Plein Gris : Le livre de Marion Brunet

C'est un bon petit roman pour adolescents avec des chocs de personnalités pouvant générer conflits mineurs, voire beaucoup plus graves avec un risque élevé d'actions irrémédiables. La bonne idée de l'écrivaine est de situer l'action à bord d'un voilier sur lequel les jeunes partent vers l'Irlande depuis la Bretagne. Ce scénario donne une dimension épique à une histoire qui aurait pu tourner sur terre à la bluette dramatique. Les scènes de mer avec de nombreuses informations sur les techniques de la voile, ainsi qu'une tempête très puissante qui hypothéquer la sérénité du groupe, assurent le gain de l'attention des lecteurs. Les descriptions des assauts des déferlantes sur le pont du bateau sont très réalistes et la perdition probable du voilier bien amenée. En revanche, l'histoire pêche au niveau des relations humaines entre les jeunes, la perte de sa virginité par la narratrice apporte peu si ce n'est une amourette déçue, elle passera à autre chose. Les conflits sont exacerbés au point de manquer de réalisme parfois, mais la détresse de tous est néanmoins très palpable. L'épisode avec les requins est plutôt farfelu et, s'il ajoute une dose d'angoisse, il ôte une part de crédibilité à l'histoire. Alors, ces jeunes, ce ne sont pas les enfants du capitaine Grant, loin de là, ils ne suscitent guère d'empathie de la part du lecteur, ils ont néanmoins su appliquer à leur histoire un bel adage de vrais marins : "Ce qui se passe en mer reste en mer".

