Mauvais élève : Le livre de Philippe Vilain
Dans
Mauvais élève, Philippe Vilain évoque une période déterminante
de sa jeunesse en milieu défavorisé, ses années de formation marquées par son échec scolaire et des épreuves qui l'ont vu évoluer, à force de volonté, du lycée technique à l'université, d'une détestation de la lecture à une passion pour la littérature, et l'ont mené, jeune homme, à vivre une histoire d'amour avec une écrivaine célèbre avant d'entrer dans le monde des lettres.
À travers son récit de transfuge, l'auteur poursuit sa quête de vérité et offre un véritable message d'espoir, révélant qu'une vocation peut combattre les déterminismes.
" Magique et magistral " de Christophe Bourseiller,
France inter
" L'écriture de l'intimité, chez Philippe Vilain, possède cette magie supérieure d'allier élégance stylistique et profondeur analytique. Tout est juste, beau, indispensable. " de Isabelle Bunisset,
Sud Ouest
" Un entretien riche en confidences, subtilité et humour. Attention, coup de cœur assuré ! " de Christophe Mangelle,
La Fringale culturelle
De (auteur) : Philippe Vilain
Expérience de lecture
Avis Babelio
pmgmeyer
• Il y a 1 mois
J'ai lu ce roman avec enthousiasme. Mon regard glissait sur les phrases avec gourmandise. Il me fallait lire la suite. J'étais surfer sur la vague, enivré par leur intelligence, leur délicatesse. Parti de rien, sans repère, cancre méprisé il découvre la lecture (comme René Frégni) et pressent que celle-ci va le sauver. L'auteur se fait sociologue et sans renier son passé, le décrypte et nous montre, avec une humble sincérité, le chemin qui lui a permis d'accomplir son rêve : devenir écrivain. Il décrit la cité, le bahut, sa famille. Il vous dira, en passant ce qu'il pense du milieu littéraire. Tout ça pour dire que ce livre, même si j'y viens, n'est pas entièrement consacré à Annie Ernaux, dont il fut l'amant et le disciple. Bien longtemps après cette aventure qu'il nous raconte, il montre un grand respect - on sent bien qu'il fût très épris - mais remet quelques pendules à l'heure, sans acrimonie et toujours passionnant. Un roman à mettre en parallèle avec "Le jeune homme" d'Annie Ernaux, maigre opuscule (on me pardonnera ce pléonasme, car le court récit l'est surtout littérairement) que la grande Dame fît de cette relation. Vous avez compris, je préfère nettement Philippe Vilain !
liberliber
• Il y a 1 mois
Lorsqu'on parcourt les critiques du dernier livre de Philippe Vilain, on ne peut que déplorer qu'elles se focalisent sur la relation entre celui-ci et Annie Ernaux. Or, « Mauvais élève » est bien plus que la relation d'une histoire d'amour entre une écrivaine célèbre et un homme de près de trente ans son cadet. Même s'il refuse ce qualificatif, l'auteur est un transfuge de classe. Il a grandi au cœur des grands ensembles de villes de l'Eure. Fils unique d'un homme alcoolique, et néanmoins attachant, et d'une mère courageuse qui s'occupe peu de son éducation, il est « un cancre irréductible » et pense qu'il va suivre, dans une sorte de « fatalité sociale », le schéma familial : devenir secrétaire comme ses parents. Pourtant, Philippe sent que cet avenir tout tracé n'est pas pour lui. Angoissé dès qu'il franchit le portail du lycée technique de Vernon, il rêve d'une autre vie. À partir de son expérience personnelle, l'auteur théorise, dans la lignée des travaux de Pierre Bourdieu et consorts, la violence de la reproduction dans la construction des individus. Sauf qu'il est l'exception qui confirmerait en quelque sort la règle. Avec une grande intelligence, il ausculte tout ce qui le différencie de son milieu : la honte des comportements propres à la classe des ouvriers et des petits employés (manières de manger, de s'exprimer...) ; celle des vêtements bas de gamme dont il tente de se débarrasser en volant dans les magasins ; le sentiment d'injustice... Quelles sont les raisons qui expliquent que, titulaire d'un BEP qui lui permettrait d'entrer dans la vie active, il décrochera un doctorat en lettres modernes en 2001 ? Brevet en poche, le Normand décide de s'inscrire en bac pro pour