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Le maître ignorant
Cinq leçons sur l'émancipation intellectuelle
Date de parution : 02/09/2004
Éditeurs :
10/18

Le maître ignorant

Cinq leçons sur l'émancipation intellectuelle

Date de parution : 02/09/2004

En 1818, Jacotot sème un vent de révolution dans l’Europe savante. Non content d’avoir appris le français à des étudiants flamands sans leur donner aucune leçon, il se met à...

En 1818, Jacotot sème un vent de révolution dans l’Europe savante. Non content d’avoir appris le français à des étudiants flamands sans leur donner aucune leçon, il se met à enseigner ce qu’il ignore, proclamant l’émancipation intellectuelle. Jacques Rancière lui rend ici un brillant hommage et ravive une philosophie trop...

En 1818, Jacotot sème un vent de révolution dans l’Europe savante. Non content d’avoir appris le français à des étudiants flamands sans leur donner aucune leçon, il se met à enseigner ce qu’il ignore, proclamant l’émancipation intellectuelle. Jacques Rancière lui rend ici un brillant hommage et ravive une philosophie trop vite oubliée d’une égalité universelle de l’intelligence.

"L'instruction est comme la liberté: cela ne se donne pas, cela se prend." Joseph Jacotot

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EAN : 9782264040176
Code sériel : 3730
Façonnage normé : POCHE
Nombre de pages : 240
Format : 108 x 177 mm
EAN : 9782264040176
Code sériel : 3730
Façonnage normé : POCHE
Nombre de pages : 240
Format : 108 x 177 mm

Ce qu'en pensent nos lecteurs sur Babelio

  • VirginieDoucet 20/03/2022
    Rancière retrace l'épopée de Jacotot qui, au début du XIXe, affirma qu'il n'était nul besoin de connaître une matière pour l'enseigner à ses élèves. Plein de belles idées égalitaristes et pédagogiques mais on s'interrogera sur la faisabilité actuelle de la méthode.
  • JulienDjeuks 24/10/2020
    L'expérience de Jacotot est un très beau symbole des principes de la pédagogie alternative (que Freinet, Montessori, Steiner... ont essayé de mettre en oeuvre dans leurs écoles). La motivation de la personne qui apprend est bien-sûr déterminante dans la réussite de l'apprentissage, mais ce que remarque Jacotot est surtout l'efficacité de l'apprentissage en autonomie de ses étudiants. Certes, il leur a donné un outil pratique d'apprentissage (Fénelon ayant conçu son livre comme un roman pédagogique, enseignant par la fiction la belle langue et la culture au dauphin du roi de France, Les Aventures de Télémaque (1699) était aux XVIIIe et XIXe siècles l'un des grands best sellers, et notamment pour apprendre le français à l'étranger). Mais c'est parce qu'ils cherchent par eux-mêmes le fonctionnement de la langue française en la comparant avec la langue hollandaise, en émettant leurs hypothèses, en se cherchant des explications, qu'ils avancent brillamment. De là le titre volontiers provocateur de Rancière, "le maître ignorant" : on peut enseigner n'importe quoi, même ce qu'on ignore, à condition que les apprenants soient motivés et qu'on leur propose des outils adaptés. Il faut faire confiance à l'apprenant pour l'aider au mieux dans son apprentissage, il ira de lui-même, par son exigence et sa curiosité, à la connaissance, mais par son chemin propre et vers ses connaissances. Il est ainsi nécessaire dans l'enseignement de partir du chemin personnel de curiosité de l'apprenant, source de sa moivation, pour l'accompagner, volontaire, d'un intérêt pratique limité ou infantile à une connaissance plus étendue. Le verbe "ignorer" du titre est volontairement exagéré, pour faire comprendre l'aspect tout à fait secondaire des savoirs, de l'expertise disciplinaire de l'enseignant, ce qui est au contraire la priorité dans les concours de recrutement des enseignants. Il y a inversion paradoxale entre le professeur qui ne sait pas et l'élève qui lui sait, car c'est son propre savoir original qu'il doit construire, et sera donc seul à posséder (l'intelligence collective se renforçant de la variété des intelligences individuelles). Dans l'application pratique, l'enseignant peut feindre d'ignorer les règles afin de pousser les apprenants à construire eux-mêmes leurs savoirs. D'une même manière, au lieu de dénoncer une "faute", montrant par là sa supériorité en termes de connaissances, l'enseignant peut amener son élève à considérer que le résultat, la solution qu'il a obtenue, sont insatisfaisants et qu'il doit donc chercher à faire mieux (cela nécessiterait de sortir de l'attention quasi exclusive à la méthode ; ex : calculer la vitesse du vélo. Un premier apprenant obtient 300km/h en appliquant la bonne formule mais ne s'étonne pas de son résultat et obtient la moitié des points ; un second obtient 35 au lieu de 30 avec une mauvaise méthode, il obtient zéro point...). En revanche, "ignorant" ne veut pas dire "stupide", "naïf" ou "garde-chiournes", l'enseignant peut (doit) être expert en guidage, en accompagnement, en connaissance et conception de matériel pédagogique. La formation française des enseignants tente depuis bien vingt ans d'intégrer ces préoccupations mais continue d'être dénigrée pour son obsession des connaissances théoriques et son manque d'enseignement pratique. Or, la domination du théorique sur le pratique, c'est le maintien de l'élitisme intellectuel, de la supériorité de classe des sachants. Les travaux de Jacotot, en tant que document historique, permettent par ailleurs à Jacques Rancière de ne pas paraître vouloir imposer des thèses et une position politique – proche communiste, anarchiste – pas