Des diables et des saints : Le livre de Jean-Baptiste Andrea, Guillaume Marquet

Un roman émouvant sur l’amitié et les horreurs que peuvent subir les enfants dans les établissements tel que les orphelinats. Un thème difficile abordé avec douceur grâce à une jolie écriture et un fil conducteur autour du piano. On s’attache à ses enfants qui ne rêvent que de libertés et d’un peu d’amour.

On a tous connu ces pianos attendant qu'on veuille bien jouer d'eux dans ces lieux de passages. Entendre la mélodie. Se faire emporter par le rythme. S'arrêter un instant. Une seconde infinie devant la beauté de la musique. Mais, connaissons-nous réellement ceux qui en jouent ? Que font-ils là ? Qu'attendent-ils ? C'est l'histoire de Joseph, que dis-je, Joe. Joseph est ce nom d'une autre vie. D'un autre monde. Perdue dans les quarante sept minutes de la face cachée de la lune. Joseph est cet orphelin. Vous savez, ce paria de la société qu'on enferme dans un confin aux allures de couvent. C'est l'histoire d'un enfant qui a tout perdu. Mais qui n'en reste pas sourd au monde. C'est l'histoire d'une amitié. De la trahison. De la discipline et de la violence qui en découle. Ça parle des hommes. De leur petitesse à défaut de pouvoir toucher la grandeur. C'est l'histoire de rencontre qui marquent à jamais. D'un crash d'avion. D'une robe rouge Dior. D'un parfum. De l'Oubli. Ce roman fait partie de ceux qui m'habiteront longtemps. Qui résonne et vient éclairer la vie quand elle sombre.

"J'ai promis de ne rien oublier" Joe au seuil de sa vie accomplie se souvient. Après un accident tragique, ces quelques mois de 1969 à 1970 ont à jamais bousculé son destin tout tracé. Catapulté "dans une vie au fond de vallée", Joseph atterrit aux Confins, un orphelinat dirigé par l'abbé Sénac, un homme embrigadé dans ses bons sentiments et saints sacrements. Avec son acolyte Grenouille, il maintient l'ordre. Dans ce lieu, Joseph tente de suivre les préceptes qui annihilent toutes les individualités,au détriment de toutes satisfactions quelles qu'elles soient. Il se raccroche à ses souvenirs, à ceux de ses leçons de piano avec monsieur Rotenbergh. Cette pratique lui ouvrira des portes insoupçonnées, en fermera d'autres. La liberté peut-être ? Il y rejoint aussi d'autres ados dans une quête de liberté, effrénée, illusoire, celle d'une société secrète. La fameuse "Vigie" qui avec Souzix, Sinatra, Edison, Fouine et Momo lui permet d'écouter la radio chaque dimanche soir. L'un d'entre eux, Dany le plus rêveur sans doute, reste l'énigme à résoudre. "Si mon regard est un peu lointain parfois, pardonnez-moi. C'est que mes yeux ont trop longtemps fixés les royaumes oubliés." J'ai beaucoup aimé suivre Joseph dans les méandres de ses souvenirs. J'ai pleuré avec lui, crié mon désarroi. Et puis, comme à chaque fois je me rassure parce qu'un livre. Sauf que celui-ci est tiré d'une histoire vraie, et que comme à chaque fois, l'histoire de milliers. Je suis désoeuvrée aussi. Ce livre est en cours d'adaptation cinématographique grâce à #jeanpierrejeunet.

Après avoir lu et adoré le merveilleux Veiller sur elle , très peu de temps après qu'il ait eu le Goncourt, j'ai voulu étoffer ma connaissance de l'œuvre de Jean-Baptiste Andréa. Et en effet, on reconnaît dans ce roman la patte de ce grand auteur.  Certes,  je n'ai pas pu m'empêcher de comparer avec Veiller sur elle, et de sentir qu'il lui manquait à l'époque de la rédaction de Des Diables et des Saints, ce petit quelque chose, cette maturité stylistique, qui lui a permis quelques années plus tard, d'accéder au Goncourt. Pourtant le pari est réussi, l'auteur aborde les thèmes qui lui sont chers,  l'art, l'amitié, les rapports de classe, le fait de grandir sans parents, avec énormément de douceur et de violence à la fois.Son écriture tendre et poétique  nous emmène au cœur de la vie et des malheurs de Joseph. Avec élégance mais précision, il nous montre les atrocités auxquelles les habitants de l'orphelinat étaient confrontés... Le lecteur a le cœur serré de voir tous ces malheurs, ces déceptions, ces abandons, auxquels ces enfants sont confrontés. Comparé à Veiller sur elle, l'auteur ne bâtit pas un grand roman qui parle de tout... on a presque l'impression qu'il parle de "rien", qu'il raconte une histoire au format très resserré. Nous ne sommes pas dans une fresque historique, dans la petite histoire qui rejoint la grande histoire... Mais en fait Des Diables et des Saints parle de tout, de choses universelles et terriblement importantes. Sont évoqués les sujets de l'amitié, l'enfance, le deuil et les maltraitances... on n'en ressort pas la tête pleine d'images et de dépaysement, mais on en ressort avec une grande impression , et une grande émotion.