Le Talisman des territoires - Tome 1 : Le livre de Stephen King, Peter Straub

Lecture de l'édition collector sortie en octobre. Sacré voyage. Ce n’est pas si souvent que je me lance dans une relecture. La sortie de la version collector du Talisman de Stephen King et Peter Straub en octobre 2024, le tome 1, m’en a donné l’envie. 38 ans après, l’ayant lu initialement à sa sortie française à l’âge de 18 ans. Titre initial en France à l’époque : Le talisman des territoires. Autant dire que de l’eau a coulé sous les ponts depuis, que je ne suis plus la même personne, qu’il n’est pas possible de le traverser de la même manière. Ce récit, lu aujourd’hui, est à la fois un retour en arrière et un pas de côté. Une plongée dans les années 80, des souvenirs pour ceux qui les ont connues, une découverte pour les autres. Et l’Imaginaire qui nous emmène dans un univers parallèle. Qu’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas un roman pour ados, le texte est dur, glauque, et raconte une sortie brutale de l’enfance, sans passer par la case adolescence. Une quête et un roman d’apprentissage, hommage assumé à Mark Twain. Jack, 12 ans, se voit contraint de partir à l’aventure pour sauver la vie de sa mère. Le choc est rude pour ce gamin solitaire, obligé de grandir, à se révéler à lui-même, à s’imposer. C’est bien lui le cœur de l’histoire, davantage que les Territoires. D’ailleurs, une bonne partie de l’histoire se déroule dans notre monde. Impossible de ne pas parler de l’objet, superbe, une version de luxe qu’on meurt d’envie de prendre en main, de posséder. Même si, quand on y réfléchit, la couverture est étrange (qui est ce chien qui y figure ? Il n’apparaît pas dans le livre). L’éditeur Albin Michel a profité de cette réédition pour peaufiner la traduction. J’ai comparé avec l’édition originale, sur quelques pages prises au hasard, les changements sont plutôt cosmétiques, mais bien réels. Une très courte interview de Stephen King, datant de 2024, accompagne le roman. Elle sert surtout de mise en contexte, raconte les galères organisationnelles pour arriver à écrire à quatre mains à distance, une gageure à l’époque. Et le bonheur des deux auteurs à avoir mêlé leurs talents, chacun essayant d’écrire un peu à la manière de l’autre, comme par mimétisme. Le King avait investi 12 000 $ dans un ordinateur personnel à l’époque, seuls 4 millions d’Américains en possédaient un. Les eighties sont l’occasion d’une peinture d’une Amérique où tout était possible. Surtout faire bosser au noir, trimer, exploiter, un gamin de douze piges… Jack va devoir porter le pesant poids du monde des adultes sur ses frêles épaules d’adolescent. Les deux écrivains ne le ménagent jamais, le rudoient page après page (et il y en a 800). Un pavé qui demande du temps, mais qui le mérite. Près de 40 ans après, le roman est toujours aussi puissant, même si inégal. Certains passages et certaines rencontres marquent le lecteur au fer rouge (comment oublier Wolf, personnage incroyable). Il permet aussi de voir comment les mentalités ont changé, à l’image de l’homosexualité dans un contexte très daté. Je ne peux m’empêcher de le comparer au récent Conte de fées, écrit par le King en 2022, près de 40 ans plus tard. Ce sont deux récits de fantasy qui permettent de voir l’évolution de l’écriture tout comme la manière de construire une histoire (le roman le plus récent, que j’ai préféré, m’a semblé plus empathique et mieux équilibré). La réédition de Talisman est une excellente initiative, cette collaboration de deux géants de l’écriture de l’Imaginaire mérite vraiment d’être redécouverte, quelles que soient les générations de lecteurs.