Cargo blues : Le livre de Audrey Sabardeil

Vivre accoudé à un balcon suspendu au-dessus de la Méditerranée est un privilège. C'est le quotidien de Fab, qui navigue entre Corse et continent sur le Pascal Paoli. A quai, deux êtres chers l'attendent, son amie d'enfance Angelica, et Charlie, qu'il aime comme un fils. Lorsqu'une nuit, un drame les percute, son équilibre vacille. Une fusillade au pied d'un immeuble qui aurait pu n'être qu'un banal fait divers marque le début d'une longue cavalcade et Fab se retrouve pris dans un engrenage vertigineux au cœur de différents trafics... Audrey Sabardeil nous plonge en immersion au coeur de Marseille, un polar percutant qui nous balade dans les coins les plus sombres en compagnie d'un héros très attachant. Une intrigue qui suit le parcours d'un homme qui se perd, se frotte à un monde qui lui échappe, et surtout, se confronte à lui-même, dans une tempête de doute et de révolte. Sabardeil a une écriture digne des plus grands écrivains de romans noirs. Il y a du rythme, des rebondissements, des personnages charismatiques, du suspense. Elle nous présente une cité phocéenne gangrenée par la débauche, la perversion et les trafics. On est loin du soleil et des cigales. Des scènes d'action efficaces, une histoire qui nous balade dans une atmosphère poisseuse et riche en émotions, avec pour toile de fond un sulfureux théâtre et des personnages sur mesure. Dealers, junkies, complots, un engrenage infernal qui met en avant Fab’, le personnage principal, qui tient un rôle essentiel pour apporter ce supplément d'âme et une belle humanité à une intrigue qui se veut retorse et musclée. Prenant, bouleversant, captivant, un très bon polar.

Deux heures du matin, en pleine mer, sur le pont d’un cargo, portable collé à l’oreille, Fab essaie de rassurer Angelica qui, prise de panique, l'a appelé à l’aide. “ Fab ça craint ! Ils sont juste là, putain ! - Qui ça ils ? Je n’en sais rien, moi, qui c’est, et je m'en fous ! Bordel, Fab, ça tire encore ! De tous les côtés ! T’es chez toi ? Oui ! Ça vient de la rue, t’es sûre ? C'est juste à côté, j’te dis ! Je t’appellerai pas sinon: Fab, j’ai peur ! Ça va aller Angie, ils ne sont pas là pour toi; tu sais bien. Mais c’est de l’autre côté du mur ! Ecoute moi : va dans la salle de bains. Enferme-toi. Prends Charlie avec toi ; Il dort dans son lit. Encore mieux ! Elle ferme à clés sa chambre si je me rappelle bien, alors verrouille bien ta porte d’entrée, éteins tout dans l’appart et rejoins-le. Il dort, il est tranquille. Ne le réveille pas, d’accord ; Tout va aller, t’inquiète pas...” Elle répondit d’un Mmmmmh pas vraiment convaincu. Il la savait solide et pas farouche. L'entendre ainsi effrayée était bel et bien préoccupant. Le danger était indubitablement à sa porte. “ T'inquiète pas ma belle. Chez toi, vous ne risquez rien. Reste avec ton fils, dans le noir, sans faire de bruit. A mon avis les types dehors ne savent même pas que vous êtes là. Quand ils auront fini, ils partiront. “. La fusillade terminée, le calme revenu, c’est au tour des sirènes et des gyrophares des secours. De son côté, Fab enrageait, il ne comprenait pas. “Si maintenant ça canardait même à La Joliette ! Même en plein Marseille ! “ Le matin, en partant travailler, Angelica apprend que Redouane, le jeune voisin qu’elle aime bien, a été abattu dans la nuit. À son retour, elle trouve son appartement saccagé, fouillé de fond en comble. Rien n’a disparu. Puis c'est au tour de l’appartement de Lila, son amie, la mère de Redouane d’être vandalisé. Ici aussi rien n’a été volé. Quelques temps plus tard, Angelica est victime d’une très violente agression. Après des années de silence, Fab et Angélica ont retrouvé la complicité de leur enfance. La sentant en danger, il est redevenu le grand-frère protecteur qu’il n’a jamais cessé d’être. Il plonge alors dans un monde sans pitié où règne la violence. Jusqu’où cela le mènera-t-il ? Marseille sert une fois encore de décor au troisième roman d’Audrey Sabardeil. Elle y montre visible et l’invisible. L’intrigue est habilement construite à partir d’événements inspirés de faits divers, ceux qui font régulièrement les gros titres de la presse. Très bien documenté, Cargo Blues fait plusieurs fois référence à La Chute du Monstre de Philippe Pujol. Dans ce second opus de sa trilogie marseillaise, le lauréat du Prix Albert Londres 2014, mène l’enquête sur les enjeux de la spéculation immobilière et les conditions de transformation du centre-ville. Fab avait fui Marseille. Pour lui, ce n’était plus qu’une escale. Il ne reconnaissait plus la ville, ne s’y retrouvait pas. En tentant de déjouer le piège dans lequel sa sœur de cœur était tombée, il se lançait dans un monde qui lui échappait. De son côté, Angie restait profondément attachée à sa ville et à ses valeurs : la solidarité, l’entraide. Elle tenait à vivre dans le quartier de La Joliette, là où accostaient autrefois les navires de son père et de celui de Fab. Assistante sociale, elle voulait continuer à partager le quotidien des habitants, leur tendre la main. Mais elle refusait de voir la réalité : la fuite des plus démunis, la vétusté des immeubles, la dégradation lente du quartier, l’insalubrité, l’insécurité. Certaines scènes frappent par leur réalisme. Les dialogues sonnent juste, sans jamais tomber dans la caricature. Audrey Sabardeil s’inscrit dans une sensibilité proche de celle de Jean-Claude Izzo. Il y a trente ans en arrière on n’aurait pas hésité à qualifier Cargo Blues de Polar Marseillais. Mais plus qu’un polar, c’est un vrai roman noir plus proche du Soleil des mourants le dernier livre écrit par Jean–Claude Izzo que de Total Kheops. Avec Cargo Blues, Audrey Sabardeil rappelle que. “Le Soleil ne brille pas pour tout le monde”

