Avec vue sur la mer : Le livre de Didier Decoin
La lumière du jour avait disparu lorsque la voiture, dont la carrosserie gémissait sous la griffure des fougères, s'engagea sur la route étroite qui, à travers une lande courue de murets de pierre sèche, dévalait en longues virgules jusqu'au hameau de La Roche. À un virage, juste à l'amorce du raidillon de terre qui menait au premier des chalets, le pinceau des phares éclaira, l'espace d'un instant, quelque chose de livide et de furieux. ? C'est la mer, annonça Mme T* du ton à la fois respectueux et embarrassé qu'on prend pour présenter une aïeule acariâtre.Sans doute voulait-elle plaisanter. Car j'eus beau écraser mon nez contre la vitre, je ne vis que les cheveux blancs d'un vieil ogre hurlant sa faim, une gigantesque marmite de vomi en ébullition d'où montait un remugle sauvage et musqué, un charivari de bêtes écumantes qui crachaient au ciel. ? La mer n'est pas du tout comme ça, dis?je avec assurance à la fille de la cuisinière (Baptistine, Bathilde, Bénigne? Un de ces vieux prénoms, c'est sûr...) qui, elle, ne l'avait encore jamais vue que sur des calendriers.Déjà la voiture s'engageait dans une allée envahie par les hortensias qui poussent dans la Hague avec une insolence d'ivraie. Avec sa courte tour trapue et ses gros murs de granit, la maison semblait sortie tout droit d'un roman de Daphné du Maurier dont je venais de lire, avec des frissons de terreur jubilatoire, "L'Auberge de la Jamaïque". On n'imaginait pas y arriver autrement qu'en calèche à capote de cuir attelée à des chevaux squelettiques menés par un cocher patibulaire, tandis que des nuées effilochées couraient devant la lune et que des chiens féroces hurlaient sur la lande. Le menton presque dans la mer ? enfin, dans cette fureur qui tenait lieu de mer ?, le chalet où nous allions loger calait sa nuque contre une falaise pâle qui évoquait irrésistiblement ces canyons sur la crête desquels on voit soudain, dans les westerns, se profiler des silhouettes d'Indiens. D'ailleurs, comme pour forcer letrait, des hordes de chevaux y galopaient en liberté. La fille de la cuisinière (Calixte? Camille? Caroline?...) se serra contre moi. Bien qu'on fût en été, le gardien avait allumé un feu dont les hautes flammes, attisées par le suroît, se contorsionnaient dans la cheminée. Ce n'était pas tant, nous apprit?il, pour assainir la maison restée longtemps inhabitée, que pour empêcher le Diable de descendre par le conduit, tout en rendant service, à peu de frais, aux gnômes des bruyères qui sont toujours en quête de tisons pour rallumer leur pipe. Il était toujours utile, en un lieu aussi éloigné des bienfaits ordinaires de la civilisation, de se concilier les faveurs des gnômes, conclut le gardien du chalet sur le ton le plus sérieux du monde.Les embruns avaient mis sur les vitres des fleurs de sel pareilles aux cristaux de neige. Un volet, quelque part, claquait au vent. La mer était invisible, mais on l'entendait feuler comme une bête féroce.
De (auteur) : Didier Decoin
Expérience de lecture
Avis Babelio
Irene__
• Il y a 8 mois
Une véritable déclaration d'amour à un petit "coin d'adoption" pour l'auteur : La Hague. La description des paysages est respectueuse de la réalité. Pour moi dont c'est la région, je ne peux qu'être heureuse de voir qu'elle plaît autant, aux habitants comme aux "horsains" J'ai offert ce livre à plusieurs reprises car il se lit très facilement et est plaisant.
Avis des membres
Fiche technique du livre
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- Genres
- Romans , Roman Français
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- EAN
- 9782841114146
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- Collection ou Série
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- Format
- Livre numérique
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- DRM
- Filigrame numérique
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9,99 € Numérique 122 pages