se donner le temps de réfléchir à son avenir. Et c'est la révélation : il se passionne pour la littérature et la philosophie qui répondent à son « goût pour l'introspection ». Celui qui écrit en incipit « lire m'ennuyait » devient un bibliovore compulsif. « Romans d'analyse », « textes pensifs », essais plus ou moins ardus, tout y passe. Même s'il ne saisit pas toutes les subtilités de ses lectures, il admire la capacité de certains auteurs « à déployer un discours d'abstraction complexe pour évoquer des questions aussi ordinaires que les paradoxes de l'existence ». Ce qu'il recherche dans les livres, ce sont des outils pour mieux se connaître. Cette ode à la lecture est l'une des dimensions les plus intéressantes de « Mauvais élève ». Tous les papivores se retrouveront dans cet éloge. Car, pour Philippe Vilain, la littérature l'a bien sauvé, lui qui n'avait jamais ouvert un roman avant sa majorité. Elle lui a permis « de vaincre la fatalité sociale ». Le déclic de cette prise de conscience le conduira tout naturellement à s'inscrire à la faculté de lettres de Rouen tout en écrivant. C'est au cours de ses études qu'il lit « La Place » d'Annie Ernaux. Il découvre un texte « magistral, simple et profond, universel » et émouvant par la ressemblance entre son propre parcours et celui de l'écrivaine. Il est tellement troublé par cette lecture qu'il écrit à l'autrice. Une correspondance s'engage avant une rencontre, un soir d'octobre 1993, au Café de Flore. Ce n'est que presque au mitan du récit que la relation épistolaire se transforme en une aventure charnelle. S'engage alors une liaison de cinq ans forcément déséquilibrée pour diverses raisons : la grande différence d'âge ; l'écart entre les statuts sociaux ; l'hétérogénéité des motivations – le désir d'un corps jeune pour elle, l'admiration pour lui – entraînant une forme de domination de l'écrivaine accomplie au mode de vie bourgeois sur l'étudiant désargenté et aux manières rustres ; et, surtout, la divergence des processus d'ascension sociale, Annie Ernaux ayant vécu dans une petite ville de la paisible campagne normande où ses parents étaient des petits commerçants et où elle fréquenta un établissement catholique, l'auteur ayant passé sa « prime jeunesse » dans une HLM, « puis dans une cité ouvrière cosmopolite ». Ce constat étant posé, la distance entre les deux itinéraires était immense. Annie Ernaux n'avait pas subi directement la violence, la pauvreté, le chômage, l'alcoolisme, l'échec scolaire, la banqueroute qui entraîne la perte du pavillon familial pour lequel on s'était endetté jusqu'au cou... Quand on parle de milieu modeste, il faut savoir où on place le curseur. La discordance vient aussi de l'adoption par Annie Ernaux de tous les codes des classes supérieures, alors que Philippe Vilain n'a jamais renié ses origines, et sa réelle affection pour ses parents, qui nourrissent son travail comme son enfance et sa condition de femme ont alimenté l'autrice de « Passé simple ». La première n'hésite alors pas à traiter de « plouc » son amant et à l'ignorer quand elle le traîne « dans le monde », magnifique observatoire de la comédie humaine. Tout en reconnaissant le rôle de formatrice exigeante et autoritaire de sa compagne, P. V. s'estime avoir été trahi par A. E., notamment dans ses textes (cf. « Fragments autour de Philippe V. », 1996 ; « L'Occupation », 2002 ; « Le Jeune homme », 2022) où elle se donne le beau rôle, lui étant réduit à « une chose sexuelle », alors que, dans leur correspondance privée, elle incarnait une amoureuse transie. P. V. se demande alors s'il n'y a pas un hiatus entre l'écrivaine et la femme exprimant chacune une vérité différente. Il s'interroge aussi sur le sens de l'autobiographie qui n'est peut-être « qu'une fiction qui s'ignore ». Bien qu'elle prétende « dire factuellement la vérité », elle « ment par ses omissions et sa rhétorique d'effacement ». Elle est « une fiction qui falsifie le réel pour produire une illusion du vrai ». Dans « Mauvais élève », récit en miroir, P. V. reconnaît qu'il a volontairement omis des événements qui