C’est un drôle de refrain : Fraus omnia corrumpit. L’adage juridique latin – « la fraude corrompt tout » - ne figure pas dans le nouveau livre des deux sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, mais il ne cesse de venir à l’esprit tout au long de leur périple entre Paris-Genève et Luxembourg. La presse a raconté par le menu les grandes affaires récentes de fraude fiscale, le rôle des lanceurs d’alerte, les péripéties judiciaires, les familles éclaboussées par le scandale. Le couple de sociologues scrute à sa façon, dans Tentative d’évasion (fiscale) le dessous des cartes : les relations, le langage et autres attributs de ces citoyens décidés à échapper tant à l’impôt qu’au sens de l’histoire. Pour les deux auteurs, « la classe dominante organise le plus grand casse des temps modernes ».
Mathieu Delahousse / L'Obs
Dans l’atmosphère de secret et de silence qui règne autour de l’évasion fiscale, parfois quelques mots font grand bruit : SwissLeaks, LuxLeaks ou Clearstream… Des noms obscurs qui désignent des affaires tout aussi obscures de fraude fiscale. Pour sortir de ce brouillard, les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot font paraître, cette semaine, un essai à la fois lumineux et exaspérant sur le sujet. […] Tentative d’évasion (fiscale) commence sur une boutade : les Pinçon-Charlot décident d’ouvrir un compte en Suisse afin d’extrader leur maigre fortune. C’est parti pour un voyage de 240 pages en Suisse et au Luxembourg, ces contrées où tout n’est que luxe, calme et volupté, mais surtout dans les méandres des montages financiers, des banques UBS et HSBC et des couloirs de Bercy. S’appuyant sur plusieurs enquêtes sur le sujet, l’ouvrage est une synthèse ludique et pédagogique dont la valeur ajoutée réside dans les familières «lunettes» Pinçon Charlot : cette sociologie aigre-douce de la classe dominante dans sa pratique de l’évasion fiscale. «On en a bavé pour cette enquête, les livres étaient rasoirs, il fallait en faire quelque chose de drôle et ce n’était vraiment pas évident», raconte Monique Pinçon-Charlot. Pris par la main, le lecteur parcourt, avec les sociologues, les bords du lac Léman, une vente aux enchères d’horlogerie suisse...[…] Mais, au-delà de la sympathique balade sociologique, du jeu de rôle et du jeu de pistes, Tentative d’évasion (fiscale) est surtout un réquisitoire lourd contre une oligarchie «soudée par l’appât du gain» (énarques, avocats fiscalistes, responsables politiques) qui, de manière systémique et systématique, refuse de contribuer par des impôts à hauteur de leur patrimoine, à la solidarité collective. Oligarchie formée de camarades de classe au sens scolaire, mais surtout au sens social. «On nous livre en pâture les paradis fiscaux, des territoires. Avec ce livre, notre objectif était aussi de délégitimer ces gens courtois, qui portent des titres de noblesse et des costumes cravate, de montrer la face cachée de cette aristocratie qui, pour l’argent, est prête à tout», précise Michel Pinçon. Pour les retraités du CNRS, l’Etat, par la toute puissance du ministre du Budget et par le manque de moyens investis dans la lutte contre la fraude, organise l’impunité des délinquants en cols blancs et se rend ainsi complice de ce qu’ils appellent le « plus grand casse des temps dits modernes».
Anastasia Vécrin / Libération
Sociologues, anciens directeurs de recherche au CNRS, Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon
se sont plongés dans le monde de l’évasion fiscale. De leur immersion au Luxembourg, en Suisse
et à Bercy, ils rapportent un ouvrage, Tentative d’évasion (fiscale), qui montre à quel point
la fraude est devenue une pratique systémique et une arme de l’oligarchie pour asservir les peuples.
Olivier Morin / L'Humanité
Un hôtel sur les bords du Rhône avec vue imprenable sur le quartier des banques. C’est dans cet établissement de Genève que les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot ont posé leurs valises. Avant de traîner leurs guêtres sur les traces des riches étrangers choyés par la Suisse. Avec un art consommé du récit, ils racontent leurs résidences bien gardées, le collège de leurs enfants près du lac Léman qui se transporte l’hiver dans la station de Gstaad, leurs fêtes mondaines, leurs immenses coffres-forts cachés derrière de hauts grillages, dont le précieux contenu échappe le plus souvent au fisc local… Et après ? Loin de lâcher le morceau, nos deux globe-trotters chevronnés embarquent, de retour à Paris, sur le paquebot de Bercy. De quoi démontrer que « c’est en partie au sein même de l’Etat français que s’organisent les faveurs fiscales dont bénéficient les plus nantis ». On vous laisse découvrir la suite. Mais une chose est sûre, tout est fait, en France comme en Europe, pour ne pas froisser les cols blancs.
Marion Rousset / Causette