toujours bien acceptées dans les médias ou même dans un cadre universitaire se voulant neutre. De la même manière que les travaux d'Etienne Cabet et de Louis Gabriel Gauny avaient nourri son premier ouvrage La Nuit des prolétaires (Archives du rêve ouvrier) (1981), Rancière s'appuie sur les réflexions de Jacotot afin d'amener et d'alimenter sa propre réflexion, mais aussi afin de pousser le lecteur à tirer les conclusions par lui-même, celles qui s'imposent au regard des documents. C'est d'ailleurs l'un des principes de la pédagogie alternative : ne pas imposer de solution, de cours, de formule, mais amener les apprenants vers la recherche de solution, qu'ils construisent eux-mêmes le cours, leur savoir, qu'ils trouvent eux-mêmes la formule (on parle de la méthode dite d'induction). Dans son premier essai sur le monde ouvrier, il était déjà question d'auto-apprentissage (comment les ouvriers s'organisant en syndicats ont éprouvé le besoin d'instruire, d'éveiller politiquement leurs pairs, utilisant le temps libre nocturne, à l'image du personnage de Lantier dans Germinal). Ici, le souci pédagogique qui anime l'auteur est celui de l'enseignement du peuple, des catégories sociales ouvrières. En quoi l'enseignement public ne remplit-il pas pleinement son rôle émancipateur et a-t-il au contraire souvent un effet d'aliénation, d'asservissement des classes inférieures par une élite ? Malgré l'habitude contemporaine très critique à l'égard des professeurs et de l'école, cette évidente baisse du niveau scolaire moyen, la dénonciation et la critique radicale du cadre traditionnel de l'enseignement, de son exigence théorique ou formelle, l'autorité du maître, l'obéissance de l'enfant, son inefficacité en termes d'ascension sociale, la reproduction de classes sociales suivant leur patrimoine culturel (mise en évidence par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron dans Les Héritiers en 64, puis dans La Reproduction en 70 ; exception faite de quelques transclasses qui légitiment justement ce système déficient), a de quoi choquer. Tout lecteur, étant passé par le cadre de l'école, et de toute évidence y ayant réussi (ne serait-ce qu'à avoir une maîtrise suffisante du langage intellectuel pour lire ce livre), pourrait se sentir attaqué, considérer comme absurde – anarchiste, utopiste – l'idée qu'on puisse apprendre mieux sans école, sans le maître, sans son autorité sans la discipline, la punition, les règles claires... qu'on puisse se passer de l'école puisque l'école les a formés et a grandement participé à leur réussite sociale. L'institution scolaire est vue logiquement, même dans sa forme traditionnelle autoritaire et excluante, comme un progrès humain déterminant, comme un outil de civilisation, comme un outil d'ascension sociale... Il suffit à l'élève d'être sage et de travailler... Or, avoir appris à lire et écrire, compter, n'est pas une garantie de libération, mais peut même devenir une nouvelle manière d'être asujetti (par intériorisation d'une infériorité intellectuelle par l'échec scolaire). Cette remise en question du bien-fondé de l'éducation nationale rejoint la pensée d'Ivan Illich, Une société sans école (1971). Rancière pointe les mêmes dysfonctionnements dus à l'institutionnalisation, l'idéologie qui est au coeur du projet éducatif et qui se mêle insidieusementse à l'instruction, ce but de former un employé docile, obéissant, reconnaissant l'autorité, la supériorité de certaines fonctions sociales, de certains savoirs sur d'autres, donc de certains citoyens sur d'autres (on pensera ici au slogan de La Ferme des animaux, de Orwell : "all animals are equals, but some animals are more equals"). Cet objectif pleinement idéologique de former de bons citoyens suivant les normes établies et fixées par un gouvernement, de former une élite en termes de savoirs et savoir-faire idéologiquement jugés comme supérieurs, pervertit toute bonne initiative pédagogique (ce qui se vérifie aujourd'hui où nombre des principes alternatifs - pédagogie par l'action, le projet, induction, co-construction du cours, classe inversée, différenciation et le plus représentatif, la bienveillance - ont été adoptés sans réels résultats). Par exemple, le principe de différenciation, très utilisé aujourd'hui pour tenir compte des spécificités des élèves (déficits, dyslexie, autisme, hyperactivité, peu francophones...) qui est conçu justement dans le but noble de remettre l'élève au centre de son apprentissage, pour construire un enseignement adapté et motivant, devient simplement un faux-semblant de progrès permettant d'intégrer tout type d'élève dans des classes normales et donc de retirer les investissements de cadres pédagogiques spécialisés, pris en charge par des enseignants formés, reconnus et payés à hauteur de leurs compétences. Le programme rigide, les coefficients alloués aux matières, le rythme scolaire annuel, les classes d'âge, les examens, rendent toute pratique de différenciation inutile et même peut-être contre-productive (car l'enseigneant affecte de considérer la différence des élèves alors qu'il n'a pas forcément la compétence pour aider, et que ceux-ci seront dans l'ensemble du système notés, classés, orientés, écartés selon une norme bien déterminée). L'émancipation ne peut pas se faire tant que le principe premier de l'éducation nationale est de normaliser, de formater des élèves sages, dociles, reconnaissant l'autorité indiscutable de la norme, des discoureurs qui se disputent sur une solution sans questionner le problème (qui agissent toujours