Maurice : Le livre de E.M. Forster

De E M Forster j’avais uniquement lu Avec vue sur l’Arno, et étant une grande fan des adaptations de ses œuvres littéraires par James Ivory en films, j’ai voulu lire son roman Maurice, qui n’a jamais été publié de son vivant et pour cause : celui-ci mettant en scène un jeune bourgeois anglais découvrant son homosexualité. Le roman est très bien écrit, l’écriture de Forster est délicate tout en s’attardant sur l’importance des classes sociales de l’époque (Forster l’a écrit en 1914) et sur la personnalité de son héros (pas toujours aimable mais dont les errements m’ont vraiment touchée). Le roman est beau tout en étant mélancolique. Je pense que je lirai prochainement Howard End, une autre œuvre de l’auteur adaptée par Ivory et en mini série par la BBC.,.

À la marge 13/20 Une lecture mitigée pour ce roman dont j'attendais beaucoup. Ce que j'ai apprécié, c'est l'amour... l'amour douloureux... tel qu'il est parfois (souvent) quand on aime pleinement. Il va de soi qu'il y a de l'auto-biographie dans ce livre et que les sentiments ne sont pas simplement imaginés. J'ai apprécié l'évolution du personnage qui, bien que le risque d'être découvert soit important, ne peut totalement masquer ce qu'il ressent, d'abord par amour (le plus innocent... le plus puéril... celui qui, on le croit toujours, ne finira jamais), puis par sagesse (comment se construire réellement sur des mensonges). Enfin j'ai aimé le fond de l'histoire. Les remarques, les reproches, le jugements, le déni, les vaines tentatives pour changer ce que l'on est, les déceptions, le besoin de se cacher, le fait de se sentir hors-norme, l'envie d'en finir, cette sensation de supériorité aussi éprouvée quand on comprend qu'on est dans le vrai et que ce sont "les autres" les ignorants. Un siècle plus tard et c'est toujours tellement d'actualité. Ce que j'ai moins aimé. Tout d'abord le style d'écriture qui n'est pas ma tasse de thé. Je préfère un language plus contemporain mais ce n'est que très personnel. J'ai aussi par moment détesté certains personnages dont Maurice, son coté hautain, misogyne, sa façon de considérer les gens selon leur classe sociale. C'est sans doute aussi une histoire d'époque mais je trouve ça abjecte. Enfin, j'ai ressenti un manque dans ce roman. Si d'un point de vue cérébral, le désir amoureux est bien retranscrit, le coté physique de la chose manque à mon avis cruellement. Le lien subtil entre l'amitié et amour est très bien développé dans la première partie de l'œuvre mais j'ai du mal à imaginer qu'il y a un siècle, les pensées des amants se tournaient uniquement vers une caresse sur la main ou le replacement d'une mèche de cheveux même si ces moments sont ceux qu'on n'oublie pas! En lisant ce roman j'ai l'impression que l'auteur ne disait pas tout, ne se livrait pas totalement. Cela reste malgré tout un beau roman d'apprentissage qui ouvre les yeux sur une époque et ses coutumes.

Lire des romans écrits il y a plusieurs décennies portant sur cette tare qu'est l'homosexualité constitue toujours une expérience particulière. Je reste marqué par ma lecture de Confessions d'un masque, roman autobiographique de Yukio Mishima publié en 1949, qui relate pendant plus de 200 pages comment un homme va s'appliquer méthodiquement, de son adolescence jusqu'à l'âge adulte, à refouler son désir. Il en est ainsi de nombreuses oeuvres, pour lesquelles, indépendamment de leurs qualités littéraires, l'alternative quand on est homosexuel à une époque qui nous est hostile paraît être la suivante : le placard ou la mort. Voici donc avec quel état d'esprit je commençais ma lecture de Maurice — publié en 1971 mais dont le manuscrit a semble-t-il été rédigé autour de 1913 — et c'est peu dire que j'ai été déstabilisé dans mes inquiétudes. Entendons nous bien : la frustration, le refoulement, la haine de soi, tout cela est présent dans ce livre, et les angoisses du personnage principal, comme l'homophobie de la société anglaise du début du vingtième siècle, nous sont retranscrites avec un talent et une clairvoyance indéniables. Seulement, Maurice n'est pas que cela. D'abord, Maurice est drôle. Forster dissémine de l'ironie tout au long du texte, laquelle participe à créer de la distance avec l'homophobie, le classisme et la misogynie qui imprègnent les pensées et les discours des protagonistes. On a même parfois le sentiment de lire le réquisitoire d'un auteur contre son époque. L'absurdité des normes et des traditions est dépeinte avec sagacité et le « vice inqualifiable des Grecs » apparaît finalement comme ce qui peut sauver un homme de la platitude des conventions bourgeoises. Dans un final remarquable, Forster montre toute la force subversive et créatrice de l'homosexualité, que l'on peut résumer ainsi : une fois que l'on a franchi une barrière, on peut se permettre toutes les transgressions.

C'est l'histoire de Maurice qui découvre qu'il n'est pas comme ses camarades. Il lutte, tente de se soigner se croyant malade et puis finalement assume. Mais il assume pour lui même, pas pour la société qui à l'époque lutte et tente de soigner les personnes comme lui. C'est triste. J'ai beaucoup aimé cette lecture avec une description acerbe de la société de l'époque en Angleterre.