Ici ça va : Le livre de Thomas Vinau

Rarement un livre m’a autant touché Et pourtant pas d’intrigue, pas de décor exceptionnel, peu « d’actions »… mais peut-être une question au cœur du récit, nos existences. Le protagoniste est un peu paumé dans sa vie, un état psychologique que je retrouve chez de nombreuses personnes de mon entourage. Il fait le choix d’une vie simple tout simplement. Ce livre est beau d’une justesse déconcertante . c’est de la poésie, un pur moment de bonheur et d’amour.

« Ici, ça va », ainsi commence l’histoire et c’est comme un sésame pour ouvrir la porte de la vieille maison et celle des souvenirs. Parce que le narrateur a déjà vécu ici, mais il semble avoir tout oublié. Ou presque ; Voilà que ça revient par bribes, au fur et à mesure qu’il exhume de vieux objets, des vinyles, une canne à pêche, une paire de chaussures de randonnée, un mélodica… Une liste à la Prévert qui ouvre des horizons. « C’est un joyeux chantier. Un peu comme une vie en kit dont les milliers d’éléments seraient éparpillés sur le sol et qu’il faudrait prendre le temps de remonter. » Aux côtés du narrateur, il y a Ema, qui semble heureuse au milieu de cette nature retournée à l’état sauvage et qu’il faut à nouveau dompter. Elle peint, plante, sème en chantonnant. Et lui, l’homme inquiet, sujet aux crises d’angoisse, se construit peu à peu un présent et un avenir tissés de ce passé qui ressurgit. La nature aussi est très présente, les éléments comme l’eau, la terre et puis ce désir d’apprendre le nom des arbres, celui des oiseaux. La rivière, toute proche, offre sa présence rassurante, sa fraicheur et sa liberté. C’est comme un ancrage, elle a une importance dans l’histoire que l’on comprend à la toute fin « Je m’assois. Me laisse envahir par le ronronnement. La vibration sourde et accueillante du courant. De temps en temps, un tronc craque. Le débit s’accélère. Je reste immobile dans les éclats froids. » Il y a une grande douceur dans ce texte alors qu’il est question de traumatisme, de difficultés de la vie. Il y a aussi les autres, le frère et sa femme en visite, le paysan pas très bavard mais qui ouvre son cœur. Et puis, il y a Lulu, la fillette qui, avec sa différence, séduit le jeune couple. Les phrases sont courtes, il n’y a pas de grands développements, mais l’essentiel est dit et le reste, on le devine dans le courant de la rivière, dans les herbes folles ou la joie de Lulu. Courts chapitres aussi, pour raconter le temps qui s’écoule et le bonheur qui se construit. Cette simplicité de l’écriture suscite l’émotion, on est bien là, et on resterait bien encore un peu en compagnie de ce jeune couple qui construit sa vie. Mais la dernière page est tournée. On savoure. Et voilà, ici ça va et la boucle est bouclée.

Un livre magnifique, tout en délicatesse. Un très bon équilibre entre narrativité et poéticité. Ici, ce n'est pas tant l'intrigue qui compte que les instants saisis par la plume sensible et travaillée de l'auteur. On est bien loin des romans à rebondissements ; tout est centré sur la résonance émotionnelle de petites actions simples, pour reconstruire le goût de la vie. Une belle construction fragmentaire, contemporaine.

Délicieuse dissertation littéraire sur la reconnection à la nature grâce à ce couple dont nous parle Thomas Vinau avec beaucoup de talent et de poésie, enveloppés d’une légère brume de nostalgie. Quand l’actualité démoralisé, rien ne vaut un détour en forêt, dans les champs, le long des rivières à écouter les oiseaux, le vent dans les feuillages ou l’eau qui coule. Lecture courte mais tonifiante.