Les Scènes de ma vie : Le livre de Marthe Keller

Encore un clin d'oeil à la Suisse lors de la dernière Masse Critique avec ces souvenirs de Marthe Keller ! Moi qui suis un piètre cinéphile et fréquente peu les théâtres, j'avais gardé comme lointain souvenir de Marthe Keller son rôle dans "La Demoiselle d'Avignon" ! Heureusement que ce livre m'a permis de rattraper mon retard de ces cinquante années bien remplies. Avant la fameuse série télévisée du début des années 1970, Marthe Keller nous présente son enfance bâloise avec des parents aimants, puis son apprentissage de la danse interrompu par un accident et ses débuts au théâtre en Allemagne. Puis c’est une belle carrière artistique. Au cinéma, Marthe Keller tourne sous la direction de Philippe de Broca, Claude Lelouch, Clint Eastwood ou Nikita Mikhalkov et avec Marcello Mastroianni, Al Pacino ou Marlon Brando. Au théâtre, elle joue Shakespeare avec Patrice Chéreau, autant que James Joyce ou Anton Tchekhov, son auteur préféré. Elle collabore aussi à des œuvres musicales, comme Jeanne au Bûcher d’Arthur Honegger avec Seiji Osawa, ou met en scène des opéras. Dans toutes ces expériences se révèle son exigence vis-à-vis d'elle-même et une forte capacité à toujours questionner ses choix. Avec simplicité, elle a aussi un désir important de transmettre son art et je trouve très riche l’exemple qu’elle donne d’un stage à Lausanne. Plus personnellement, trois éléments me rejoignent dans ce livre. Il y a deux lectures que je viens de terminer ou que je suis en train de faire. Marthe Keller parle de Robert Walser et de « Ce que je peux dire de mieux sur la musique », citant une phrase que j’ai notée dans Babelio, qui l’incite à imaginer un spectacle musical autour de Robert Walser (je ne sais pas si elle l’a réellement mis en œuvre). Elle a aussi présenté une lecture d’un texte de Charlotte Delbo dont je suis en train de lire des poèmes. Et enfin il y a le rapport qu’elle a avec la Suisse, entre souhait de partir et calme retrouvé.

Pas vraiment une autobiographie, peu de souvenirs personnels, pas d'histoire d'amour, 3/4 phases sur son fils, quelques lignes sur ses parents mais pléthores d'anecdotes sur son métier de comédienne. Ses débuts, son manque de confiance en elle, sa persévérance, le milieu du cinéma, celui du spectacle et Al Pacino. Ne surtout pas renier son milieu, rester fidèle à ses amis, savoir claquer la porte et surtout rester libre. Voici ce que nous livre Marthe Keller dans un livre qui m'a semblè d'une grande sincérité. L'écriture est fluide et le récit intéressant. Merci à Babelio et aux éditions Les presses de la Cité pour ce cadeau.

Lorsqu'elle se décide à faire le tour de sa vie, l'actrice bientôt octogénaire opère un tri sélectif : les tournages avec les grands, la mélancolie, la Russie, Al Pacino, ses mises en scènes, ses fous rires... Son fils l'accompagne parfois sur les plateaux. Yves Montand la conseille pour son premier rôle en français, "Le diable par la queue" en 1969, alors qu'elle ne connaît pas un traître mot de la langue De Voltaire, elle, la suissesse allemande qui, enfant, s'ennuyait à Bâle. Très vite, elle a envie d'accéder, à d'autres mondes; le théâtre, le cinéma, la télé en seront les portes d'entrée. Marthe ne doit rien quémander, ce sont les metteurs en scène qui la demandent. J'ai toujours eu un faible pour La demoiselle d'Avignon (1972) et l'agente du Mossad de K (1997). Pétulante et grave, légère et profonde, j'aime surtout les silences qu'elle place entre les répliques, lorsqu'elle regarde son partenaire dont elle semble attendre plus qu'une parole, un engagement. Il y a des anecdotes, des paris spectaculaires, comme la mise en scène d'un opéra, le tout raconté avec verve et nulle prétention. De 1966 à 2023 signe le parcours exceptionnel d'une femme qui a toujours fui les feux de la célébrité, éprise de liberté, attitude héritée des parents. Sa rencontre avec le président Carter est épique. C'est ça qui m'a toujours plu, son amour d'un métier exercé avec joie et lucidité, avec en étendard la liberté et les coups de cœur téméraires. La voir à la télévision parler allégrement de son livre bien écrit en collaboration avec Elisabeth Samama m'a donné envie de tourner une fois encore avec cette personnalité attachante et généreuse.