auraient pu blesser A. E. Heureusement qu'il affirme avoir pris des précautions car la toute fin du texte manque singulièrement d'élégance. A. E. vient de rompre avec P. V. Bonne décision car ce dernier commençait sérieusement à s'ennuyer. La Prix Nobel ne va pas pour autant le « lâcher ». À l'issue d'un passage à « Bouillon de culture » pour évoquer « La Dernière année », son deuxième roman, elle appelle P. V. pour lui dire : « J'ai eu l'impression de voir un fils d'alcoolique parler. » ! Cette remarque méprisante fait écrire à P. V. qu'elle « ne vengeait pas le peuple à travers moi, elle le condamnait. » Alors qu'il a une liaison avec une autre femme, A. E. appelle P. V. pour le revoir et lui faire part de son regret de l'avoir quitté. « Elle confondait l'amour avec la possession » conclut l'auteur un brin vachard. EXTRAITS Même en amour, j'étais un mauvais élève. La violence que nous avions intégrée et que nos corps répercutaient dans le monde. Annie, soucieuse de m'instruire, incarna la figure d'une mère intellectuelle. La littérature était un supplément d'amour à notre relation, comme si la vivre ne suffisait pas.
PetiteBichette
• Il y a 1 mois
Vilain 1 – Ernaux 0 Règlement de compte à OK Corral… entre un jeune homme et une vieille dame. Enfin, le jeune homme n'en est plus à tout fait un, puisqu'il a maintenant dépassé la cinquantaine, en revanche, il le sera pour l'éternité dans le livre éponyme d'Annie Ernaux. Quelle n'a pas été ma surprise de découvrir que le fameux « A. » du roman d'Annie Ernaux était en fait un homme de lettres, docteur en lettres modernes de la Sorbonne. Pas mal pour celui qu'Annie Ernaux essayait de faire passer pour un garçon qui ne brillait ni par ses manières ni ses lumières, mais plus à ses yeux pour son corps, sa fougue et sa jeunesse. La lecture du jeune homme m'avait marqué pour le mépris insultant que l'autrice affichait envers A., plutôt P. en l'occurrence (pourquoi A finalement, A comme Annie ?). La gifle magistrale assenée par Mme Ernaux à P. retentit encore à ses oreilles Je découvre ainsi que les deux protagonistes se répondent par textes interposés ; Annie Ernaux a fait de leur relation le sujet de plusieurs de ses livres et leur combat de boxe se poursuit. Voilà qui m'a a fait écho au récent « Ta promesse », le dernier livre de Camille Laurens dans lequel une autrice d'autofiction se voit interdire par Gilles, son compagnon, d'écrire sur leur relation. Probablement que Gilles avait lu le jeune homme… La vie prédestinait Philippe Vilain à une vie sans éclat dans un milieu sans le sou, père alcoolique incapable de travailler, mère courage qui tente maintenir à flot le radeau, environnement de cité industrielle. Philippe Vilain sans aucune appétence pour les études ni la lecture, mauvais élève, est orienté en BEP, puis CAP de sténodactylo (ah bon ? ça existait encore dans les années 90 ?). Pour améliorer l'ordinaire, il commet des larcins dans les magasins qui auraient pu le mener sur le chemin d'une plus grande délinquance. Un détour par la gendarmerie le vaccinera de réitérer toute tentative à la vue de son père couvert de honte venu le chercher. Sans qu'il ne sache vraiment se l'expliquer, Philippe Vilain va soudainement prendre gout à la lecture, ce qui va finir par l'amener à correspondre, puis à rencontrer une certaine Annie Ernaux. Philippe Vilain, nous narre ainsi l'histoire de son entrée en littérature, jusqu'à son intronisation de docteur es lettres et sa relation de cinq ans et demi avec Annie Ernaux. Dans un premier temps, il peut se montrer reconnaissant, flatteur vis-à-vis de celle qui a été son pygmalion. Ainsi l'éloge :« le texte d'Annie Ernaux était magistral, simple et profond, universel. Décrivant le mode de vie populaire d'un père en même temps que l'éloignement intellectuel de sa fille devenue professeure, La Place ne manqua pas de m'émouvoir. […]. N'avais-je jamais ressenti une forme d'embarras, sinon de honte, lorsque des étudiants des classes supérieures me demandaient la profession de mes parents, et n'avais-je pas, à mon tour, en me préparant à m'élever dans la