Les bouts de bois de Dieu : Le livre de Ousmane Sembène

Le titre du roman, « Les bouts de bois de Dieu », est polysémique et lourd de sens. Dans la tradition populaire, compter les personnes en « bouts de bois » vise à conjurer le mauvais œil, mais Sembène va plus loin : il suggère que, pour les colonisateurs, les Africains ne sont que des objets interchangeables, des pions sans individualité ni dignité. Pourtant, ces « bouts de bois » s’animent, s’organisent, deviennent force collective et humaine. L’intrigue s’ancre dans un événement historique majeur : la grève des cheminots de la ligne Dakar-Bamako en 1947-1948. À la manière de Zola et du roman naturaliste, Sembène décrit avec une grande précision la vie quotidienne, les privations, la solidarité et les tensions qui traversent les familles et les communautés. Le roman donne la parole à une multitude de personnages, incarnant la diversité des points de vue : syndicalistes, dirigeants, femmes, enfants, vieux sages… Au-delà de la simple chronique d’une grève, le roman dresse un portrait saisissant du colonialisme français en Afrique de l’Ouest. Les chefs blancs, retranchés dans leur monde, apparaissent déconnectés et méprisants, tandis que les ouvriers cheminots, malgré la misère, font preuve d’une dignité et d’une solidarité exemplaires. Sembène montre comment la lutte collective permet une prise de conscience politique et identitaire. Un aspect remarquable du roman est la place accordée aux femmes. Loin de rester en retrait, elles s’organisent, prennent des initiatives et deviennent des actrices majeures du mouvement. Cette grève est aussi un moment de transformation sociale : les rapports de pouvoir évoluent, les mentalités changent, et l’on sent poindre l’espoir d’un monde nouveau, plus juste et plus égalitaire. Bien que le roman relate des événements de 1947, sa portée est universelle et intemporelle. Les thèmes de l’exploitation, de la dignité, de la solidarité et de la lutte pour la justice résonnent encore aujourd’hui, en Afrique comme ailleurs. Sembène signe une œuvre vivante, engagée, qui interpelle le lecteur sur la condition humaine et sur la nécessité de résister à l’injustice. « Les bouts de bois de Dieu » est bien plus qu’un roman historique : c’est une fresque humaine, un manifeste pour la dignité, la solidarité et l’émancipation. Par la richesse de ses personnages et la force de son écriture, Sembène rappelle que, face à l’oppression, les « bouts de bois » peuvent devenir une forêt indestructible. Une œuvre à lire, à méditer, et à transmettre.

Sénégal, Mali, fin des années 40, une lutte s'engage entre les employés des chemins de fer et la direction. Cela débouche sur une grève qui va durer des semaines et entamer les plus fortes volontés. Une épreuve de force qui va se prolonger pour ces familles à qui on aura coupé l'eau et demandé aux commerçants de ne plus leurs vendre de riz. Des familles entières livrées à la faim mais solidaires et fières prêtes à aller jusqu'au bout pour que leurs droits soient reconnus. Les femmes occupent une grande place dans ce récit, je dirais même supérieure à celle des hommes. Soutien indispensable, sans elles, rien n'aurait pu tenir. Noirs et blancs, deux mondes s'affrontent, face à face, deux mondes qui ne se mélangent pas. Ils ne sont pas égaux, d'un côté la prison pour une insulte, de l'autre l'impunité pour des meurtriers. Une force émane de ce roman, un souffle à travers de multiples destins, personnages, épisodes de douleurs et de joies mêlés, l'humour n'a pas été oublié par l'auteur et allège le propos. Ousmane Sembène s'est inspiré pour ce livre d'un vrai épisode de grève des cheminots en 1947-1948. Un très bon livre qui m'encourage à aller de plus en plus vers la littérature africaine.