Méfiez-vous des femmes insomniaques : Le livre de Annabel Abbs

Ah l’insomnie: quelle vilaine ennemie ! Elle obsède et dérange le calme plat de nos nuits. Si vous êtes hanté par le manque de repos, il faut vous jeter sur le livre d’Annabel Abbs qui se révèle être le parfait cache-cernes aux heures creuses. Après avoir vécu plusieurs deuils dans sa vie personnelle, l’écrivaine britannique a vu ses nuits blanchir jusqu’à se sentir complètement aveuglée par la situation. Nulle tisane à la valériane ni podcast d’ASMR ne sont venus à bout de l’épuisement. Démunie, elle s’est finalement résolue à accepter ses insomnies et à les accueillir à la bougie dans le creux de son lit. Dans Méfiez-vous des femmes insomniaques, Abbs part à la recherche de son «moi nocturne» et traverse la pénombre jusqu’aux confins d’elle-même. Elle raconte que, biologiquement, nous ne sommes pas les mêmes personnes durant la nuit, d’autres hormones sont sécrétées et l’activité cérébrale est tout autre. Elle affronte la nuit en marchant, en écrivant, en lisant. Avec une pluralité d’exemples, tant scientifiques que littéraires, elle embarque dans son voyage de noctambule des femmes admirées, qui ont toutes été tourmentées par la carence de sommeil, telles que Sylvia Plath, Virginia Woolf, Laura Cereta, Louise Bourgeois et j’en passe. Tout pour nous donner le goût de partir à l’aventure dans l’obscurité imposée par ce moment de la journée !

Comme beaucoup d'êtres humains sur cette planète, il m'arrive de temps à autre de conter fleurette aux moutons pendant la nuit. À certains couplets de ma vie, le sommeil semble musarder dans d'autres pénates, le marchand de sable refuse catégoriquement de lâcher sa cendre sablée sur mes paupières. J'ai beau enfiler ma tenue de chasseuse de dodo et lancer mon lasso pour le saisir, en vain, l'endormissement ne pointe pas, les heures paradent, les murs se rapetissent, la voûte de mes pensées s'élargit. Et il suffit que, par malheur, je fasse s'introduire l'armada de fantômes typhon qui me sert d'acolytes nocturnes, ceux-là mêmes qui ne prennent jamais le temps d'essuyer leurs bottines toutes crottées de passé sur le paillasson, pour que l'aube tarde à venir. Le soir, notre dépouille se relâche des affres de la journée, l'interrupteur diurne est en off. Notre encéphale décélère pour rentrer dans sa phase somnolente. Des hormones s'évaporent pour laisser la place à d'autres. L'astre solaire quitte son siège royal pour laisser l'obscurité étendre ses tentacules. Les sens aux aguets, le moindre bruissement prend une sonorité différente, le lierre frappe de ses branches grimpantes à la fenêtre pour que l'on daigne le convier à rentrer, la pluie fait du trampoline sur les feuillages. La nuit, un silence criard s'installe afin de nous narrer des histoires que l'on ne saisit guère lors de notre routine surchargée. Au cours de leurs existences, les femmes seront plus susceptibles de pâtir d'insomnies dues à leurs dérèglements hormonaux. Annabel Abbs, elle, en fera les frais suite à trois décès concomitants ; c'est dans ces instants épineux qu'elle fera la connaissance de son Annabel de nuit. Cette personnalité est l’envers d'elle-même, délestée de tout masque social ; dès lors, l'autrice prendra le temps d'habiter dûment son deuil. Cette vaste balade dans cette patrie des insomniaques s'appuie sur les ultimes études en sciences, sur les artistes qui ont utilisé ces heures spectrales pour bâtir, créer, se soustraire du cadre qu'on leur imposait. Elle fait aussi la part belle à la nature, à nos forêts, aux créatures crépusculaires. Méfiez-vous des femmes insomniaques n'est pas une ixième panacée, plutôt une nouvelle manière d'appréhender et de repenser ces soirées auxquelles notre paillasse semble être une barque voguant en plein dans nos tempêtes intérieures.