L'île des absents : Le livre de Caroline Eriksson

Thriller psychologique, L'île des absents est typique de romans dans lesquels l'auteur/autrice cache sciemment des éléments-clés de l'intrigue pour mieux surprendre le lecteur en distillant les révélations en fin de roman. Evidemment, dans le même temps, Caroline Eriksson place quelques éléments importants dans le cours du récit. Ces éléments sont évidemment invisibles ou incompréhensibles au lecteur, mais comme cela, l'autrice peut dire "j'avais indiqué des pistes possibles" ou "j'ai semé quelques cailloux", voire "il y avait des indices, vous deviez les voir". En plus, l'autrice pratique la déconstruction du récit en entremêlant le passé et le présent, le réel et l'imaginaire, le vrai et le fantasmé... Au lecteur de se débrouiller avec le tout. Et ce n'est pas complètement impossible, même si quelques twists viennent rebattre les cartes, dont un principal qu'il est difficile de voir venir. Je n'en dit pas davantage. On part de Greta, qui vit une folle histoire d'amour avec Alex. C'est le présupposé de départ, mais il vole peu à peu en éclats. Car Alex, et sa fille Smylla, disparaissent à l'occasion d'une sortie sur un lac. Sortie anodine qui va bouleverser Greta et la faire sombrer dans la folie dans un premier temps. Puis elle va se ressaisir mais, ce faisant, cela va amener à la surface toute une série d'éléments intriguants et dérangeants. L'enquête sur la disparition cède vite la place à une profonde investigation sur les rapports humains femmes-hommes malsains. Personnellement, je trouve cela plutôt intéressant. Les rouages psychologiques sont bien secoués, le tout est plus ou moins cohérent, sauf l'action de la police (mais c'est un détail dans ce genre de roman). L'essentiel est ailleurs, dans les rapports humains, et là, Caroline Eriksson maîtrise bien son sujet. Ce n'est pas le thriller du siècle, mais cela se lit agréablement et rapidement. L'essentiel est -en effet- dans la tête de Greta et dans le récit qu'elle fait. C'est donc une langue vive, plutôt parlée, dans laquelle les longues descriptions sont globalement absentes. Enfin, on peut clairement reprocher à l'éditeur d'avoir mal résumé le sujet en 4è de couverture.

Je ressors de ce livre avec un sentiment partagé. Écrit à la première personne et au présent, ce qui domine, c’est une forme de confusion — mais une confusion qui, paradoxalement, semble volontaire. L’autrice retranscrit avec justesse l’état intérieur du personnage principal, Greta : vacillante, incertaine, perdue entre réalité et illusion. De ce point de vue, c’est plutôt réussi. Mais cette immersion a un revers : la lecture devient parfois laborieuse. On avance avec l’impression de ne jamais vraiment savoir où l’on va. Heureusement, les chapitres très courts offrent des respirations et permettent de rester accrochée. Au fil des pages, plusieurs thèmes lourds émergent : l’emprise, l’infidélité, la violence conjugale, et les schémas familiaux qui se répètent. Greta est prise dans une relation toxique avec un homme marié, manipulateur, cruel, sadique. On comprend peu à peu qu’elle rejoue, sans en avoir pleinement conscience, ce qu’elle a vécu dans son enfance avec un père infidèle et destructeur. En parallèle, elle croise le chemin d’une jeune fille battue, miroir brutal de sa propre histoire. La mort du père, tombé d’une fenêtre, plane sur tout le récit. Longtemps, on nous laisse comprendre que Greta en est responsable. Ce flou constant — entre vérité et perception, passé et présent — est déroutant, parfois frustrant, mais il prend tout son sens une fois le dénouement arrivé. Le final est dense, tendu, riche en révélations. La femme de cet homme, prête à tuer Greta, est elle aussi piégée dans une relation destructrice sans en avoir conscience. C’est la mère de Greta — longtemps absente — qui finit par jouer un rôle clé. En partageant son propre vécu avec un mari infidèle et cruel, elle aide cette femme à ouvrir les yeux. Pendant ce temps, Greta, agressée et enceinte de son bourreau, dérive entre vie et mort. Et pourtant, dans ce chaos, quelque chose renaît : le lien entre Greta et sa mère, distendu depuis la mort du père, se rétablit à travers ces circonstances extrêmes. Il y a beaucoup de couches dans ce roman : emprise, violence, filiation, trauma, maternité, transmission… C’est un livre dense, parfois déroutant, mais jamais vide de sens. Les sujets sont forts, et même si tout semble brumeux en cours de lecture, les pièces finissent par s’assembler. Il m’a troublée, mais il m’a aussi touchée.