Métaphysique de l'amour, métaphysique de la mort : Le livre de Arthur Schopenhauer

À contre-courant d’une pensée hégélienne d’une libération progressive de l’humanité, Schopenhauer refuse cette destinée historique heureuse en lui substituant un pessimisme radical. Dans ces deux courts essais – compléments annexes à son œuvre majeure : Le monde comme volonté et comme représentation –, le philosophe allemand approfondit sa pensée et y analyse l’amour et la mort comme les manifestations de ce qu’il nomme le vouloir-vivre. À savoir une force métaphysique et irrationnelle qui anime toute chose. Une volonté inconsciente qui pousse les êtres à persévérer dans l’existence malgré eux. Vu sous ce prisme, l’amour n’est selon lui qu’une pulsion inconsciente qui pousse les êtres vers la reproduction. La passion, l’attirance physique ne seraient qu’un voile qui crée l’illusion du choix alors qu’en réalité c’est l’espèce qui choisit à travers l’individu. Aussi originale que puisse être cette théorie, elle repose sur des fondements biologiques fragiles. En plus de s’accompagner d’une misogynie virulente, difficilement acceptable aujourd’hui (la femme responsable en cas d’adultère car la biologie la condamnerait à la fidélité par instinct). Une vision de l’amour qui se veut probablement trop rationnelle et désenchantée pour remporter l’adhésion. Les réflexions qu’il développe dans Métaphysique de la mort me semblent plus intéressantes. Selon Schopenhauer, le devenir de l’humanité n’est qu’une répétition vaine des mêmes illusions et souffrances. Il perçoit alors la mort comme une délivrance, un retour au silence originel. Loin d’inciter les êtres à s’ôter la vie, il voit d’ailleurs dans cet acte l’ultime manifestation du vouloir-vivre : celui qui y succombe ne l’emporte pas sur la vie, mais tente vainement de vaincre sa souffrance. L’unique solution pour supporter ce cycle sans fin de souffrances est de s’abandonner dans la contemplation esthétique, dans l’ascèse et dans la compassion. Une négation des désirs que le philosophe emprunte volontiers au bouddhisme et à l'hindouisme. Il est l’un des premiers penseurs occidentaux à avoir intégré les sagesses d’extrême-orient dans sa pensée. Aussi limité que puissent être certains aspects de sa philosophie, sa misogynie et les fondations biologiques fragiles de sa doctrine, Schopenhauer, dans son désespoir lucide, offre malgré tout des clés pour affronter la vie. S’il ne promet pas le bonheur à l’espèce humaine, il soulage sa conscience en n’en faisant pas une finalité.