« Ce qui se passe en mer reste en mer. » Mais que s'est-il passé, justement ? Chacun est dans la stupeur. Immobile. Sidéré. Que faire ? Dès les premières pages, le ton est donné. Un corps remonte à la surface de l'eau. le corps de leur ami : Clarence. Clarence était comme un soleil : surtout aux yeux d'Emma. Clarence brillait comme un soleil. Avant de se brûler les ailes... Emma appelle : Clarence. Clarence. - Mais c'est Elise qui réagit la première : « Il faut le sortir de l'eau ». - Sam allume le moteur du voilier pour le rapprocher du corps. - Elise a le hoquet. - Quant à Emma, elle voit du sang sur la nuque de Clarence. - Elise vomit tout-à-coup... - Victor remonte avec la trousse à pharmacie. « Etrangement, la première chose que fait Victor, c'est se précipiter dans le carré. Peut-être pour y trouver de quoi soigner Clarence, en dépit de toute logique. Il y a des gens qui ont besoin de ça, je ne sais pas, remuer, chercher une solution aux situations qui n'en ont pas. »  (p. 31) C'était leur rêve : prendre la mer. Seuls maîtres à bord... Partir naviguer ensemble, c'était grisant. C'était l'aventure...Une semaine. A bord d'un voilier – le Céladon – Emma avait convaincu ses grands-parents. Ils en avaient tant rêvé... le projet c'était de partir. Partir en mer. Jusqu'en Irlande... Juste eux 4 : Clarence, Sam, Elise, Emma. Puis revenir, laisser derrière l'Angleterre... et revenir en France. A leur point de départ. Au dernier moment, sur le port, Victor s'est joint à la petite bande, et le voilà à bord. C'est tout d'abord le récit d'une rencontre : avec Victor. Assez beau. « Cool », annonce Clarence. A l'entrée du cinéma. Juste avant la terminale et la rentrée au lycée. Alors que tous quatre sont à l'aise avec l'océan, Victor est un peu différent. Terrestre. «  Aucun d'entre nous n'aurait pu prévoir, ce soir-là, ce qui vient de se passer. », d'après Emma. (p. 10) La tragédie se dessine déjà. Unité de lieu : le voilier. Unité de temps : le temps d'une aventure. D'une virée. Unité d'action : la traversée. Le vent s'est levé. Un avis de tempête a été lancé. Que faire à présent ? « A l'horizon, une barre sépare mer et océan. C'est gris suie, épais comme un incendie de pétrole, et ça se rapproche. Les voiles se gonflent dans le plus grand désordre, giflant le mât avec de grands cliquetis de poulies et de manilles. le corps de Clarence n'a pas bougé. » (p.28) Que faire ? Faire demi-tour ? Appeler les secours ? Les uns et les autres se décomposent... puis se mettent à agir. Les chapitres alternent entre le présent et les rappels du passé.¨ D'une part, il faut combattre la tempête qui vient sur eux – c'est le présent – D'autre part, Emma se souvient : Auparavant. La rencontre avec Clarence... ce fut comme une apparition. Un autre chapitre s'ouvre sur une deuxième rencontre... Celle de Clarence et d'Emma. Elle survient avant l'entrée au collège, en 6ème. Un autre moment de choix, de bifurcation. C'est aussi un moment de rupture pour les parents d'Emma : de divorce, de séparation. Emma est la narratrice : elle se souvient. Rétrospectivement, Emma évoque les moments avec Clarence. Elle pense à l'équipe qu'elle formait avec son ami. Elle à l'arrière du dériveur, lui sur le pont, le visage dans les embruns. Rien qu'elle et lui. Le jour du départ, il y avait un temps parfait. Une légère brise... Pour partir naviguer à bord du Céladon, il fallait non seulement réussir en navigation. Mais il fallait aussi exceller au lycée... Emma se souvient de Clarence faire preuve d'ambition et déclamer Oedipe. Clarence est comme un dieu pour Emma. Elle se compare à Danaé, séduite par Zeus « sous une pluie d'or, conquise ». Il faut dire que Clarence a tout du leader charismatique. Ainsi, de temps en temps, il y a une référence mythologique... et les dés sont lancés... L'intertextualité relative à l'Antiquité appelle déjà à la tragédie. Elle se dessine déjà, en filigrane. Est-ce à cause de l'attirance irrésistible d'Emma pour Clarence ? Cette passion à laquelle elle ne peut résister ? « Il me semblait que la puissance de l'amour se cachait forcément derrière l'intensité du conflit ». (p.18) Est-ce à cause de la rivalité entre Clarence et Victor, qui font désormais partie d'une même famille recomposée (comme des frères ennemis) ? Ou est-ce à cause de la personnalité de Clarence ? Ce dernier peut être comparé à Phaéton, qui a tout brûlé autour de lui, en prenant les rêves du char de son père le soleil... – ou encore comme Icare, qui s'était trop approché du soleil. Les deux se sont noyé dans la mer... Mais si Clarence a un nom lumineux, Victor a celui de la victoire. Le résultat, c'est un roman passionnant. Il m'a captivée... et je n'ai pu m'en détacher. Je l'ai lu d'une traite... quasiment en une nuit. Il est rythmé... comme j'aime. C'est un grand roman, à n'en pas douter. Et je suis ravie d'avoir découvert une grande auteure de romans !

Un huis clos en pleine mer, ça c'est du génie ! Car quel autre lieu que la mer en pleine tempête peut être aussi saisissant et immersif ? 5 amis mordus de navigation décident de partir en voyage, l'un meurt en cours de route alors qu'une dangereuse tempête se prépare. C'est une déferlante d'angoisse que nous envoie #marionbrunet en pleine face. Les 4 amis se retrouvent avec un cadavre et une mer impraticable au milieu de nulle part, sans possibilité de joindre qui que ce soit pour venir à leur secours. Un thriller houleux dans lequel on se retrouve sur le qui-vive à tout instant, d'un côté les 4 amis combattent la terrible tempête et d'un autre qu'est t-il arrivé au 5 ème membre de l'équipage ? L'auteur mène d'une main de maître cette histoire à glacer les sangs, c'est addictif et bien dosé ! Ne pas oublier.... "ce qui se passe en mer, reste en mer". Une excellente découverte !!!

La Gueule du Loup m'avait bien plu, là, je suis carrément emballé ! C'est sec, tranchant, parfaitement mené. L'intrigue resserrée et simple (tempête en mer, il faut survivre), est le prétexte pour nous raconter une histoire d'amitié (toxique et pas toxique), d'amour (toxique et pas toxique) et d'apprentissage. Le portrait des ados et du groupe de potes est très bien vu (j'ai retrouvé plein de choses de quand j'avais entre seize et vingt ans), la chute pour clore l'affaire est calibré comme il faut. Du grand art ! Encore !