Les filles de Roz-Kelenn : Le livre de Hervé Jaouen

Une très belle saga familiale qui se déroule sur un siècle. Un roman d’une grande sensibilité et d’une grande pudeur qui narre l’histoire d’une famille partie de rien et qui va faire sa place dans le monde de l’élevage et de l’agriculture. 3 générations de caractères bien trempés vont faire face à la pauvreté, la rudesse du travail à la ferme, le progrès, la maladie, les changements sociétaux, les conflits de génération. Hervé Jaouen nous peint cette fresque sous un fond d’une grande sensibilité. Un roman que j’ai trouvé à la fois très dur, mais surtout très doux. L’amour étant toujours présent, même lorsqu’il est bien caché, tout au fond des cœurs et des âmes, pour éviter la souffrance. J’ai passé un excellement moment. J’ai hâte de savoir ce qu’il est advenu de la petite sœur présente au début !

Soizig, l'aînée de cette fratrie, a réussi aux PTT. Nicole, la 2e, s'est mariée et est une femme au foyer épanouie. Gwénaëlle, la plus jeune, est une étudiante brillante mais une mauvaise expérience de professeur dans un collège de banlieue la rendra dépressive et elle se tournera ensuite vers le métier de bibliothécaire. Soizig, qui en a toujours voulu à son père pour avoir négligé et laissé mourir sa mère, sera encore plus dure en apprenant son infidélité et la naissance d'un fils, Veg. Elle n'ira pas à l'enterrement de son père, mais plus tard, Veg sera totalement accepté par ses demi-soeurs. La fin de ce volume annonce le suivant, où on suit l'histoire de Maï-Yann, séparée de sa soeur Jabel à l'âge de 6 ans pour être confiée aux religieuses. Le ton est extrêmement juste , et cela évoque beaucoup de souvenirs pour qui a grandi en Finistère, souvenirs de personnes, de repas de famille, d'expressions, de nourriture, d'attitudes, de relations familiales.

J'ai beaucoup aimé le portrait d'une campagne en pleine mutation et d'un homme qui peine à faire face aux changements. L'écriture âpre et juste d'un auteur qui connaît bien son sujet, émaillée d'expressions "du pays" en breton rajoute une touche d'authenticité.

Pauvre Fanch, il vit cerné par les femmes : sa mère d’abord, Jabel Gosh veuve, sa femme Adelice avec laquelle il n’aura que des filles, Soizig qui lui tiendra toujours tête, Nicole et Gwenaëlle et comme si cela ne suffisait pas, près de chez lui vit Jeannette sa sœur ! C’est dur de son point de vue, alors ”il a envie de se tailler d’ici”. Hervé Jaouen nous fait parcourir le vingtième siècle avec le prisme des regards des terriens ancrés dans leur Bretagne. Le progrès est en marche : le téléphone, la télévision, la machine à laver mais les mentalités n’évoluent pas au même rythme. Le tout est narré avec la sensibilité d'un auteur qui ne juge pas et met en scène des caractères “bruts de décoffrage”. C’est l’histoire d’une famille comme il y en eut beaucoup mais racontée avec le charme d’un style agréable et avec le rendu sensible des liens familiaux faits de silence, de rancœur et d’amour non exprimés.