L'attrape-coeurs : Le livre de J.D. Salinger

Déstabilisée au départ par l’écriture, par ce style familier et argotique qu’on ne rencontre habituellement que ponctuellement dans certains romans, j’ai finalement pris le rythme et je me suis laissée emporter par l’esprit tortueux et tourmenté de ce jeune adolescent, Holden. J’ai eu peur, au fil de son errance, qu’il lui arrive quelque chose, tant il passe de lieux en lieux et de personnes en personnes, tentant de créer des liens sans réellement y parvenir — ou sans en avoir véritablement envie. Nous avons un adolescent complètement perdu, qui se cherche lui-même dans un monde incertain pour lui. Il pose parfois un regard juste, parfois un regard très enfantin, parfois un regard dur et plein de rejet. Il est en plein ascenseur émotionnel. Être dans la tête d’un adolescent est ici une chance pour percevoir le chaos que peut traverser l’être humain à ce moment de son développement. Holden va-t-il trouver son identité ? Oui, j’ai aimé être avec Holden tout au long de ces pages, avec parfois l’envie de lui tendre la main pour l’aider à s’ancrer. Il ne se passe pas grand-chose au cours de son récit, en apparence : on le suit, il rencontre des personnes et il continue son chemin. Un peu comme dans un roman où un héros est en quête d’un Graal et croise des personnages qui, tour à tour, l’empêchent d’avancer ou au contraire l’aident. Ici, Holden est en quête de son identité. Il est profondément marqué par la disparition de l’un de ses frères, et finit par se raccrocher à une seule chose : l’amour qu’il porte à sa petite sœur. Mon moment préféré — ou plutôt mes deux moments préférés — ce sont ses conversations avec les chauffeurs de taxi à propos des canards et des poissons de Central Park. Celle avec le deuxième chauffeur est complètement décalée. Holden est paumé et son esprit tourne en boucle sur ces canards, comme pour échapper à la réalité : se focaliser sur un détail sans importance afin de fuir sa dure réalité, ses angoisses.

On nous a dit que c'était le roman de l'angoisse adolescente. C'est bien plus que ça. C'est le cri de lucidité d'un jeune face à un monde d'adultes qu'il perçoit pour ce qu'il est : une immense comédie sociale, une société de "frimeurs" (phonies). La révolte de Holden Caulfield n'est pas un caprice. C'est une allergie à l'hypocrisie, à la superficialité, à la perte d'authenticité d'un monde régi par l'argent et les apparences. Il cherche désespérément quelque chose de vrai dans un monde qui est devenu faux. Mais sa révolte est tragiquement solitaire. Il n'a pas les outils politiques pour nommer l'ennemi. Il voit les symptômes de l'aliénation, mais pas le système qui les produit. Sa seule issue est la fuite, une fuite qui le mène à la dépression. C'est le portrait bouleversant d'une conscience révoltée avant l'heure de la conscience politique.

Le style d'écriture est déroutant, c'est vrai et parfois agaçant, mais ce qui rend plus authentique ces quelques jours passés dans la peau d'un adolescent qui a un mal-être et ne sait pas où il va. Ce roman peut parler à beaucoup de gens qui finalement ont, sans vivre les mêmes déconvenues, partagé les mêmes doutes qu'Holden.

Holden est un jeune homme américain de 17 ans qui vient à nouveau d'être exclu de son pensionnat. Mal dans sa peau, il ne supporte plus son collège ni les autres pensionnaires. Submergé d'idées noires, il fuit et nous raconte son errance dans New York et les mauvaises rencontres qu'il y fait. Holden est un personnage extrêmement attachant et j'ai beaucoup aimé lire ce livre bien qu'il soit écrit le plus souvent en langage familier. En revanche j'ai été un peu déçue par la chute de l'histoire.