Un tueur si proche : Le livre de Ann Rule

La couverture annonce un thriller, mais la préface remet les choses en place sur ce livre spécial, “et pour cause : l’individu que traquaient toutes les forces de police n’était pas pour moi un inconnu. Nous étions amis.” Ils avaient travaillé ensemble dans un service d’assistance téléphonique aux personnes en détresse et Ann Rule ne fait que des éloges sur le professionnalisme de Ted en la matière. “Le Ted que tout le monde connaissait était beau et cultivait son corps ; c’était un étudiant brillant, intelligent, beau parleur et persuasif ; il était sportif, avait des goûts raffinés, aimait la cuisine française, Mozart et les films étrangers : il savait montrer de la tendresse et faire preuve de romantisme.” Ann parlera, à propos de Ted Bundy, d’un psychopathe ; aujourd’hui, elle évoquerait aussi la personnalité d’un pervers narcissique. Ne vous fiez pas à l’édition française de 2020, la première publication aux Etats-Unis date de 1980 ! A l’époque, pas d’analyse ADN, pas de localisation téléphonique et les deux cheveux d’une femme assassinée, trouvés dans ses affaires, n’étaient qu’un indice non probant. Le style n’est pas ce qui me restera de ce livre traduit ! Disposant d’informations en qualité de journaliste d’investigation, la romancière présente l’incroyable périple d’un homme. Proche de la police par son métier d’ex-policière, elle expose les circonstances de nombreux faits et c’est un peu fastidieux tant le nombre de crimes est important. Elle présente aussi les procès de Ted dont elle nous dit : “(ils) relevèrent de la représentation théâtrale sur Broadway.” Plusieurs choses m’ont surpris : - Aux U.S.A., les présomptions fortes ne sont pourtant pas suffisantes pour aboutir à un procès, quand bien même, elles ne laisseraient aucun doute sur la culpabilité. - La part active que Ted peut prendre à sa défense ; refusant les avocats, assurant sa défense, interrogeant les policiers, les experts, les témoins, devenant avocat, juge et jury ! Il passera son temps et jusqu'à quelques minutes de sa mort à clamer son innocence. La force de ce roman n’est pas dans le suspens, il n’est pas construit sur ce ressort. Il se présente plutôt comme une biographie, la plus célèbre biographie du plus célèbre tueur en série. Après l’arrestation de Ted, ils continueront à s’écrire durant 10 ans. Même emprisonné pour meurtres, il lui demandera si elle le croyait innocent : “Je lui avais alors déclaré que je ne pouvais être totalement convaincue de son innocence.” Cette incertitude due à leur proximité parcourt ce livre.

Ann Rule, « Un tueur si proche » 640 pages Michel Lafon poche Je devais lire pour mon défi lecture un « true crime » : genre qui raconte des crimes réels, basés sur des enquêtes et des faits vérifiables. Il explore les événements criminels et leurs conséquences. Voilà qui ne m’intéressait pas trop. Si j’adore les thrillers, c’est parce qu’ils ne sont que fictions. Là, on touche à de vrais criminels et surtout à de vraies victimes. Or, je trouve que dans ce type d’œuvres, on met souvent en valeur l’assassin, surtout quand il a été médiatisé, et que l’identité des victimes disparait. Tant qu’à devoir en lire un, j’ai choisi celui-ci, car l’autrice – ancienne policière et journaliste travaillant aux côtés de la police dans les affaires de crimes en série – a été l’amie du serial killer le plus célèbre des Etats-Unis ! Je trouvais intéressant de lire son évolution au fur et à mesure qu’elle apprenait ce qu’il avait fait. On imagine toujours ces meurtriers comme des monstres faciles à identifier et on est toujours étonné des témoignages des voisins dans ce type d’affaires : « Oh mais il était si gentil ! Si serviable ! ». On se dit que ces gens sont des naïfs ! Et pourtant, cette femme, experte en crimes, nous décrit d’abord Ted Bundy comme cet étudiant affable, patient et empathique avec les correspondants du centre de prévention du suicide. A l’écoute et de bon conseil pour ses soucis de mère divorcée. La raccompagnant au petit matin jusqu’à sa voiture pour éviter qu’elle ne se fasse agresser ! « Quand une vague de meurtres de jeunes filles ensanglanta le pays, j'eus accès, en tant qu'ancien membre de la police, à la primeur des informations. Le jour où l'on m'annonça que les soupçons se portaient sur mon ami, j'eus le plus grand mal à accepter l'idée que cet homme était le plus épouvantable tueur en série qu'aient connu les États-Unis... » écrit-elle. Son récit défile donc de sa rencontre en 1970 jusqu’en 1989 lors de son exécution sur la chaise électrique. Elle fait la description des crimes avec précision et pudeur. J’ai apprécié qu’elle décrive chaque jeune fille : celles qui ont été assassinées et celles qui ont pu échapper à sa folie. Il a sévi dans plusieurs états et il a officiellement fait 36 victimes, mais sans doute beaucoup plus. Peut-être même plus d’une centaine. Ce qui m’a dérangée dans ce livre, c’est que, même en connaissant la teneur de ses crimes particulièrement violents et dégradant, elle lui ait conservé son amitié. Lui envoyant de l’argent, des lettres, des timbres… J’ai trouvé assez incroyable qu’elle s’attriste autant de son exécution ! Ce qu’il a fait subir à une petite fille de 12 ans est tellement épouvantable que ce crime seul n’aurait-il pas dû suffire à lui ôter toute amitié pour lui ? Quand on lit les échanges de lettres, j’ai eu l’impression qu’elle aussi était tombée sous son emprise et qu’elle état aussi manipulée que ces femmes qui assistaient, énamourées, à son procès. Un livre intéressant à lire que je recommande ! Comme elle a écrit plusieurs thrillers, j’en lirai avec plaisir !