais qu'à partir" sont des raisonnements un peu courts. J'ai d'ailleurs vraiment vu l'incompréhension de ce qui se passe à l'œuvre dans le procès de Jacqueline Sauvage par exemple, où il n'était pas question que de violence d'après moi. Donc ce que j'ai voulu faire passer au grand public, c'est que contrairement à ce que l'on pourrait penser, le mécanisme est plus complexe que le simple "tu n'avais qu'à partir".

Enfin, le message que j'ai souhaité faire passer à l'entourage des proies, c'est que pour bien les accompagner, il est nécessaire de bien comprendre ce qu'il se joue. Plus particulièrement, je pense à une amie avocate qui me partageait son incompréhension parfois devant certains allers-retours des femmes et des hommes qui divorcent, et qu'elle avait besoin de comprendre cette notion. Ce livre, c'est aussi pour expliquer pourquoi il ou elle reste malgré tout

Pourquoi avoir équilibré le livre en deux parties (une sur les mécanismes de l'emprise, et l'autre sur les vulnérabilités de la proie) ?

La proie reste pour plusieurs raisons. Je montre donc comment cette relation fonctionne dans la première partie.

Cependant, quand on est sous emprise, on est certes une victime (au sens juridique, victime d'une agression), mais on n'est pas seulement une victime. C'est pourquoi, dans un deuxième temps seulement - et donc dans la deuxième partie du livre - l'idée est de sortir de cette posture de victime pour comprendre en quoi on y est pour quelque chose. 

Les proies y sont notamment pour quelque chose parce qu'elles ont, comme nous tous, des vulnérabilités - ou pour donner une image, des "poignées" auxquelles le pervers narcissique a pu s'accrocher. Tant que les zones d'accroche ne sont pas consolidées, le risque est grand que cela recommence (comme dit l'adage, "je ne fais jamais deux fois la même erreur, je le fais six ou sept fois pour être vraiment sûr !"). Il y a donc une espèce d'abonnement tant qu'on n'a pas pris conscience de ses vulnérabilités et donc des raisons pour lesquelles on se retrouve dans un mécanisme d'emprise.

L'idée, donc, n'est pas de dire que les proies sont de véritables névrosées et que c'est de leur faute si elles sont sous emprise, mais plutôt de dire que les vulnérabilités et leur guérison est la part où la proie peut faire quelque chose pour elle-même. Là où est notre responsabilité est aussi notre liberté. C'est pour cela que les deux parties du livre sont dans ce sens-là.

Quel conseil donneriez-vous à une personne qui pense être sous l'emprise d'un pervers narcissique ?

Dans cette situation, je conseille de commencer par se renseigner précisément sur le sujet : lire des livres, regarder des vidéos sur le sujet - tout en faisant bien attention à la source. Ensuite, il ne faut pas faire l'économie d'aller voir un professionnel pour établir un diagnostic, au moins une fois, car poser un diagnostic ne peut pas être fait par n'importe qui.

Aujourd'hui, ce qui m'effraie, c'est que le terme "pervers narcissique" est en train de devenir un terme que l'on se lance à la figure dès qu'on est contrarié par l'autre. C'est un risque énorme, parce que l'emprise est une situation dangereuse, mais si l'on utilise ce vocable à tort et à travers, on va finir par dire que toute personne qui nous contrarie est pervers narcissique. J'ai déjà commencé à l'entendre : j'ai une fois reçu une femme qui, parce qu'elle n'était pas d'accord avec le compagnon que sa fille voulait épouser, voulait que je lui confirme qu'il était un pervers narcissique. Or, j'ai bien écouté ce qu'elle m'a dit, et le compagnon en question n'était pas un pervers narcissique, il n'était seulement pas du bon statut social.

Pour faire court, si l'on pense être sous emprise, on se renseigne, et une fois que l'on pense avoir une hypothèse solide, on va la faire valider auprès d'un professionnel.

Quel conseil donneriez-vous à une personne qui se reconstruit suite à une relation avec un pervers narcissique ?

De lire mon livre ! Je ris, mais c'est sérieux. Je lui dirais de se remettre à penser, à comprendre, de refaire le chemin et mettre en œuvre tous les moyens pour retrouver de la compréhension, de la tendresse, et du soin pour soi-même. Je lui dirais de trouver les moyens pour cela : voir des amis, s'inscrire à l'aquagym, prendre un abonnement chez un institut : des choses simples. Je lui dirais aussi de refaire le chemin par la pensée, car cela permet d'arrêter de se blâmer.