société, le sentiment de les trahir ? Au-delà de ce questionnement, j'étais surtout frappé par la puissance de l'écriture de ce texte, son extrême rigueur, sa force de concision, sa quintessence toute poétique, son exigence supérieure, la justesse horlogère des phrases, la mécanique narrative que je n'avais rencontrée dans aucun autre texte contemporain et qui, je le sentis immédiatement, faisaient la singularité d'une écrivaine importante. Ce texte m'avait tellement ému que j'écrivis à Annie Ernaux pour le lui dire, et lui confier le sentiment de parenté que j'avais avec sa vie, son histoire, son parcours d'étudiante à Rouen, sa manière de penser, sa passion pour la littérature, sa nécessité d'écrire. Et sa réponse ne tarda pas. » (p.99-100) Il reconnait ainsi que Ernaux lui a ouvert d'autres horizons, un autre champ des possibles, lui confère une position de mentor, de guide, qui lui a permis de s'élever intellectuellement à l'aide de voyages, d'expositions, de sorties dans le monde. Par petites touches, Philippe Vilain va venir égratigner son idole, en mettant en avant que celle qui se prétend transfuge de classe est une enfant de petits-bourgeois mal à l'aise dans le milieu ouvrier. Le premier coup de griffe va concerner la mythique origine populaire d'Annie Ernaux (qui ne semble plus berner grand monde) : « C'était une erreur de croire que nous avions vécu la même enfance, puisque, en réalité, et heureusement pour elle, elle n'avait pas subi directement la violence et la pauvreté des classes inférieures, les déshérités, elle n'avait pas affronté le licenciement économique de ses parents, les dettes et la saisie immobilière, l'alcoolisme d'un père, l'échec scolaire ; ses parents qui, à sa naissance, s'étaient déjà extraits du prolétariat ouvrier, faisaient désormais partie des petits possédants qui, pour reprendre le langage marxiste, jouissent des moyens de leur production. La pauvreté, elle ne l'avait connue que par procuration, derrière le comptoir du café, par le biais des clients dont mes parents auraient pu faire partie. Un monde séparait nos milieux modestes, et il y avait un gouffre contre son enfance vécue dans cette campagne protégée et mon enfance vécue en cité industrielle, entre sa scolarité effectuée dans une institution privée et la mienne en lycée professionnel, entre idéologie poujadiste et catholique de ses parents, et celle communiste et athée des miens. En somme, elle avait toujours été socialement supérieure à moi. » (p.121) Le deuxième crochet du droit révèle son malaise lorsqu'elle se trouve en présence d'un couple d'un milieu modeste : « le couple nous avait invités à déjeuner dans son appartement. L'homme ressemblait à tous les garçons des classes inférieures que je fréquentais, à mes camarades d'infortune, simples, souriants, dotés de peu de conversation en dehors du football. J'avais d'ailleurs remarqué l'embarras d'Annie au cours de ce déjeuner, devant ce couple auquel elle souriait mais n'avait rien à dire. En milieu populaire, c'était elle l'intruse. Je trouvais important que des intellectuels se politisent pour défendre les défavorisés, même si je me méfiais de ceux qui représentent le peuple sans y appartenir ou sans avoir avec lui une proximité désintéressée, des transfuges vertueux et autres altruistes ostentatoires qui fantasment leur rapport au peuple sans plus le fréquenter et partager ses valeurs et ses goûts […] Je voulais croire qu'Annie Ernaux ne faisait pas partie de ces intellectuels ambivalents. » (p.161-163) Philippe Vilain affecte de lui pardonner le mépris avec lequel elle le décrivait dans « le jeune homme », lui niant ses qualités, et le réduisant à un plouc non éduqué. A bien y réfléchir, cela n'oeuvrait pas non plus en la faveur de l'autrice, car à part faire de lui un gigolo, quel intérêt lui avait-elle trouvé, elle qui a partagé sa vie pendant tout de même cinq ans et demi ? « Je savais, par ce qu'elle me l'avait dit, qu'elle me voyait, ainsi que les bourgeois voient les gens des classes inférieures, comme un « plouc ». Mais je l'admirais trop pour lui en vouloir de me