Filles de la mer : Le livre de Mary-Lynn Bracht

Depuis quelques temps, je m’intéresse de plus en plus à l’Histoire contemporaine de la Corée et ayant entendu parlé, comme beaucoup je pense, des »femmes de réconfort’‘ mais sans en savoir vraiment plus, j’ai trouvé ici le roman parfait pour plonger dans les affres de ces femmes. Fille et petite fille de coréens, Mary Lynn Bracht a décidé de se pencher sur ce drame humain que le Japon essaie d’enterrer depuis une dizaine d’années alors que les femmes coréennes ont mis des années à réussir à en parler et qu’il est nécessaire de faire face aux turpitudes de son Histoire. Je suis donc ravie que ce roman existe et qu’il propose une vision aussi humaine, riche et documenté de ce dramatique sujet : le viol et la séquestration des femmes pendant les guerres, à travers l’exemple de la colonisation de la Corée par le Japon et des guerres en Mandchourie. Il aura fallu attendre les années 90 pour que les Coréennes osent en parler, le pays ayant mis le sujet sous le tapis, préférant parer à des urgences politiques, comme si le destin de ces femmes était négligeable, ce qui en dit long sur leur société patriarcale sous ces faux airs de bonté et compassion venant du Confucianisme… J’ai donc trouvé très intéressant et pertinent d’avoir ici un double témoignage, avec dans le passé ce qu’a vécu l’une de ces victimes et dans le présent une grand-mère participant aux manifestations pour ne pas oublier. Certes, ce sont des fictions dans les deux cas, mais ce n’en est pas moins représentatif de ce qu’on vécu bien des femmes coréennes et la force reste la même. Avec une plume très sobre et simple, sans chichi, drame à outrance ou poésie, mais avec justesse, l’autrice nous livre la destinée de ces femmes. D’abord celle de Hana, qui jeune haenyeo (plongeuse ancestrale en faisant son métier de mère en fille) se fait enlever par un soldat japonais sur un coup de tête pour finir dans un bordel de Mandchourie. J’ai été bouleversée par le récit de ce qu’elle subit, de l’enlèvement pour sauver sa soeur, en passant par le terrible voyage, le premier viol, puis le premier soir au bordel, etc. La force de cette femme pour survivre, résister à la tentation du suicide et continuer à penser à son amour pour sa famille et la mer, fut une vraie leçon de vie. Puis, la découverte d‘Emi, grand-mère se rendant à ces manifestations organisées chaque mercredi à Séoul pour ne pas les oublier, et pour elle pour retrouver un être cher, m’a bouleversée, car elle aussi avait vécu bien des choses au cours de ces années-là. Alors certes, la plume n’a rien de remarquable et la qualité du récit tient avant tout de son sujet, mais quel sujet ! J’ai aimé que l’autrice nous offre ce récit à la fois rude et douloureux de ce que vit Hana, sans tomber dans l’outrance et avec un très beau final. J’ai été touchée également par celui d’Emi, qu’on pourrait croire épargnée, mais non. J’ai surtout aimé pouvoir ainsi découvrir sans phare l’histoire de ce peuple de l’île de Jeju, de sa tradition matriarcale de plongeuses hors-norme, en passant par les ravages des hommes en temps de guerre, Japonais, comme Coréens ou Russes, la nationalité importe peu. C’est terrible comme un peu de pouvoir semble leur donner un sentiment de toute puissance. L’autrice le dit, certes elle parle ici de la Corée, du drame de la colonisation japonaise sous tous ces aspects (langue interdite, changement de prénom, »femmes de réconfort » – que je déteste ce terme !…), mais son récit à une valeur universelle. La preuve, des Coréens eux-mêmes pratiques des exactions, comme ces mariages forcés entre Coréens du nord et du sud au sortir de la guerre. Cela rend la lecture d’autant plus implacable. Ce fut donc une lecture vraiment douloureuse mais terriblement nécessaire, où j’ai aimé entendre la voix sororale de ces survivantes et de leurs descendantes pour passer le message : Non, on ne se laissera pas faire ! Non, tout n’est pas permis aux hommes ! Oui, il faut assumer vos horreurs ! Alors oui, la plume est passe partout, le schéma narratif du récit aussi, mais les portraits de ces femmes, si longtemps emmurées dans le silence, fait tout. Ils sont rudes, bouleversants, effrayants et pourtant terriblement forts et puissants. Ils ne s’oublient pas et ne doivent pas être oubliés.