dans le cadre imposé par un maître reconnu de fait). Critiquer le dispositif traditionnel de la personne qui sait devant ceux qui doivent se taire et apprendre, c'est critiquer la relation hiérarchique par excellence qui étant légitimée, transférera une telle légitimité dans le monde du travail, dans la société, entre les décideurs et leurs sujets, les patrons et les employés, les expérimentés et les débutants, les riches ayant réussi et les pauvres, entre les parents et les enfants… des rapports humains de domination. Redéfinir cette relation primordiale, c'est repenser les rapports humains. En cela, on retrouve les conceptions très humanistes du travail émancipateur chez Marx (par exemple dans ses Manuscrits parisiens). Une personne active, actrice de l'orientation de son travail, participant à sa hauteur et selon ses aptitudes à une oeuvre collective, se réalise en tant qu'être humain par son travail, s'émancipe, au lieu d'être dans un rapport de force, de subordination, d'intérêt, vecteur de frustration. Ainsi, le respect au professeur ne doit pas être un respect forcé de la fonction, mais un respect de l'humain, de l'altérité. C'est ainsi que le principe primordial d'émancipation que tire Rancière de cette recherche et sur lequel il propose de réfléchir est celui de l'égalité fondamentale entre tous, de tout temps et de tout lieu. Cette affirmation est évidemment paradoxale. Comment ne pas constater les différences de capacité, de talent ? Les aptitudes à réaliser une tâche ? Comment ne pas considérer certains comportements comme moins bons que d'autres ? Or, c'est bien là pour lui une des bases de naissance des inégalités : la valeur qu'on attribue à telle compétence, à telle fonction sociale, à tel savoir plutôt qu'à tel autre, est relative à une idéologie, une idéologie dominante. La hiérarchie des intelligences est donc toute relative. Les anthropologues ont admis comme principe d'analyse ce refus de hiérarchiser les sociétés, de juger des comportements qui paraissent moins bons par rapport à des repères idéologiques qui ont été formés justement en grande partie par l'éducation (refus de l'ethnocentrisme), justement pour mieux comprendre le fonctionnement et la logique globale d'une société. Faire taire cette hiérarchie des connaissances et des fonctions est le plus sûr moyen de saisir la cohérence des motivations et la logique propre d'un apprenant et de le mener de ses intérêts précoces d'enfant à une curiosité culturelle étendue rejoignant le collectif, l'abstrait, l'intellectuel... Un autre point qui semble fondamental pour Rancière est le rôle de la parole qu'il choisit de qualifier de poétique (au sens de personnalisée, renvoyant à la spécificité de chacun, à son émotion, sa perception subjective), par opposition à un langage qui se voudrait scientifiquement universel (un mot, un concept bien défini, indiscutable). Ce point découle de l'égalité préalable des intelligences : la parole de certains individus, au prétexte qu'ils ne s'expriment pas avec les concepts qui font autorité, avec des mots autorisés, serait invalidée, inférieure. Non pas invalidée pour son contenu (reconnu car discuté, pesé et éventuellement écarté par la communauté de discours), mais pour sa forme, moins noble. Or, l'une des conditions d'émancipation d'un individu est bien la prise en compte de sa parole singulière, de son expérience singulière, par la communauté. Dès lors, l'une des caractéristiques fondamentales d'une pédagogie émancipatrice serait la place accordée à l'expression poétique par l'élève de son expérience d'apprentissage (Ce que le management nomme feedback, utilisé comme outil d'optimisation, ce que les ateliers d'écriture placent au centre du processus créateur-libérateur, comme discussion libre). Dès lors, c'est tout une révision de l'acte pédagogique que propose Rancière : lire, écrire, traiter d'un problème, ne serait plus appliquer des principes et utiliser des connaissances universelles extérieures à soi afin de donner une réponse validée par une instance supérieure, mais agir, essayer, rendre compte, traduire par ses propres mots une expérience humaine personnelle, et faire reconnaître par la discussion avec le groupe, la validité, l'universalité ou l'originalité de ce qu'on a vécu. L'expérience de Jacotot est un très beau symbole des principes de la pédagogie alternative (que Freinet, Montessori, Steiner... ont essayé de mettre en oeuvre dans leurs écoles). La motivation de la personne qui apprend est bien-sûr déterminante dans la réussite de l'apprentissage, mais ce que remarque Jacotot est surtout l'efficacité de l'apprentissage en autonomie de ses étudiants. Certes, il leur a donné un outil pratique d'apprentissage (Fénelon ayant conçu son livre comme un roman pédagogique, enseignant par la fiction la belle langue et la culture au dauphin du roi de France, Les Aventures de Télémaque (1699) était aux XVIIIe et XIXe siècles l'un des grands best sellers, et notamment pour apprendre le français à l'étranger). Mais c'est parce qu'ils cherchent par eux-mêmes le fonctionnement de la langue française en la comparant avec la langue hollandaise, en émettant leurs hypothèses, en se cherchant des explications, qu'ils avancent brillamment. De là le titre volontiers provocateur de Rancière, "le maître ignorant" : on peut enseigner n'importe quoi, même ce qu'on ignore, à condition que les apprenants soient motivés et qu'on leur propose des outils adaptés. Il faut faire confiance à l'apprenant pour l'aider au mieux dans son apprentissage, il ira de...
