Qui a tué l'homme-homard ? : Le livre de J.M. Erre

A Margoujols, village perdu du Languedoc, certains habitants ne passent pas inaperçu. Un homme-homard, des sœurs siamoises, une femme à barbe, un colosse flanqué d’un nain... tous ont trouvé refuge dans ce village à la mort du propriétaire du cirque dans lequel ils étaient employés ou plutôt exploités. Balthazar Britiescu a en effet été assassiné en 1945, laissant derrière lui les membres de sa troupe qui n’ont pas été plus loin. Il faut dire que dans ce coin de la France les monstres on connait puisque c’est ici même qu’a sévi la bête du Gévaudan au XVIIIème siècle. C’est à présent au tour de Joseph Zimm, l’homme-homard, de trouver la mort dans d’épouvantables conditions. En fait d’homard, Joseph était atteint d’une maladie génétique, une ectrodactylie, qui entraîne l’absence de plusieurs doigts. Il était en plus affublé d’une misanthropie chronique et d’une méchanceté certaine. En clair, personne ne pleure sa mort. Mais une enquête est tout de même ouverte, conduite par l’adjudant Pascalini secondé, bien malgré lui, par Julie de Creyssels, fille du maire et accessoirement tétraplégique. Avec un tel décor et de tels protagonistes, on ne peut évidemment s’attendre qu’à un grand moment de loufoquerie, surtout quand on connait la plume irrésistible d’humour de J.M. Erre. Ici, il joue avec les codes du polar, dressant des portraits hilarants des différents suspects, enchaînant les rebondissements et les crimes, le tout servi par la verve délicieusement caustique et décapante de Julie qui s’imagine en autrice de roman policier et qui se plaît à en démonter les mécanismes. Un habile jeu de mise en abîme où trouver le coupable devient finalement moins important que de suivre les péripéties et les fausses pistes, sous la houlette d’une Julie harangueuse et corrosive. Personnage qu’on retrouve d’ailleurs dans un livre paru en 2023, Les autres ne sont pas des gens comme nous. Tout aussi savoureux !

Quel plaisir cette lecture ! Le sourire ne m’a pas quitté tout du long , si , parfois pour un éclat de rire . En effet c’est drôle : l’ironie , l’humour noir , la satire sociale sont parfaitement maniées. Et derrière cela il y a quand même, on l’oublierait presque , une intrigue et du suspens jusqu’au bout , comme un bon petit polar . Roman très complet ! Bravo à l’auteur vers qui je vais certainement revenir très vite .

Une narration drôle. Un personnage principal hors normes. Des personnages principaux étranges. Un environnement inhabituel... Tout est posée pour avoir une histoire rocambolesque et pourtant ce roman policier et plein de rebondissement avec un effet page-turner inattendu. Même le final est époustouflant. Une très belle surprise.

“Je m'appelle Julie de Creyssels… Tétraplégique. La totale, le gros lot, carton plein. Émaciée, le regard fixe et la lippe boudeuse, un peu comme les mannequins qui trimballent leur anorexie sur les podiums, mais en moins sexy. La tête penchée sur le côté pour mieux me baver sur l'épaule. Car je bave. Beaucoup. Un des rares domaines dans lequel je sois très productive. Je suis un monstre. Je vous avais avertis.” Voilà comment se présente la narratrice-assistante-enquêtrice avec beaucoup d’autodérision ! Le ton est donné et tout le roman est du pareil au même. Vous aurez compris que l’humour abonde et caractérise ce roman policier, un humour plutôt noir : “La surprise me scotche sur mon fauteuil, mais personne ne voit la différence.” Julie, qui s’exprime comme Stephen Hawking, seconde l’adjudant de gendarmerie chargé de l’enquête sur le meurtre de l’homme-homard à Margoujols, un des villages les plus isolés de France, dans le Gévaudan. En 1945, le village a accueilli un cirque à la “Freaks”, avec Pietro l’homme caoutchouc, Séraphin l’homme tronc, Appoline et Louisette les sœurs siamoises, Nicolaï le nain, Gaston le colosse, Joseph l’homme-homard … Tous les monstres sont restés sur place, à la suite du meurtre du directeur du cirque roumain. La narration décalée est savoureuse à souhait, Julie parle au lecteur de ses déboires d’enquêtrice liés à son handicap, elle narre un roman qu’elle écrit en même temps qu’elle le vit en s’interrogeant toujours pour savoir s’il va réussir à captiver son lectorat : “Ne pas oublier que le lecteur contemporain est beaucoup plus exigeant que celui des polars d'antan qui était prêt à se satisfaire d'un dénouement pépère.” Le parti-pris du choix d’une héroïne tétraplégique était délicat, il permet de suivre une histoire policière tendue… le pari est réussi grâce à l’humour à la pelle.