Des milliers de femmes ont été enlevées dans les années 40 afin de devenir "femmes de réconfort" pour les soldats japonais... La souffrance des ces femmes durant la Seconde Guerre Mondiale est peu évoquée dans les romans : lecture indispensable ! Hana, une jeune haenyo va sacrifier sa vie afin de sauver sa petite sœur de cet horrible destin glaçant...

Sur fond d'occupation japonaise en Corée du Sud, les destins croisés de deux fillettes, Hana, 16 ans en 1943 et sa petite soeur Emi. Sur l'île de Jeju connue pour une de ses particularités culturelles : les "haenyo", ces "filles de la mer", des plongeuses en apnée qui pratiquent ainsi la pêche, et ce depuis des siècles. Hana y est capturée cette même année 43, parvenant à éviter le même sort à Emi, puis emmenée de force par les "valeureux soldats de l'armée impériale japonaise" pour devenir une "femme de réconfort" qui n'est rien d'autre qu'une esclave sexuelle soumise aux besoins, à la perversion souvent et la violence toujours des conquérants. Double temporalité dans ce roman, qui consacre l'année 1943 au douloureux cheminement d'Hana dans un monde d'hommes déshumanisés, puis qui nous ramène en 2011 où l'on retrouve Emi au terme de sa vie, qui n'aura eu de cesse de retrouver sa grande soeur disparue quelques 70 ans plus tôt. Y parviendra-t-elle ??? Vite, lisez ! Au-delà de ces destins brisés, c'est l'inscription du roman dans le contexte historique qui m'a particulièrement intéressée. Ainsi la découverte de ces "femmes de réconfort", démonstration d'un système carrément organisé de prostitution, question, parait-il d'ordre public et de motivation au combat pour les soldats !! En réalité , et comme toujours et comme encore, le viol utilisé comme arme de destruction massive: avilissement des corps, atteintes portées à l'honneur et à la dignité, violences physiques et psychiques. A noter qu'on estime à environ 200.000 le nombre de femmes coréennes ainsi victimes de cet esclavage sexuel pendant l'occupation japonaise ! Très intéressant également, pour ma part, que ce concept typiquement coréen de "han", ce mal-être transgénérationnel fait de chagrin, de ressentiment, de tristesse et d'abattement. La présence d'Emi en 2011 devant l'ambassade du Japon à Séoul correspond à cette commémoration ayant lieu tous les mercredis et ce depuis plus de 30 ans, au cours de laquelle les femmes coréennes demandent justice et réparation au Japon pour les crimes commis. Devoir de mémoire indispensable pour honorer les victimes, pour la transmission et la réflexion... Ca, c'est pour l'aspect culturel et "éducatif" du roman. Mais il véhicule aussi beaucoup d'émotions : il y a tant de larmes ravalées, tant de pureté souillée et une telle négation, un tel mépris de la population colonisée. Et à d'autres moments, une telle dignité chez les victimes voire quelques moments intenses de grâce et de solidarité poignante et lumineuse entre elles. A découvrir...Assurément !

Filles de la mer de Mary Lynn Bracht est un roman bouleversant qui ne peut laisser indifférent. Il nous plonge dans l’histoire méconnue des femmes coréennes réduites en esclavage sexuel par l’armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, à travers le destin de deux sœurs séparées par la tragédie. En 1943, sur l’île de Jeju, Hana, jeune plongeuse haenyeo, sauve sa sœur Emi des griffes d’un soldat japonais, mais en paie le prix en étant enlevée et envoyée en Mandchourie, où elle subit l’horreur réservée aux « femmes de réconfort ». Alternant avec son récit, on suit Emi en 2011, devenue une vieille femme, qui lutte pour que la vérité soit reconnue et garde l’espoir de retrouver sa sœur. L’écriture de Mary Lynn Bracht, sobre et poignante, évite tout pathos inutile et nous fait ressentir avec justesse la souffrance, la résilience et la force de ces femmes. La lecture est fluide mais éprouvante, tant l’histoire est dure et marquante. Ce roman rend un hommage puissant aux victimes des conflits et à celles qui, malgré tout, ont continué à se battre pour la mémoire et la justice. À lire absolument.