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  • IsaLise 03/07/2020
    Quelques idées clés du livre : Un enfant apprend à parler grâce à sa propre intelligence, en écoutant, communiquant et ajustant son discours. Pourquoi tout à coup deviendrait-il incapable d'apprendre et devrait-il avoir un "maitre" ? Joseph Jacotot a entrepris une expérience en enseignant le français à des étudiants hollandais sans parler le hollandais, c'est la "méthode universelle" (en réalité l'auteur se refusait à une qualification de méthode). Pour cela, il a utilisé une version bilingue de Télémaque. Ses élèves ont tout d'abord appris des phrases, puis ils s'en sont servi pour raconter l'ouvrage et le commenter. On peut enseigner ce qu'on ignore si on émancipe l'élève, c'est-à-dire s'il doit utiliser sa propre intelligence. Dans le système traditionnel, le maitre garde "sous son coude un savoir", il donne les informations qu'il choisit de donner et décide si c'est le bon moment, si l'élève est "capable" d'apprendre plus. Pourquoi limiter ainsi ? L'émancipation intellectuelle se base sur la conscience de l'égalité : le maitre n'est pas supérieur à l'élève. Etre un maitre ignorant permet de ne pas l'oublier. "Il leur parle comme à des hommes et, du même coup, il en fait des hommes". Commentaires : Une lecture mitigée car l'auteur, Jacques Rancière, me semble parfois tenir des propos contradictoires, mais une lecture intéressante. En effet : pourquoi partir du principe que l'apprenant ne peut pas apprendre ? Ou du moins qu'il doit toujours être dirigé ? Etre guidé est utile lorsqu'on ne sait pas où aller et qu'on souhaite une piste. Etre dirigé amène au sentiment d'incompétence. A force d'entendre qu'on est incapable, on finit par le penser et agir en conséquence. Pourquoi choisir si l'apprenant est capable d'apprendre plus, de comprendre plus ? Accordons-lui notre confiance. S'il veut apprendre plus, il ne retiendra pas tout, ne comprendra sans doute pas toujours au moment où il découvre, mais le chemin se poursuivra. Moi-même, j'ai terminé ma lecture de cet ouvrage hier, je l'ai "digéré" cette nuit, commencé à l'analyser ce matin et mon cerveau continuera d'y penser. Je n'ai pas compris toute la pensée de l'auteur car je ne suis pas l'auteur, je ne suis pas dans son esprit et lui-même, il est probable qu'il ne sait pas sur quel chemin il peut m'entrainer car il n'est pas davantage dans mon esprit et que, de mon côté, j'ai certaines découvertes et réflexions à mon actif qu'il n'a pas. Cette lecture va en tout cas dans le sens de ce qui me motive : l'émancipation intellectuelle pour tous, le désir de partager, d'ouvrir des chemins de connaissance et de réflexion avec Le Monde de Mei et Noé. Quelques idées clés du livre : Un enfant apprend à parler grâce à sa propre intelligence, en écoutant, communiquant et ajustant son discours. Pourquoi tout à coup deviendrait-il incapable d'apprendre et devrait-il avoir un "maitre" ? Joseph Jacotot a entrepris une expérience en enseignant le français à des étudiants hollandais sans parler le hollandais, c'est la "méthode universelle" (en réalité l'auteur se refusait à une qualification de méthode). Pour cela, il a utilisé une version bilingue de Télémaque. Ses élèves ont tout d'abord appris des phrases, puis ils s'en sont servi pour raconter l'ouvrage et le commenter. On peut enseigner ce qu'on ignore si on émancipe l'élève, c'est-à-dire s'il doit utiliser sa propre intelligence. Dans le système traditionnel, le maitre garde "sous son coude un savoir", il donne les informations qu'il choisit de donner et décide si c'est le bon moment, si l'élève est "capable" d'apprendre plus. Pourquoi limiter ainsi ? L'émancipation intellectuelle se base sur la conscience de l'égalité : le maitre n'est pas supérieur à l'élève. Etre un maitre ignorant permet de ne pas l'oublier. "Il leur parle comme à...