Fab est marin. Alors qu’il est sur le cargo qui le ramène à Marseille, il reçoit un appel paniqué de son amie d’enfance. Il comprend qu’une fusillade a lieu dans le quartier d’Angelica. Il lui préconise de se cacher avec son fils et l’informe qu’il rentre le lendemain. À son arrivée, Angie lui dit qu’elle aimerait assister à la réunion organisée par les amis de Redouane. Elle est assistante sociale et elle connaissait l’adolescent tué la nuit précédente. Il propose de garder Charlie. Pendant leur absence, l’appartement de la jeune femme a été dévasté. Fab comprend que ce n’est pas un cambriolage. Que recherchaient les vandales ? Malgré lui, Fab est embarqué dans une enquête périlleuse. Alors qu’il effectue un extra de serveur, il découvre de nouvelles ramifications. Il n’a aucune compétence pour mener des investigations, seule une prudence primitive le protège. Cependant, il est déterminé à faire ce qu’il peut pour sauver ceux qu’il aime. Cargo blues est une immersion dans la pègre marseillaise par des personnes éloignées du milieu. Aussi, nous tremblons pour elles. Fab est révolté par l’horreur qu’il côtoie, pire que ce qu’il imaginait : trafic de drogue, manipulation, corruption, prostitution forcée et soirées spéciales. Le mal est infiltré dans toutes les sphères professionnelles, publiques ou privées. Certaines scènes ont été très difficiles à lire, en raison de la violence infligée aux femmes, toujours les premières victimes. J’ai été ébranlée par le récit de leurs douleurs physiques et de leurs souffrances psychologiques. Comme Fab, je me suis forcée à ne pas détourner les yeux et j’ai été hantée par certains faits. Le plus difficile est de savoir que c’est une réalité. Cependant, emportée par le suspense, je ne pouvais pas lâcher cette histoire. Fab est lancé dans une course contre la montre. Il n’a pas le temps de s’attarder sur ses actes, la culpabilité viendra plus tard. Il doit agir et sauver ceux qui peuvent encore l’être. Sauver n’est pas le mot adéquat, car les stigmates resteront gravés. Mais il est déterminé à enrayer l’engrenage. Si lui-même dépasse les limites, mon espoir était qu’il s’en sorte et ne soit pas démasqué. Hélas, il est forcé de prendre des risques élevés. J’avais peur, mais en raison des enjeux, je le suppliais de ne pas abandonner. Cargo blues est un mélange de roman noir et de thriller que j’ai adoré et qui m’a remuée par sa noirceur réaliste.

Un roman noir qui nous fait plonger dans les arcanes de Marseille comme dans les méandres de l'âme humaine dans ce qu'il y a de beau et d'obscur. La noirceur s'expose ici à la lumière brillante et crue du soleil et à notre regard. On suit Fab à l'arrière de sa moto, on vibre avec lui, on bouillonne, on frémit, on détourne les yeux comme lui, parfois. Une histoire bien écrite et bien ficelée, qui se tisse au fil des pages, comme la toile de l'araignée, à grande échelle, celle du crime organisé sur la ville et qui monte en intensité. Ça m'a embarqué!