Si c'est un homme - Nouvelle édition 2017 : Le livre de Primo Levi

Que dire après une telle lecture. Ce livre est un témoignage brutal du passé des camps de travail nazis. Avec un certain recul, Levi nous immerge dans le quotidien du camp où il a été deporté pendant plus d’un an. Il nous raconte avec précision, au fil des mois, des saisons, l’horreur du camp, le quotidien de labeur de chacun, leurs états d’esprit, les méthodes de chacun pour survivre. Tout au long du livre, on est presque dérouté par l’absence de colère de l’auteur. Levi soulève des questions mais nous laisse y répondre et être juges. Comme l’auteur nous le dit, son livre ressemble au récit d’un témoin dans un procès: factuel, clair, précis, détaillé, mais sans chercher à convaincre. Son témoignage est suffisamment poignant pour ne laisser aucun doute sur le verdict. Certains pourront dire que le style de l’auteur pourrait être amélioré. D’une part, l’auteur s’en excuse en préambule (il n’était pas voué à être écrivain). D’autre part, les formules de style paraissent bien superficielles face à un tel récit. On doit se forcer de se rappeler, au fil des pages, face aux horreurs qui s’enchaînent les unes aux autres, que ce passé est bel et bien réel et que ce livre existe pour que chaque génération continue de ne pas oublier.

Plus conquis par le fond que par la forme 16/20 Primo Levi nous prévient dès la préface en utilisant l'expression "étude dépassionnée" et le mot "documents". En effet, cette période de l'histoire m'a toujours passionnée. Non pas en tant que spécialiste mais en tant que spectateur incrédule d'une histoire qui, aujourd'hui encore ne trouve pas d'explication à mes yeux et qui pourtant, tend à se reproduire à plus ou moins grande échelle dans le monde. Je m'attendais donc à un coup de poing en pleine face, à quelques larmes, à sentir une haine monter en moi tout au long du roman. Mais l'écriture est en effet trop factuelle, laissant peu de place aux sentiments, à la limite par moment du travail journalistique. Je crois comprendre que c'est ce que l'auteur recherchait donc on peut dire que le "pari" est gagné mais je ne pense pas que j'aurais été capable, si j'avais vécu la même chose, d'une écriture si détachée. Le dernier paragraphe où les prisonniers sont livrés à eux-même dans un camp en ruine suite à l'avancée Russe et au départ de quasiment tous les SS m'a le plus marqué. L'appendice, écrit par l'auteur en 1976 où l'auteur répond aux questions qui lui ont été le plus souvent posées, m'a également beaucoup touché. Même s'il ne m'a pas boulversé autant que je l'imaginais avant d'entamer la lecture, ce roman reste un beau témoignage sur la barbarie nazie et ouvre la porte à d'autres lectures intéressantes sur ce même sujet mais également d'autres sujets sans doute très poignants tels que les Goulags en Union Soviétique sous Staline ou même la guerre l'Algérie. Un passage marquant tiré de cette préface de 1976: "Les livres interdits - nouveaux ou anciens - on en fait de grands feux de joie sur les places publiques. C'est ce qui s'est fait en Italie entre 1924 et 1945 et dans l'Allemagne national-socialiste, c'est ce qui se fait aujourd'hui encore dans de nombreux pays, parmi lesquels on regrette de devoir compter l'Union Soviétique, qui a pourtant combattu héroïquement le nazisme."

Si c’est un homme est une lecture marquante, essentielle. J’ai beaucoup aimé ce témoignage puissant, qui nous rappelle à quel point il est crucial de ne jamais oublier ce dont l’être humain est capable. Lire les mots d’un rescapé de l’horreur, c’est plonger dans une mémoire qui doit rester vivante, et la pensée philosophique de Primo Levi apporte une profondeur supplémentaire à son récit. J’ai toutefois quelques bémols qui m’empêchent de lui mettre la note maximale. L’aspect volontairement déconstruit du récit m’a parfois perdue, rendant la lecture un peu plus difficile à suivre. De même, l’absence de traduction de certains passages en allemand m’a laissé dans une certaine confusion, même si, avec du recul, je comprends que cela puisse être voulu, pour nous plonger dans l’incompréhension que ressentaient les prisonniers eux-mêmes. Malgré ces petites réserves, c’est un texte d’une force incomparable, bouleversant et indispensable.

Voici la destruction de l'Homme. Le témoignage est construit avec une structure chaotique qui prend davantage échos avec les propos du livre. Primo Levi décrit ici, de son arrivée dans le complexe de Buna, à Auschwitz, en février 1944, à sa sortie en janvier 1945, par l'arrivée des Soviétiques, l'horreur sur Terre : le Lager. Il décrit durant ces pages la chose suivante : le combat infernal entre l'humanité et l'esprit sauvage de la survie. L'être humain n'a jamais été réduit à si peu dans l'Histoire de l'humanité. Une mort coutumière, une faim incessante, une fatigue accumulée et un froid glacial entourent le protagoniste du début à la fin. Si l'approche parait moins historique, elle est cependant un véritable témoignage qui fait frémir puisque le point de vue n'est nul autre que celui d'un homme au milieu des hommes. Malgré l'optimisme de l'auteur assez peu développé et ses quelques amis rallumant la flamme d'une existence humaine, le livre permet de ne jamais nous soumettre à l'Oubli, provocateur de la haine. Vivons car chaque respiration est une victoire face au nazisme et au fascisme. N'oublions jamais.