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  • Fabinou7 17/05/2020
    Pourriez-vous enseigner sans avoir appris ? L’auteur débute par le récit-socle de son ouvrage, l’expérience du français Joseph Jacotot qui, au tournant du XIXème siècle, parvint à enseigner le français à ses étudiants des Pays-Bas, tout en ignorant lui-même le flamand ! Ils ont appris sans comprendre autrement dit sans explications (Hartelijk gefeliciteerd !). Nous sommes d’accord pour reconnaître que l’explication est nécessaire en pédagogie, la parole du maître, qui pourtant disparaît dans l’instant, l’emporte sur l’écrit indélébile du manuel donné par les parents par exemple. C’est par cet acte que la famille ne peut se substituer au maître, l’art de l’explication, l’art des raisonnements. Et le maître est seul juge du moment où l’élève a compris les explications. Jacotot, et Rancière après lui, veulent torpiller ce postulat. Car pourtant chaque enfant, quelle que soit ses origines sociales, dans le monde, fait déjà un apprentissage conséquent sans maître : celui de la langue maternelle. Alors pourquoi décréter ensuite qu’il a besoin de maître pour apprendre ? C’est tout le postulat qui fait dire qu’il faut soi-même savoir pour transmettre et apprendre et qui divise le monde entre maîtres et élèves, entre intelligents et ignorants. Pour Jacotot c’est un abrutissement. L’élève fait le deuil du fait qu’il ne peut pas comprendre sans explications. L’émancipation, est le but et le moyen de l’enseignement universel « il faut apprendre quelque chose et y rapporter tout le reste ». Le maître ignorant n’est pas là pour corriger, pour permettre à l’élève de faire l’économie de quoi que ce soit mais pour juger de la radicalité de son effort et de sa vigilance : en d’autres termes de son attention, qui est la condition sine qua non de son apprentissage. On comprend bien que l’émancipation est l’effort personnel de se croire à égalité et c’est ainsi le contraire de l’abrutissement. Ce dernier consistant à croire en des intelligences supérieures et inférieures et sans moyen pour l’intelligence supérieure de se faire comprendre et sans moyens pour l’inférieure de vérifier le raisonnement de l’intelligence supérieure qui débouche sur un dialogue « entre un aveugle et un chien ». A la lecture de cet ouvrage on s'interroge : une société émancipée, si nous partons du principe qu’elle est faisable, repense entièrement l’organisation de l’instruction mais aussi du travail et de la vie en communauté. En fin de compte, la question n’est pas tant « est-ce faisable ? » mais « souhaite-t-on dans notre société des individus égaux, émancipés, en lieu et place des « abrutis » que la société produit actuellement ? (Le terme « abruti » a un sens qui lui est propre chez Jacques Rancière et n’est pas synonyme de bêtise, de sorte qu’on peut se lâcher sans culpabilité, absous de l’onction philosophique, un peu à la façon du « salaud » de l’existentialisme Sartrien). Pour l’auteur c’est le mépris qui empêche les individus d’utiliser la raison et de se considérer comme des égaux. Le mépris est la passion de l’inégalité : il se manifeste par une humilité qui n’est que paresse et qui cache en creux une supériorité latente (je ne peux pas faire ça moi, mais sous-entendu, je suis au-dessus de ça). L’auteur développe également une théorie sociale, sur le modèle scientifique : si chaque individu est intelligent, la société n’est pas pour autant une intelligence collective. Jacques Rancière rend hommage à Jacotot, ce pédagogue singulier de l’émancipation intellectuelle qui déboulonne bien des postulats sociaux, que nous avons encore aujourd’hui dans l’organisation de l’éducation nationale, et qui participent, au-delà de l’éducation, à la hiérarchie sociale dans le travail, dans la vie citoyenne etc…Dommage que le philosophe et enseignant Rancière n’ait pas poussé la révérence jusqu’à essayer à son tour les méthodes de Jacotot. Au sortir on a aussi envie de lire « Les Aventures de Télémaque » de Fénelon, comme ces jeunes néerlandais qui ont appris le français sur la seule base de cet ouvrage en édition bilingue. Qu’en pensez-vous ? Pourriez-vous enseigner sans avoir appris ? L’auteur débute par le récit-socle de son ouvrage, l’expérience du français Joseph Jacotot qui, au tournant du XIXème siècle, parvint à enseigner le français à ses étudiants des Pays-Bas, tout en ignorant lui-même le flamand ! Ils ont appris sans comprendre autrement dit sans explications (Hartelijk gefeliciteerd !). Nous sommes d’accord pour reconnaître que l’explication est nécessaire en pédagogie, la parole du maître, qui pourtant disparaît dans l’instant, l’emporte sur l’écrit indélébile du manuel donné par les parents par exemple. C’est par cet acte que la famille ne peut se substituer au maître, l’art de l’explication, l’art des raisonnements. Et le maître est seul juge du moment où l’élève a compris les explications. Jacotot, et Rancière après lui, veulent torpiller ce postulat. Car pourtant chaque enfant, quelle que soit ses origines sociales, dans le monde, fait déjà un apprentissage conséquent sans maître : celui de la langue maternelle. Alors pourquoi décréter ensuite qu’il a besoin de maître pour apprendre ? C’est tout le postulat qui fait dire qu’il faut soi-même savoir pour transmettre et apprendre et qui divise le monde entre maîtres et élèves, entre intelligents et ignorants. Pour Jacotot c’est un abrutissement. L’élève fait le deuil...