voir de la sorte, de me réduire à cela, me raccrochant à la tendresse qu'elle me donnait, à ses attentions, aux déclarations passionnées de ses lettres. Elle me rassurait, me divertissait quand il m'arrivait de sombrer dans mes tourments, m'incitait à profiter des moments présents. » (p.122) J'ai plus associé ces éloges à une certaine hypocrisie, avec le besoin de caresser pour mieux mordre la main qui avait asséné la gifle. Amer, il se demande s'il n'a pas été un simple jouet sexuel pour Annie Ernaux et si elle l'a jamais aimé : « Je venais de trop loin pour craindre les mots de la littérature, leur vérité, quand bien même ceux-ci me réduisaient à n'être qu'une potiche sexuelle, un homme soumis à la puissance d'une femme, aux gestes qu'elle percevait comme celui d'une émancipation féminine et que je voyais comme celui d'une domination sociale, d'autorité sur le jeune homme, qu'elle n'aurait peut-être jamais osé mettre en oeuvre avec un jeune homme d'une classe supérieure, dont elle aurait craint les représailles familiales - ce geste ne me paraît pas très différent de la façon avec laquelle, lors de l'hospitalisation d'Annie à l'Hôtel-Dieu de Rouen, le jeune interne en médecine, devinant qu'elle venait d'un milieu populaire, s'était permis de lui parler familièrement. C'est pourtant un sentiment de trahison que j'eus en lisant son texte, non parce qu'elle révélait notre rencontre – puisque, pourquoi ne pas le dire, je m'enorgueillissais qu'elle me consacre un texte, d'être couché sous sa plume-, mais parce qu'elle retranscrivait notre rencontre en se donnant le beau rôle, sans empathie pour ce jeune homme dont elle se contentait de dévoiler la gaucherie, la timidité, et duquel elle occultait toutes les qualités, auquel elle n'accordait aucun intérêt, qu'elle réduisait finalement à n'être qu'un vulgaire amant, une chose sexuelle. Je me sentais l'otage de la littérature. Il me semblait surtout que ce texte contredisait la centaine de lettres amoureuses qu'elle m'avait écrites depuis notre rencontre, et qu'il existait entre tous ses mots un hiatus, une discontinuité entre la sorte de mépris qu'elle semblait avoir pour le jeune homme du texte et la passion qu'elle lui confiait dans ses lettres : on aurait dit qu'elle n'était plus la même femme quand elle écrivait pour un public, et que ces mots, alors, se contrefaisaient, se bornant à retranscrire des faits sans plus se soucier de dire la réalité de ses sentiments, de ses émotions, de ses désirs, ne cherchant ainsi plus qu'à plaire ou à choquer, à provoquer des réactions positives ou négatives. Je voulais croire l'écrivaine différente de la femme, et qu'elle me réservait toute sa sincérité dans les lettres, mais peut-être au fond, était-elle sincère dans les deux situations, où les vérités n'étaient, tout bonnement, pas du même ordre, littéraire pour l'une, amoureuse pour l'autre. Son texte me donnait une leçon d'écriture plus générale et me révélait la façon dont un écrivain peut transformer son histoire, l'infléchir dans un sens plutôt que dans un autre, instrumentaliser ses expériences par les ruses du genre, et je me dis que, sans doute, l'autobiographie la plus sincère n'est peut-être jamais qu'une fiction qui s'ignore et qui, dans sa prétention à dire factuellement la vérité, ment par ses omissions et sa rhétorique d'effacement, ses distorsions et ses aveux décontextualisés, ses manipulations référentielles et sa stratégie de déprésentation narrative, une fiction qui falsifie le réel pour produire une illusion du vrai, trafique les souvenirs pour raconter une fable dans laquelle l'écrivain se donne un rôle, souvent le meilleur, et, ce faisant, s'abuse, se condamne à n'être jamais lui. » (p.187-189) Il ne cache pas non plus la relation d'emprise, de manipulation car si Ernaux lui paye ses voyages pour l'accompagner partout dans le monde, c'est dans une relation de donnant-donnant en jouissant de son corps et en en faisant la matière à même de nourrir son oeuvre. Annie Ernaux ne sort pas grandie de ce texte, car si elle quitte Philippe Vilain quand elle pressent qu'il lui