En quoi ce dernier livre est différent des deux précédents que vous avez écrits sur le sujet ?

Ce livre est différent du premier livre (Pervers narcissiques, bas les masques), où je mets des mots sur ce que c'est un pervers narcissique et où je décris le phénomène. Le titre trouvé par l’éditrice était d'ailleurs formidable : j'essaie de faire tomber le masque, et d'expliquer ce qu'est la perversion narcissique, ce que c'est l'emprise.

Mon deuxième livre (Pervers narcissiques) est une espèce de grande illustration, où je prends des cas de manipulation que je démonte, comme un horloger démonterait une horloge pour essayer de percer à jour ce qui s’y joue. Le but était que, en situation, quelqu'un puisse apercevoir ce qu'il se passe. Quand on voit les « trucs » d’un prestidigitateur, ça ne marche plus : là était le but, que la manipulation ne marche plus.

Enfin, ce troisième livre correspond à l'accompagnement de l'après, du "Day After". Je pense que ce livre va aider des gens qui ne sont pas encore tout à fait partis d'une relation de ce type, mais qui ont une sérieuse conscience de ce qui se joue. Ce dernier ouvrage aussi, par rapport aux deux premiers, est particulièrement centré sur la relation amoureuse. 

Les relations d'emprise avec un pervers narcissiques peuvent en effet aussi se retrouver dans deux autres relations : les relations de travail et les relations parents-enfants. Cependant, pour ces deux cas, la question "pourquoi suis-je resté.e ?" trouve plus clairement ses réponses. Dans le cas de la relation parent-enfant, l'enfant reste car il est difficile pour lui de partir. Dans le cas de la relation de travail, on reste parce qu'un contrat de travail n'est pas simple à retrouver. Par exemple, une de mes patientes à l'étranger a réussi à sortir de cette emprise et à retrouver du travail, mais elle a dû déménager avec toute sa famille (son mari, ses deux très jeunes enfants) à plus de 1000 km pour cela... On peut également retrouver cette relation dans le cadre de l'amitié, mais quand on s’en rend compte, on coupe rapidement les ponts, peut-être plus facilement. C'est dans le cadre de la relation amoureuse où la question de rester ou pas se pose avec acuité

Avez-vous un dernier message à faire passer ?

Mon dernier message serait : attention, partir d'une relation sous emprise, c'est tout sauf simple, cela demande un vrai courage. Les gens qui sortent d'emprise sont des héros et héroïnes. Cela demande d'avoir au choix les ovaires ou les testicules bien accrochés.

L'autre message que j'ai envie de dire c'est "Bravo" "You did it!". J'insiste sur cette fierté car c'est elle qui contribue à la reconstruction, en se disant "Certes, j'y suis allée, mais bon sang, j'en suis sortie !".

Pourquoi suis-je resté.e ? Comprendre et dénouer le lien traumatique au pervers narcissique
« Pourquoi suis-je resté·e ? » C’est la question que se posent invariablement les personnes qui sont sorties d’une relation avec un pervers narcissique, lorsqu’elles commencent à prendre du recul sur leur histoire, avec l’impression de s’éveiller d’un mauvais rêve. Face à ce douloureux mystère — pourquoi reste-t-on sous emprise ? —, Anne Clotilde Ziégler apporte ici des réponses claires pour aider celles et ceux qui se trouvent concernés à faire la paix avec leur histoire et à se reconstruire après une relation toxique.

Dans cet ouvrage, elle analyse finement les stratégies mises en place par le prédateur, qui expliquent que l’on reste ferré dans la relation, mais aussi les vulnérabilités de la proie, dans lesquelles s’engouffre le pervers narcissique. Elle donne également de précieuses pistes pour sortir du piège.

Revenir sur ses pas afin de comprendre ce qui s’est joué est la clé pour pouvoir tourner la page et éviter que la situation ne se répète.

Un ouvrage salvateur pour toutes les proies d’un pervers narcissique car, non, elles ne sont ni faibles ni névrosées (du moins pas plus que tout un chacun) : elles sont piégées. La sortie d’emprise est longue et difficile, et c’est un combat qui mérite d’être reconnu.

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