Embuscade à Fort Bragg : Le livre de Tom Wolfe

Ça grince avec Tom Wolfe surtout quand il s'attaque à l'armée américaine et aux médias. J'avais déjà un bon souvenir d'une lecture ancienne de l'auteur américain dont le nom est proposé dans le cadre du challenge Solidaire. J'ai donc choisi au hasard "Embuscade à Fort Bragg" parce qu'il est court et disponible à la bibliothèque. Je n'en attendais rien de particulier et j'avoue avoir été intéressée jusqu'au bout par cette histoire sordide et suffisamment cynique pour rappeler l'Amérique de Trump alors que le livre a été publié il y a une trentaine d'années. Fort Bragg est un camp d'entraînement d’unités d'élite, de commandos en tous genres, de forces spéciales, de la testostérone sur pied en quelques sortes. Trois d'entre eux, Jimmy Lowe, Flory et Ziggefoos, sont filmés à leur insu par une équipe choc de la télévision qui cherche à faire de l'audience sous couvert de justice sociale. Les trois rednecks fréquentent le bar topless appelé le DMZ de Fayetteville et c'est là qu'ils vont évoquer, en buvant et causant en patois rural, le meurtre sordide de Randy Valentine, un jeune ranger homosexuel. Mais pour coincer les trois meurtriers homophobes dans cette affaire à scandale le principe de l'émission Day Night est de tendre une embuscade pour les confronter devant une caméra. Le cerveau est le producteur Irv Durtscher trop souvent dans l'ombre à son goût car la vedette est l'animatrice de l'émission, Mary Cary Brokenborough, une blonde à la Dolly Parton, célèbre dans toute l'Amérique pour ses shows. Sans scrupule, ils vont faire un montage porno avec Lola en intégrant les captures des révélations involontaires, un traquenard qui permet à la jeune strip-teaseuse de montrer qu'elle n'a pas froid aux yeux. Mais ça c'est avant que Mary Cary n'intervienne. Entre les théories lamentables sur la virilité des unités combattantes et la violation des lois par une élite médiatique Tom Wolfe balance sur l'impunité des uns et l'hypocrisie des autres. Alors, c'est sûr que ce pionnier du nouveau journalisme dérange avec cette histoire qui n'est pas faite pour remonter le moral mais j'avoue avoir lu avec plaisir cette "Embuscade à Fort Bragg".

Soyez les bienvenus en Caroline du Nord – ou pas. Ce court roman de Tom Wolfe a été écrit en 1999 et pourtant, il nous montre tous les travers de notre société du spectacle, ce goût à la fois pour la télé-réalité et pour les true crime. Oui, un jeune soldat a été tué, sans doute parce qu’il était homosexuel. Les coupables courent toujours, mais un producteur et la présentatrice de son émission phare ont bien l’intention de prouver la culpabilité de trois soldats, quitte à utiliser des méthodes pas forcément légales, et pas forcément d’une scrupuleuse honnêteté. Rendre la justice ? Non, certainement pas. Le but est de faire de l’audience, encore et toujours de l’audience. Ce qui a été filmé est fait pour être coupé, monté, et tant pis pour la justice si l’on coupe ce qui pouvait donner une image un peu plus juste de ces trois soldats, ces trois rednecks qui ne sont peut-être pas coupables de ce qu’on leur reproche, qui sait ? Encore une fois, rendre la justice, dénoncer l’homophobie, montrer l’armée sous son jour le plus noir ne sont pas les préoccupations majeures d’Irv Durtscher, producteur de son état. Je salue le travail de Benjamin Legrand, le traducteur, qui a dû passer de longs moments à trouver comment transcrire au plus juste la manière dont les trois soldats s’expriment. Oui, ce n’est pas facile à lire, et même Irv Durtscher se questionne sur ce parlé, ce phrasé, avec en prime l’accent du sud, lui qui se montre déjà exaspéré par l’accent de sa présentatrice vedette, Mary Cary Brokenborough, une femme « qui en a » et qui sait ce qu’elle veut – en matière de notoriété. Une oeuvre que j’ai découverte grâce au challenge Solidaire sur Babelio

L'intrigue met en scène des journalistes télé prêts à tout pour fabriquer un reportage sur un meurtre commis par 3 militaires quitte à manipuler les témoignages et à orchestrer le pathos. C'est une histoire efficace, directe, portée par une ironie mordante et qui interroge sur notre rapport à l'image. "Ces trois-là faisaient partie de la troisième génération d'enfants de la télévision. Pour eux, la télévision n'était pas un moyen de communication, c'était l'air que l'on respirait."

Des journalistes de la télévision américaine montent une embuscade à 3 jeunes soldats, soupçonnés d’avoir battu à mort un de leur camarade parce qu’homosexuel. Caméras cachées dans un bar topless, danseuse complice, mobil home de compétition pour la scène finale. Les dessous de la télé-réalité ou comment faire de l’audimat : choix des séquences, coupes au montage pour donner la direction voulue par la chaine et mettre en valeur la présentatrice de « Day and Night » Mérry Kérry Brokenbérrouh »… Ce grand déballage médiatique face à la grande muette a le mérite de mettre en lumière ce que certains veulent dissimuler mais aussi la manipulation dont nous sommes tous victimes devant l’information, maintenant H24 sur les chaines spécialisées. Éteignez la télé, ouvrez un livre.