échappe, elle va tenter de le récupérer quelques années plus tard, larmoyante, alors que l'auteur est en couple avec une autre. Philippe Vilain assène alors le coup final à Annie Ernaux, faisant définitivement choir l'icône de son piédestal. « J'étais peiné de voir cette femme indépendante, impérieuse et forte, implorant désormais mon aide, cette femme âpre, qui m'avait parfois vexé, se montrer si vulnérable. La seule explication qui me venait à l'esprit, et qui, d'une certaine façon, me consolait de ne plus avoir à faire à elle, était de penser que ce n'était peut-être pas tant avec moi, le jeune écrivain, aspirant intellectuel, qu'elle souhaitait partager sa vie, qu'avec un jeune homme désirable, qu'elle voulait conserver à sa disposition. J'en déduisis qu'elle ne m'aimait pas, qu'elle ne m'avait peut-être jamais réellement aimé, et je compris que, malgré son expérience, elle confondait l'amour avec la possession, et une chose m'apparaissait certaine : s'humilier de la sorte n'était pas de l'amour, car l'amour ne s'humilie pas, il laisse libre, et se réjouit du bonheur des autres, il renonce aux êtres qui lui sont le plus chers. » (p.228) Face à son refus, Ernaux dénigrera Vilain dans l'horrible « le jeune homme ». Le livre de Philippe Vilain ne m'a cependant ne m'a pas complètement convaincue, je n'ai pas été passionnée par sa vie, j'ai trouvé beaucoup de longueurs, de redites et d'ennui en lisant ses phrases à rallonge, les pages dédiées à son enfance et à sa période rouennaise. Si le livre m'a semblé sincère, j'ai trouvé qu'il manquait cruellement d'humour et d'autodérision avec un ton trop sérieux et classique. La blessure narcissique a été profonde et la mise à distance du sujet est encore douloureuse. Je n'ai pas apprécié ses plaintes à l'encontre du système littéraire que j'ai trouvées inélégantes en assurant que ses livres demeuraient assez confidentiels du fait qu'il n'était pas assez introduit dans le sérail culturel, et qu'en l'absence de réseau sa carrière ne décollait pas. Un peu plus d'humilité n'aurait pas nui (à sa décharge, Mme Ernaux n'est probablement pas la meilleure professeure en la matière), et le problème est peut-être à chercher ailleurs (mais cela ne semble pas lui effleurer l'esprit). Je ne pensais pas lire autant de pages centrées sur sa relation avec Annie Ernaux, comme si finalement sa vie avait surtout eu de la valeur du fait même d'avoir côtoyé cette femme. Même s'il en dévoile moins finalement en termes d'intimité que les 27 pages vengeresses de Dame Ernaux, le sujet central reste sa relation avec elle. La plus belle déclaration d'amour dans ce livre reste celle faite par Philippe Vilain à la littérature : « Nous n'avons rien dit quand nous disons que lire est important, il faudrait compléter ce propos en précisant que seule une certaine littérature nous élève, nous questionne pour nous donner accès au monde, et qu'une autre, en revanche, destinée à nous évader ou à nous distraire, nous fait stagner en ne nous apportant rien d'autre qu'un simple divertissement. Il m'apparaît clair aujourd'hui que je n'aurais jamais rattrapé mon retard, que je ne me serais jamais élevé dans les études, que je n'aurais jamais surmonté les difficultés de la scolarité, ni de me serais si longtemps maintenu dans un système si sélectif, et ne serais jamais non plus devenu écrivain sans avoir lu la littérature la plus exigeante. Ce sont ces oeuvres-là qui détiennent les clés de nos existences et nous permettent de comprendre le monde. […] Proust me terrifiait parce que je trouvais en le lisant tout ce que j'avais ressenti. Personne ne semblait m'avoir moins connu que lui, et pourtant personne n'avait mieux parlé de moi, aussi intimement. J'avais le sentiment qu'il exprimait tous les sentiments, toutes les émotions, toutes les sensations que j'avais éprouvées sans réussir à me les formuler aussi intelligemment, tout ce sur quoi ma conscience s'était penchée sans s'y attarder, et c'était comme s'il ventriloquait mes pensées à propos de l'adolescence, qui est peut-être le temps de la véritable connaissance intime et