Dans ses yeux : Le livre de Eduardo Sacheri

Buenos Aires, 1968. Benjamin Chaparro est alors un jeune secrétaire au palais de justice, secrètement amoureux de sa supérieure, une belle Irène. Son collègue Sandoval, un alcoolique reconnu, ne l’aide pas, encore mois sa hiérarchie, plus enclin à faire bonne impression auprès de la nouvelle dictature qu’à réellement résoudre des petites affaires de viol et de meurtre. Pourtant Ben va se mettre à corps et à cri dans cette affaire irrésolue. Des années que cette enquête va l’obséder – autant que l’amour silencieux que son âme porte sur cette si magnifique et si souriante brune, déesse de la pampa… pendant que dans l'Argentine de cette époque, les cadavres commençaient à affleurer massivement sur les côtes. Autant le dire de suite, je connais le film de Juan José Campanella presque par cœur, avec un Ricardo Darín toujours aussi magnétique. J’ai dû le voir une demi-douzaine de fois et je n’ai pas manqué de le revoir, aussitôt la dernière page tournée du roman d’Edouardo Sacheri, auteur et du coup co-scénariste également du film. Intéressant, d’ailleurs de replonger dans ces deux histoires, le roman et le film, qui différent légèrement. De légers détails qui au final en ferait un film presque différent du roman. Bref, je ne suis pas là pour te vendre le film, ni même le roman, je n’ai rien à vendre, rien à proposer, j’erre juste sur les rivages de cette Argentine, au cœur de la dictature, m’arrêtant de temps en temps dans un bar où de vieux chorizos séchés sont pendus, un verre de vin rouge, ou une Quilmes au doux parfum de souvenir et de mélancolie. Et sur le zinc collant, je sors mon bouquin, genre l’amour au temps de la dictature, commande du jambon, y dos Quilmes por favor, et me plonge dans ses yeux pétillants…

Un très bon et beau roman qui narre l'amour au bout de 30 ans d'un fonctionnaire fiscal pour une femme à qui il n'ose pas déclarer sa flemme. En même temps cet homme qui a dénoncé un criminel, se voit obligé de fuir Buenos Aires pendant sept années. Une histoire magistralement racontée qui laisse le coeur tellement attristé. Le film inspiré du livre et dirigé par Juan José Campanella obtint l'Oscar du meilleur film étranger en 2009, très fidèle au livre.

Je connais très peu, pour ne pas dire pas du tout, la littérature sud-américaine. Du coup, je ne savais pas trop à quoi m’attendre en ouvrant le roman d’Eduardo Sacheri mais j’ai été agréablement surprise. L’intrigue est simple : arrivé à l’âge de la retraite, le secrétaire juridique Benjamin Chapparo décide de faire ce qu’il a toujours rêvé de faire : écrire. Sur sa vieille Remington, empruntée au tribunal de Buenos Aires avant son départ, il décide de raconter une affaire sur laquelle il a travaillé et qui a bouleversé sa vie : le meurtre de Liliana Emma Colotto. La construction du roman est intéressante : l’auteur alterne les chapitres rédigés à la troisième personne, où l’on suit le Benjamin retraité penché sur son roman et en proie à toute une série de doutes, et les chapitres à la première personne, ceux que Benjamin écrit pour raconter son histoire étroitement liée à celle Liliana et de son mari Ricardo. Le style est simple, sans fioriture. Ce n’est pas réellement un polar, plutôt un roman d’enquête judiciaire qui se lit d’une traite car le suspense est bien présent. S’il n’avait pas fait partie du challenge « Du livre au fil », je serai plus que probablement passée à côté , ce qui aurait vraiment été dommage...

Ce roman nous entraîne dans une histoire ayant pour cadre l'Argentine des années 60-70-80-90. Le jour de sa pension, Chaparro, chef administratif du secrétariat de la 41é chambre criminelle d'instruction du tribunal de Buenos Aires décide d'écrire un roman qui reviendrait sur l'affaire qui a marqué sa vie : le meurtre de Liliana Emma Colotto. Alternant les chapitres consacrés à l'enquête proprement dite et ses suites (sur plus de 30 ans) et ceux consacrés à la rédaction même du roman de Chaparro, ce roman plein de finesse va au-delà des carcans habituels des polars pour nous offrir une histoire mêlant les genres. Les personnages sont très réussis et sont particulièrement touchants. Sandoval, l'adjoint de Chaparro, notamment, a vraiment réussi à m'émouvoir et sa relation avec son patron est subtilement narrée. Le contexte est également judicieusement exploité, les interférences avec la gent militaire et dictatoriale étant placées par petites touches qui n'en sont pas moins glaçantes et ont énormément d'impact sur le lecteur : arrestations arbitraires, passages à tabac, tortures, exécutions sommaires... J'avoue tout de même une petite déception pour la fin de l'histoire, fin que j'avais soupçonnée depuis une bonne moitié de roman...sans doute parce qu'elle est exploitée quasiment à l'identique dans une de mes BD culte. Une belle lecture, je me réjouis d'en voir l'adaptation, récompensée par un oscar.