La Vénus à la fourrure : Le livre de Leopold von Sacher-Masoch

Au-delà de la plume fabuleuse de l'auteur, d'un romantisme qui n'a sans doute jamais entendu parler de Flaubert, de Zola, de Balzac, une plume qui se sent libre de jouer des références antiques, avec la précision et le savoir d'un humaniste, c'est bien la Vénus à la fourrure qui fait la grandeur de ce roman. Sachser-Masoch réussit son pari d'écrire un personnage au delà de sa compréhension, mais pas nécessairement de celle de ses lecteurs. Face à ce personnage qui échappe à son auteur, on a réellement l'impression de lire une autobiographie, que Wanda n'a pas été créee de toute pièces, mais est une véritable femme que l'écrivain n'a jamais pu saisir. À chaque page qui coule elle prend en autonomie, en grandeur, à mesure que Séverin sombre dans le ridicule, la couardise. Étrangement, on se prend à déprecier cet homme, malgré les efforts de Sachser-Masoch pour le rendre profond, capable de réflexions marquantes... En réalité, c'est un échec. Séverin est un homme de son époque, à l'image de son créateur, et prouve au fil de l'intrigue qu'il est bien loin de ce que vois Wanda en lui, dans sa suprasensualité même, qu'on finit par penser factice. Heureusement, il nous reste la Vénus à la fourrure.

J'ai trouvé ce livre proprement génial, emblématique, fin dans son approche psychologique des personnages, et pur dans la description qu'il fait d'un des visages de l'Amour. Un visage sordide, il est vrai, qui exhale un nihilisme entêtant, où, pour contrecarrer la versatilité (supposée, dira-t-on par précaution) des femmes en matière d'amour, l'acceptation de toutes les avanies, le plongeon dans l'esclavagisme le plus avilissant deviennent une solution pour l'amant… Je ne vous apprends rien : le mot masochisme provient du nom de l'auteur, Sacher-Masoch - comme sadisme, De Sade… Le personnage principal, Séverin, rencontre Wanda, la Vénus à la fourrure, et l'implore de devenir sa dominatrice idéale, de le soumettre, pour laisser libre cours à ses fantasmes sexuels. Il fait alors montre d'une servilité éclairée, volontaire, comme une manière de la courtiser, avec l'espoir d'entretenir une flamme éphémère. Et cependant, à force de coups de fouet, alors que le sens du rapport de domination semble évident, on se demande si l'esclave qui supplie de se faire frapper n'est pas le véritable maître dans cette affaire. Quand l'un réclame et l'autre agit en fonction, qui a l'ascendant ? La dialectique maître-esclave se renverse souvent, et Séverin paraît bien avoir fabriqué sa maîtresse, lui avoir implanté un nouvel instinct qui finit par échapper à ses désirs et son amour. La morale est ambiguë, tant et si bien que notre logiciel contemporain atrophié et binaire ne saurait trancher si elle est féministe ou misogyne. Elle prend place dans une fin très réussie, d'une cruauté aussi électrisante que drôle. Cette lecture fut une excellente surprise.