Le Prophète : Le livre de Khalil Gibran

Je ne suis pas souvent touché par ce genre de texte, et pourtant Le Prophète m’a surpris par sa profondeur et sa poésie. Chaque page résonne comme une méditation, une parole douce et intemporelle qui semble s’adresser directement à l’âme. Ce qui m’a le plus marqué, c’est le passage sur l’équilibre entre la tristesse et le bonheur. En le lisant, j’ai senti une émotion discrète mais intense me traverser, presque à mon insu. C’était un moment inattendu, délicat, comme si les mots avaient ouvert en moi un espace que je ne connaissais pas encore. C’est un livre qui ne se lit pas comme un roman, mais plutôt comme une source à laquelle on revient, selon l’humeur ou le moment de sa vie. On peut y trouver du réconfort, des réponses ou simplement une belle musicalité poétique qui apaise. Le Prophète n’est pas simplement un livre de réflexions, c’est une rencontre. Une rencontre avec soi, avec l’autre, avec quelque chose de plus grand. Et c’est peut-être pour ça qu’il continue de parler à chaque génération.

Al-Mustafa est l’élu, le prophète. Il doit quitter les siens et sa chère Orphalèse. Un bateau l’attend sur le quai qui l’emmènera sur l’île de ses souvenirs. Il profite alors de ces derniers instants pour enseigner à ceux qui l’entourent la vérité sur ce qui dépasse les hommes. Le prophète est un long poème en prose qui explore des thématiques diverses et variées : l’amour, l’alimentation, le travail, les émotions, la justice, la douleur, le temps, la religion, la mort... J’ai particulièrement apprécié sa vision de la beauté - fin, objectif et moteur de l’homme - comme raison d’être et de la mort empreinte de lyrisme. Je n’en dirai pas autant de sa vision du vol et du mal. Comme excusés voire justifiés, cet esprit rousseauiste - d’un homme naturellement bon - peut interpeller le lecteur. L’ensemble se lit très rapidement et facilement, voyons-le comme un recueil de leçons de vie, de méditations, sans tomber dans les écueils des ouvrages de développement personnel. Mon libraire, qui m’avait conseillé ce petit ouvrage, m’avait fourni son interprétation de la fin afin de me vendre son produit (ce qu’il a réussi à faire). Ce qui n’est pas très gênant compte tenu de sa brièveté. En effet, nous devinons assez aisément que cette traversée en bateau est une allégorie de la mort, des derniers instants d’un mourant qui dispense ses dernières paroles. La toute dernière phrase laisse présager une réincarnation prochaine d’Al-Mustafa dans le ventre d’une autre femme. Voyons cela comme une illimitation de la vie, un cycle d’existence voué à se répéter indéfiniment. L’au revoir prendrait alors tout son sens, l’adieu n’en aurait plus.

Le Prophète de Khalil Gibran. D’origine libanaise, émigré aux États-Unis, marqué par l’exil, Khalil Gibran a fait de son art une forme de lien entre l’Orient et l’Occident, un message de paix universelle. Cette dualité se retrouve dans le processus même d’écriture du Prophète, d’abord rédigé en arabe à l’adolescence, puis remanié des années plus tard en anglais. C’est d’ailleurs la publication de ce livre en 1923, en anglais, qui a lancé la notoriété de Khalil Gibran dans le monde occidental. Le récit est centré sur Al-Mustafa, un prophète qui a passé douze ans dans la ville d'Orphalèse, attendant l'arrivée d'un navire pour le ramener chez lui. Au moment de partir, il partage des leçons de vie avec celles ceux qu’il a côtoyé(e)s, des personnages qui l’interrogent à tour de rôle. On peut aussi parler de recherche de sagesse à la croisée de l’islam et de la chrétienté. Les thèmes abordés visent à l’accomplissement de soi, au-delà de nos simples existences et sont porteurs d’optimisme et d’espoir, autour des sphères intimes et publiques, de la famille, de l’amour, de l’amitié, des rapports sociaux, des sentiments, de la vie et de la mort… ; Al-Mustafa évoque des notions beaucoup plus larges comme la justice, le bien et le mal, les châtiments… Il parle aussi des contingences matérielles, du manger et du boire, des vêtements, des biens que l’on achète ou que l’on vend… Il intervient enfin en matière de religion, du besoin de rêver pour construire son avenir, de la nécessité d’être relié à l'univers et d’avoir confiance en soi. Le message est clair et fluide et en même temps « vague et nébuleux ». Il faut lire ce texte à petite dose pour vraiment en profiter. C’est un texte à connaître. Je le trouve apaisant et réflexif. Personnellement, j’ai ressorti ce livre des rayonnages numériques de ma liseuse pour accompagner l’écoute d’une adaptation théâtrale sur France Culture, que je vous recommande : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-fictions-avignon/le-prophete-de-khalil-gibran-8033292?at_medium=newsletterat_campaign=culture_quoti_editoat_chaine=france_cultureat_date=2025-07-11at_position=5

Une magnifique prose libre sur la vie, l’âme et le sens que l’on choisit de donner à ces deux choses. Le prophète ne donne pas de pensées, mais à penser. J’y ai retrouvé beaucoup de la sagesse que j’avais tant apprécié dans Siddharta de Herman Hesse ; l’essentiel ne peut pas être dit, il ne peut qu’être vécu ; et chaque poème intérieur d’un seul individu sera infiniment plus vaste et puissant que ce pourront jamais transcrire les mots et les paroles.