Une trop bruyante solitude : Le livre de Bohumil Hrabal

Poche

Robert Laffont

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" Si je suis venu pour quelque chose au monde, c'est pour écrire Une trop bruyante solitude. " Bohumil Hrabal.

Hanta, ouvrier depuis trente-cinq ans dans une usine de papiers destinés au recyclage, boit de la bière, déambule dans les rues de Prague, lit et ressasse la mission dont il s'est lui-même investi : sauver la culture en arrachant à la mort des trésors injustement condamnés. Instruit presque malgré lui par la lecture des ouvrages interdits destinés au pilon, il va faire renaître ces chefs-d'oeuvre sous la forme d'une autre oeuvre : les pages broyées sont transformées en balles de papier décoratives et décorées. Bientôt, il se retrouve seul, entouré de ses créations.
Divers incidents et personnages tragi-comiques viennent émailler cette fable sensible et émouvante qui est aussi un cri de révolte lancé à l'assaut des sociétés totalitaires.
Publié en 1976 à Prague, Une trop bruyante solitude est le chef-d'oeuvre d'un des plus grands écrivains tchèques. Il a été adapté au cinéma par Vera Caïs en 2011 avec Philippe Noiret dans le rôle principal.

De (auteur) : Bohumil Hrabal
Traduit par : Anne-Marie Ducreux-Palenicek

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Expérience de lecture

Avis Babelio

Laveze

5.00 sur 5 étoiles

• Il y a 3 mois

Une trop bruyante solitude de Bohumil Hrabal Cela fait 35 ans qu’Hanta compresse des papiers, des livres, des affiches avec sa presse mécanique, il y glisse discrètement l’œuvre d’un philosophe ou habille le paquet d’une reproduction de Rembrandt ou Cézanne. Il »s’encrasse de lettres », il n’a qu’à « se baisser un peu pour qu’un flot de belles pensées se mette à couler en lui ». Car comme il dit, «lorsque je lis, je ne lis pas vraiment, je ramasse du bec une belle phrase et je la suce comme un bonbon, je la sirote comme un verre de liqueur jusqu’à ce que l’idée se dissolve en moi comme l’alcool ». Dans cinq ans il sera à la retraite, achètera sa machine, l’installera dans le jardin de son oncle et ne fera plus qu’un paquet par jour pour y « enfermer toutes les illusions de la jeunesse », « un paquet longuement médité à l’avance ». Il est le Don Quichotte « de l’infini et de l’éternité ». Il récupère des livres, son appartement en est plein, l’entourage de son lit ce sont des livres, le chambranle de la porte d’entrée également. Dans la cave où il travaille, les souris et les rats sont à l’œuvre, Hanta rend aussi visite aux égoutiers ses voisins, il y apprend beaucoup sur Prague et les excréments qui circulent, ça met son chef en furie car il est payé pour détruire, après la deuxième guerre mondiale il a vu passer la bibliothèque royale de Prusse au pilon avec tant de livres arrachés aux maisons bourgeoises. C’est un hymne à la lecture, aux livres, empreint d’amour, de philosophie et d’humour comme lorsqu’il descend sa quatrième cruche de bière pour combattre l’odeur du papier d’emballage couvert de sang arrivé des abattoirs et qu’il entrevoit autour de sa presse, Jesus d’un côté et Lao Tseu de l’autre »méditant sur l’insolubilité du problème moral des contraires »quand ce ne sont des Tziganes qui viennent fumer et danser «avec leurs ventres nus ». Lecture impressionnante, très sombre physiquement, puisque l’action se passe dans des caves, mais également psychologiquement, la destruction de masse des livres »même des pages blanches de livres non encore écrits ». Une très belle découverte que cet auteur tchèque né en 1914 et mort en 1997.