de l'apprentissage de soi, de la sagesse qu'il faut découvrir et non attendre, de la fantaisie qui doit nous diriger, de l'espérance qui n'empêche pas l'attente, de l'audace qui favorise ceux qui se risquent, de l'amour qui nous fait parfois aimer en dépit des êtres mêmes et en raison du monde que ceux-ci nous promettent, du rêve que nous poursuivons dans les personnes que nous aimons, des intermittences du coeur et de l'inquiétude qui le gagne même dans le calme […]. » (p.135-136) C'est le souvenir de cette déclaration que je souhaite conserver de ce texte : « Ce n'est pas une formule creuse de dire que la littérature me sauva. Je réalisais ce que la littérature m'avait apporté, la nouvelle vie, plus libre, qu'elle m'avait fait gagner : intellectuellement, celle-ci m'ouvrit au monde et me fit évoluer en enrichissant mon langage, m'offrit un instrument de connaissance et de compréhension de l'humanité, de la société ; socialement, elle me donna une place et un statut, une légitimité et une existence dans un paysage littéraire très concurrentiel ; économiquement, elle me rémunéra ; moralement, elle me servit de guide, me corrigea et m'améliora en me permettant d'accomplir un travail personnel d'analyse sur moi-même et en me faisant échapper à la solitude, au mutisme dans lequel je m'enfermais, en me dotant ainsi d'une meilleure image de moi-même, en effaçant celle de mauvais élève qui m'avait longtemps poursuivi.[…] Je ne parviens à poster l'intégralité de la citation, mon billet étant trop bavard, je la mettrai in extenso dans les citations :-)
Mareteint
• Il y a 1 mois
Une trajectoire inattendue. Du BEP dactylo au doctorat en lettres modernes, Philippe Vilain a défié les lois du déterminisme social et des probabilités. Il a progressivement gommé cette image de mauvais élève que la lecture rendait complètement indifférent pour se métamorphoser en un expert passionné de littérature. Comment a-t-il pu échapper à ce destin peu engageant que son milieu social défavorisé lui reservait ? Un père alcoolique, une mère fuyante, des résultats scolaires en berne, la trajectoire de Philippe Vilain ne présage rien d'ascensionnel. Pourtant, une prise de conscience conjuguée à de la motivation, du travail et des rencontres vont l'aider à bifurquer de cette ligne toute traçée. Dans ce qui relève davantage de l'autobiographie que de l'autofiction, l'auteur revient sur une enfance compliquée et sur ce qui lui a permis de rencontrer la littérature. Et puis, cette bascule, un jour où son père lui désigne un livre sur un tourniquet et le nom d'une auteure à laquelle il prétend avoir vendu un ouvrage à l'occasion d'une brocante. C'est le début d'une longue correspondance avec Annie Ernaux qui lui permettra de rentrer dans l'intimité de l'écrivaine... Philippe Vilain est le fameux "Jeune homme" du court récit d'Annie Ernaux qui lui a permis de retrouver l'inspiration et sans doute de s'offrir une cure de jeunesse en le considérant comme l'objet de ses désirs. De nombreuses pages sont consacrées à leur relation. L'auteur tente de démystifier la grande autrice en la présentant à la fois comme son pygmalion mais aussi comme une femme froide, hautaine, manipulatrice, provoquant chez lui une forme de honte sociale et n'hésitant pas à dévoyer la réalité pour le besoin de ses écrits. Selon lui, le milieu populaire dont elle se réclame ne serait pas le sien. Je ne connais pas suffisamment les deux protagonistes, ni leur œuvre, pour me permettre d'émettre un quelconque jugement. Cependant, il faut reconnaître que tout cela leur a permis de faire couler un peu d'encre...
Avis des membres
Fiche technique du livre
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- Genres
- Romans , Roman Français
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- EAN
- 9782221279502
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- Collection ou Série
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- Format
- Livre numérique
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- DRM
- Filigrame numérique
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