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  • Apoapo 30/12/2019
    Quelle magnifique découverte que la pensée de Joseph Jacotot ! Tout enseignant, tout étudiant, mais aussi tout citoyen contemporain devrait absolument en prendre connaissance. L'histoire commence à la Restauration : Jacotot, jeune enseignant de rhétorique et officier d'artillerie dans les armées de la République s'exile aux Pays-Bas ; on lui offre un poste de professeur à demi-solde mais ses étudiants ne comprennent pas le français, pas plus qu'il ne parle le flamand. Cette année-là (1818), paraît à Bruxelles une édition bilingue du Télémaque de Fénelon ; il la leur remet et le prodige s'accomplit : les étudiants apprennent sa langue et s'avèrent capables de commenter et de discuter du livre, ils en écrivent de façon totalement correcte sans avoir reçu d'enseignement grammatical ou autre. De là, commence la réflexion de Jacotot qui est d'abord pédagogique, sur le rôle de l'enseignant qui peut et doit être non pas un répétiteur, un « explicateur », mais un « émancipateur » pour l'élève : « Il n'y a rien derrière la page écrite, pas de double fond qui nécessite le travail d'une intelligence autre, celle de l'explicateur ; pas de langue du maître, de langue de la langue dont les mots et les phrases aient pouvoir de dire la raison des mots et des phrases d'un texte. Les étudiants flamands en avaient administré la preuve : ils n'avaient à leur disposition pour parler de Télémaque que les mots de Télémaque. Il suffit donc des phrases de Fénelon pour comprendre les phrases de Fénelon et pour dire ce qu'on en a compris. Apprendre et comprendre sont deux manières d'exprimer le même acte de traduction. » (p. 20) Mais la pédagogie se double d'une éthique de l'enseignement : lorsque l'enseignant n'est pas « émancipateur », lorsqu'il joue un jeu d'exercice de pouvoir vis-à-vis de l'intelligence de l'apprenant, il « l'abrutit », le rend dépendant, l'infériorise : « Dans l'acte d'enseigner et d'apprendre il y a deux volontés et deux intelligences. On appellera "abrutissement" leur coïncidence. Dans la situation expérimentale créée par Jacotot, l'élève était lié à une volonté, celle de Jacotot, et à une intelligence, celle du livre, entièrement distinctes. On appellera "émancipation" la différence connue et maintenue des deux rapports, l'acte d'une intelligence qui n'obéit qu'à elle-même, lors même que la volonté obéit à une autre volonté. » (p. 26) Voici un extrait qui, me semble-t-il, clarifie la démarche pédagogique de ce que Jacotot appellera « l'enseignement universel » : « Le livre, c'est la fuite bloquée. On ne sait pas quelle route tracera l'élève. Mais on sait d'où il ne sortira pas – de l'exercice de sa liberté. On sait aussi que le maître n'aura pas le droit de se tenir ailleurs, seulement à la porte. L'élève doit tout voir par lui-même, comparer sans cesse et toujours répondre à la triple question : que vois-tu ? qu'en penses-tu ? qu'en fais-tu ? Et ainsi à l'infini. Mais cet infini, ce n'est plus le secret du maître, c'est la marche de l'élève. Le livre, lui, est achevé. C'est un tout que l'élève tient dans la main, qu'il peut parcourir entièrement du regard. Il n'y a rien que le maître lui dérobe et rien qu'il puisse dérober au regard du maître. Le cercle bannit la tricherie. Et d'abord, cette grande tricherie de l'incapacité : "je ne peux pas, je ne comprends pas..." Il n'y a rien à comprendre. Tout est dans le livre. Il n'y a qu'à raconter – la forme de chaque signe, les aventures de chaque phrase, la leçon de chaque livre. » (pp. 41-42) Il y a deux corollaires à cette démarche : le premier est que l'émancipateur peut être un « maître ignorant », il peut n'en savoir que autant que l'élève ; le second, bien plus fondamental, est que tous les hommes possèdent une égale intelligence – notamment le peuple qui possède un savoir lié aux métiers manuels, jouissant d'une égalité intellectuelle avec le « savant » : « Ce qui abrutit le peuple, ce n'est pas le défaut d'instruction mais la croyance en l'infériorité de son intelligence. Et ce qui abrutit les "inférieurs" abrutit du même coup les "supérieurs". Car seul vérifie son intelligence celui qui parle à un semblable capable de vérifier l'égalité des deux intelligences. Or l'esprit supérieur se condamne à n'être point entendu des inférieurs. Il ne s'assure de son intelligence qu'à disqualifier ceux qui pourraient lui en renvoyer la reconnaissance. » (p. 68) À une époque où, a minima on attribue une inégalité intellectuelle aux conditions sociales, mais plus souvent on recherche dans le darwinisme social la cause des inégalités, mais compte tenu