Gains : Le livre de Richard Powers

Lire un roman de Richard Powers, c'est généralement s'embarquer pour une longue traversée. Pourquoi poser le pied dans Gains, ce paquebot de 620 pages (éditions 10/18) ? Pour les mêmes raisons qui font aimer la littérature (tiens, je pourrais stopper ma phrase ici, mais je la continue comme prévu) de cet auteur américain prolixe et génial. Dans chacune de ses œuvres (ou presque), Richard Powers travaille un thème qu'il ne lâche pas avant de l'avoir essoré. Cela doit lui demander une recherche préalable intense, car il ne s'agit pas pour lui d'aller chercher des idées, il s'agit d'illustrer, de renforcer une idée forte qui est l'essence même du roman que nous lisons. Formé aux sciences physiques, l'auteur semble obsédé par la précision scientifique de son propos, alors que son génie est justement l'empathie, la sympathie, pour ne pas dire l'amour qu'il nous inspire pour ses personnages. Dans Gains, selon le procédé narratif, deux personnages principaux naviguent de concert : une entreprise, Clare soap and Chemical née au début du XIXème siècle, et Laura, une mère divorcée du XXème siècle. La première est une aventure pleine de rebondissements, et personnifie la naissance du capitalisme en Amérique. Et c'est là que Richard Powers en montre toutes les transformations, quand, par exemple, la famille Clare décide de fabriquer du savon, ou quand elle créé un savon qu'elle nomme le Baume authentique et qui est largement une promesse de charlatan. L'obligation pour l'entreprise, qui va se métamorphoser en société anonyme, de trouver d'autres façons de grandir, profitant de son expérience de chimiste de la saponification. Jusqu'au XXème siècle où elle est devenue une immense pieuvre qui étend son empire partout sur la planète. La seconde c'est Laura. En quelques lignes, l'auteur nous la rend sympathique et vivante, réelle. Laura vit, donc, en ce XXème siècle, à Lacewood, où Clare International entretient une de ses plus anciennes usines chimiques et qui fait travailler la moité de la ville. Passionnée de plantations, elle possède, dans ses placards, des engrais Clare. Mais, à la faveur, si je puis dire, de la déclaration de son cancer des ovaires, sa fille Ellen, son ex Don, lui enjoignent de rejoindre une plainte collective contre Clare, dont les produits pourraient bien être à l'origine d'une épidémie de cancer à Lacewood. Et elle constate que sa lessive provient de chez Clare, ses savons aussi bien sûr, des solvants, dissolvants... et pleins d'autres objets. Pour l'instant, elle préfère se battre contre sa maladie, son assurance santé est bonne, elle est remboursée de la plupart de ses frais de soin. La plupart, cela veut dire aussi qu'elle n'a pas accès à tous les médicaments dits de confort et qui pourraient améliorer les effets secondaire de sa chimio. Informée des chimies qu'on lui injecte à l'hôpital, elle se rend compte qu'il proviennent (encore) de la même source, Clare, et que se sont des produits d'une dangerosité extrême. Lorsque Richard Powers publie Gains, on est en 1998. C'est la preuve que tout était déjà en place. Aujourd'hui, je peux en témoigner, nous faisons face à une épidémie de cancers du pancréas, c'était une rareté il y a vingt ans, c'est devenu une maladie courante, et toujours, mortelle. Faites vérifier votre pancréas, on ne sent la douleur qu'au stade final de ce cancer qu'on ne soigne pas bien et d'ailleurs qu'on ne soigne pas s'il a atteint ce stade fatidique. Le foie est trop souvent atteint, et beaucoup d'autres organes, nous mangeons des pesticides, nous respirons des résidus d'un ou deux "je ne sais quoi" lâchés sans vergogne dans l'atmosphère et qui s'attaquent aussi à notre peau. Laura, elle, va lire la presse au sujet de son cancer des ovaires, et pour l'instant, il lui semble que ce cancer est encore rare à Lacewood. Alors elle doute devoir porter plainte avec les autres malades. Les liens de famille sont forts, les enfants souffrent de voir leur mère décliner. D'indifférents, comme des ados normaux, Tim et Ellen se rapprochent d'elle, à leur façon. Don est chiant (sic) mais ne l'abandonne pas. La bombe chimique et capitaliste, au sein de ce foyer, va-t-elle exploser ?