aussi de la situation actuelle des inégalités, il me semble intéressant d'insister sur cette notion contre-intuitive d'égalité absolue de l'intelligence : « Il est inutile de discuter si leur [des hommes du peuple] "moindre" intelligence est effet de nature ou de société : ils développent l'intelligence que les besoins et les circonstances de leur existence exigent d'eux. Là où cesse le besoin, l'intelligence se repose, à moins que quelque volonté plus forte se fasse entendre et dise : continue ; vois ce que tu as fait et ce que tu peux faire si tu appliques la même intelligence que tu as employée déjà, en portant à toute chose la même attention, en ne te laissant pas distraire de ta voie. » (p. 88) « Bref, n'en déplaise aux génies, le mode le plus fréquent d'exercice de l'intelligence, c'est la répétition. Et la répétition ennuie. Le premier vice est de paresse. Il est plus aisé de s'absenter, de voir à demi, de dire ce qu'on ne voit pas, de dire ce qu'on croit voir. Ainsi se forment des phrases d'absence, des "donc" qui ne traduisent aucune aventure de l'esprit. "Je ne peux pas" est l'exemple de ces phrases d'absence. "Je ne peux pas" n'est le nom d'aucun fait. Rien ne se passe dans l'esprit qui corresponde à cette assertion. À proprement parler, elle ne "veut" rien dire. Ainsi la parole se remplit ou se vide selon que la volonté contraint ou relâche la démarche de l'intelligence. La signification est œuvre de volonté. C'est là le secret de l'enseignement universel. » (p. 95) Dans ces citations, un débat d'une grande actualité en ce début du XIXe siècle apparaît en filigrane : les « révolutionnaires » à l'instar de Jacotot sont partisans de l'idée que « L'homme est une volonté servie par une intelligence », primauté de l'individu oblige, alors que les réactionnaires proclament que « L'homme est une intelligence (divine-royale) servie par des organes (ou des sujets) ». Mais de ce pas, nous sommes entrés dans la sphère de la philosophie politique, et en particulier dans le débat sur l'égalité et l'inégalité politique – autant qu'intellectuelle. Dorénavant, la fonction émancipatrice ou abrutissante devra s'entendre aussi dans l'optique de la domination voire même de ce que Bourdieu désignera comme le « capital symbolique » : « La leçon émancipatrice de l'artiste, opposée terme à terme à la leçon abrutissante du professeur, est celle-ci : chacun de nous est artiste dans la mesure où il effectue une double démarche ; il ne se contente pas d'être homme de métier mais veut faire de tout travail un moyen d'expression ; il ne se contente pas de ressentir mais cherche à faire partager. L'artiste a besoin de l'égalité comme l'explicateur a besoin de l'inégalité. » (p. 120) Voici un très bel extrait sur « la passion de l'inégalité » : « Ce n'est pas l'amour de la richesse ni d'aucun bien qui pervertit la volonté, c'est le besoin de penser sous le signe de l'inégalité. Hobbes là-dessus a fait un poème plus attentif que celui de Rousseau : le mal social ne vient pas du premier qui s'est avisé de dire : "Ceci est à moi" ; il vient du premier qui s'est avisé de dire : "Tu n'es pas mon égal." L'inégalité n'est la conséquence de rien, elle est une passion primitive ; ou, plus exactement, elle n'a pas d'autre cause que l'égalité. La passion inégalitaire est le vertige de l'égalité, la paresse devant la tâche infinie qu'elle exige, la peur devant ce qu'un être raisonnable se doit à lui-même. Il est plus aisé de se "comparer", d'établir l'échange social comme ce troc de la gloire et du mépris où chacun reçoit une supériorité en contrepartie de l'infériorité qu'il confesse. » (p. 134) Les trois extraits suivants ont pour but de montrer pourquoi l'enseignement universel ne put avoir de fortune dans le contexte politique de l'époque, pourtant traversé par un ferment de recherches de « méthodes pédagogiques innovantes » : « [...] l'enseignement universel n'est pas et ne peut pas être une méthode "sociale". Il ne peut pas se répandre dans et par les institutions de la société. Sans doute les émancipés sont-ils respectueux de l'ordre social. Ils savent qu'il est, en tout état de cause, moins mauvais que le désordre. Mais c'est tout ce qu'ils lui accordent, et aucune institution ne peut se satisfaire de ce minimum. Il ne suffit pas à l'inégalité d'être respectée, elle veut être crue et aimée. Elle veut être expliquée. Toute institution est une explication en acte de la société, une mise en scène de l'inégalité. Son principe est et sera toujours antithétique à celui d'une méthode fondée sur l'opinion de l'égalité et le refus des explications. » (pp. 173-174) « […] le général La Fayette n'a qu'à répandre l'enseignement universel dans la garde nationale. Et Casimir Perier, ancien enthousiaste de la doctrine et futur Premier ministre, est maintenant en mesure d'[en] annoncer largement le bienfait. M. Barthe, ministre de l'Instruction publique de M. Laffitte, est venu de lui-même consulter Joseph Jacotot : que faut-il faire pour organiser l'instruction que le gouvernement doit au peuple et qu'il entend lui donner selon les meilleures méthodes ? "Rien", a répondu le fondateur, le gouvernement ne doit pas l'instruction au peuple pour la simple raison que l'on de doit pas aux gens ce qu'ils peuvent prendre par eux-mêmes. Or l'instruction est comme la liberté : cela ne se donne pas, cela se prend. » (pp. 176-177) « Le Progrès, c'est la fiction pédagogique érigée en fiction de la société tout entière. Le cœur de la fiction pédagogique, c'est la représentation de l'inégalité comme "retard" : l'infériorité s'y laisse appréhender dans son innocence ; ni mensonge ni violence, elle n'est qu'un retard que l'on constate pour se mettre à même de le combler. Sans doute n'y arrive-t-on jamais : la nature elle-même y veille, il y aura toujours du retard, toujours de l'inégalité. » (pp. 197-198) On comprend donc qu'il y a, à cet échec dû à la radicalité de la pensée, autant des raisons historiques – le mythe du progrès – que des raisons intemporelles – l'antinomie avec une société inégalitaire et hiérarchique. On aura noté aussi que la pensée politique de Jacotot n'est pas du tout insurrectionnelle : son « anarchisme » est à la fois plus « moderne » et plus radical : radicalement individualiste aussi, dans le refus de l'émancipé de cautionner tout système de pouvoir, tyrannique mais aussi représentatif. Voici la conclusion de l'ouvrage : « Le Fondateur, lui, était mort le 7 août 1840. Sur sa tombe, au Père-Lachaise, les disciples firent inscrire le credo de l'émancipation intellectuelle : Je crois que Dieu a créé l'âme humaine capable de s'instruire seule et sans maître. Ces choses-là décidément ne s'écrivent pas, même sur le marbre d'une tombe. Quelques mois plus tard, l'inscription était profanée. […] Le Fondateur l'avait bien prédit : l'enseignement universel ne prendrait pas. Il avait ajouté, il est vrai, qu'il ne périrait pas. » (pp. 230-231 – excipit) Dans cette note de lecture, délibérément, j'ai essayé de me tenir au plus près de l'esprit d'apprentissage de Jacotot : au plus près du texte de Jacques Rancière, sans la moindre prétention d'expliquer, convaincu de mon égalité intellectuelle avec les éventuels lecteurs de ces lignes mais aussi avec les deux auteurs : le philosophe contemporain et le philosophe-pédagogue qui fit sa découverte il y a deux siècles. Dans cet esprit, je me demande ce que ce dernier aurait pensé de notre monde actuel, dans lequel Internet a donné l'illusion – au moins pendant un certain temps – que l'on pourrait s'informer (sinon s'instruire) soi-même, où le pouvoir implique d'abord le contrôle de la vulgate et où la pensée critique est un enseignement méprisé voire réduit au silence, un monde enfin dans lequel les fake news, le bullshit (au sens de Sebastian Dieguez) et les théories du complot prolifèrent. Peut-être faudrait-il inverser le rapport entre émancipation intellectuelle et enseignement (de la pensée critique) aujourd'hui...Quelle magnifique découverte que la pensée de Joseph Jacotot ! Tout enseignant, tout étudiant, mais aussi tout citoyen contemporain devrait absolument en prendre connaissance. L'histoire commence à la Restauration : Jacotot, jeune enseignant de rhétorique et officier d'artillerie dans les armées de la République s'exile aux Pays-Bas ; on lui offre un poste de professeur à demi-solde mais ses étudiants ne comprennent pas le français, pas plus qu'il ne parle le flamand. Cette année-là (1818), paraît à Bruxelles une édition bilingue du Télémaque de Fénelon ; il la leur remet et le prodige s'accomplit : les étudiants apprennent sa langue et s'avèrent capables de commenter et de discuter du livre, ils en écrivent de façon totalement correcte sans avoir reçu d'enseignement grammatical ou autre. De là, commence la réflexion de Jacotot qui est d'abord pédagogique, sur le rôle de l'enseignant qui peut et doit être non pas un répétiteur, un « explicateur », mais un « émancipateur » pour l'élève : « Il n'y a rien derrière la page écrite, pas de double fond qui nécessite le travail d'une intelligence autre, celle de l'explicateur ; pas de langue du maître, de langue de la langue dont les mots et les phrases aient pouvoir de dire la raison des mots et des phrases d'un...
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