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HordeDuContrevent

5.00 sur 5 étoiles

• Il y a 4 mois

« Ce n’est qu’une fois broyés que nous tirons le meilleur de nous-mêmes ». Dans « Une trop bruyante solitude », l’auteur tchèque Bohumil Hrabal façonne son héros en figure de la résistance silencieuse face à la censure et à l’absurdité bureaucratique du régime communiste. Ce livre, empreint de mélancolie et de noirceur, navigue sans cesse entre le sublime et le trivial, opposant la violence d’un monde de plus en plus industrialisé à la beauté fragile de la pensée humaine, le burlesque au trivial. Etonnant et bouleversant, il rend hommage à l’amour de la littérature, aux livres et à l’art en général, en réponse salvatrice face à un monde de plus en plus déshumanisé. « Moi, lorsque je lis, je ne lis pas vraiment, je ramasse du bec une belle phrase et je la suce comme un bonbon, je la sirote comme un petit verre de liqueur jusqu’ ce que l’idée se dissolve en moi comme l’alcool ; elle s’infiltre si lentement qu’elle n’imbibe pas seulement mon cerveau et mon cœur, elle pulse cahin-caha jusqu’aux racines de mes veines, jusqu’aux radicelles des capillaires ». Bohumil Hrabal raconte l’histoire de Hanta, un ouvrier solitaire qui, depuis trente-cinq ans, travaille dans une cave de Prague, où il presse des vieux papiers et des livres destinés à la destruction. Ces livres, considérés comme un danger par le régime totalitaire communiste, sont interdits. Bien que cela ne soit jamais explicitement précisé, l’atmosphère du roman nous fait deviner que l’action se déroule dans un univers marqué par la censure et l’omniprésence du contrôle idéologique. Hanta est un homme simple, mais cultivé à sa manière. Au fil des années, il a pris l’habitude de sauver en secret ces livres condamnés, les lisant dans l’intimité de sa chambre, un espace saturé de volumes empilés, menaçant de s’effondrer à chaque instant sur lui pendant son sommeil. Il est profondément marqué par ce qu’il découvre dans ses lectures, citant régulièrement Lao Tseu, Kant ou Schopenhauer. Chaque bloc de papier qu’il presse devient pour lui une œuvre d’art : il y cache des livres précieux pour leur permettre d’échapper à l’oubli ou les enveloppe consciencieusement de reproductions de peintures célèbres, esthétisant ainsi ces vulgaires balles de papier. Au fil du récit, Hanta sent que le monde change autour de lui. Son travail, qu’il accomplit dans une cave sale et sombre, envahie par les rats et les souris, visitée parfois par des Tsiganes interlopes, est menacé par l’arrivée de machines modernes aseptisés et de jeunes travailleurs disciplinés et productifs qui n’éprouvent aucun respect pour les livres. Il se sent dépassé et inutile, d’autant plus qu’il vit dans une ivresse permanente, buvant sans cesse pour supporter son quotidien. La fin de ce court roman est d’une beauté tragique et poétique… Le récit se déploie à travers un monologue intérieur envoûtant, qui confère au texte un rythme unique, rythmé par de longues phrases presque sans ponctuation, créant ainsi une musicalité particulière. Cette fluidité hypnotique est intensifiée par une répétition incessante, où Hanta se livre à des répétitions de certaines phrases, comme celle qui ouvre le roman dès l’incipit : « Depuis trente-cinq ans, je presse du vieux papier et c’est toute ma vie ». Ces répétitions, comme une litanie qui ponctue son existence, soulignent la monotonie d’un travail qu’il accomplit sans relâche, sans jamais s’arrêter ni prendre de vacances, sa cave constamment envahie par les nouvelles piles de papier. Un véritable travail de Sisyphe, où le sens de la productivité se dissout dans un amour pour la beauté et la quête de livres rares, qui, pour Hanta, comptent plus que la quantité de papier produit, au grand désespoir de son patron, exaspéré par cet ouvrier perché et lunaire. Les images poétiques surgissent, parfois avec une imprévisibilité qui nous surprend, nous frappant comme une vision fulgurante. Les balles de papier deviennent alors des sarcophages pour les auteurs dont il a pris soin de préserver les livres, et les volumes précieux se métamorphosent en trésors engloutis, au fond d’un océan de papier déchiqueté. Mais ces images empreintes de beauté se frottent constamment à une réalité triviale et brute : celle des rats, de la puanteur de la cave, de la saleté omniprésente, ou encore de ces anecdotes scatologiques qui surgissent sans crier gare. Ce contraste entre les images poétiques et les images triviales ne fait qu’accentuer l’étrangeté du récit, mais aussi sa singularité magnifique, comme un écart saisissant qui nous oblige à repenser la beauté, l’art et la vie quotidienne dans sa crudité la plus absolue. « Un après-midi, on m’apporta des abattoirs un plein camion de papiers et de cartons sanguinolents, des caisses bondées de ce papier que je ne pouvais pas souffrir à cause de son odeur douceâtre et puis je détestais être couvert de sang comme un tablier de boucher. Pour me venger, je glissai dans le premier paquet Eloge de la folie d’Erasme de Rotterdam, dans le second je déposai pieusement le Don Carlos de Schiller et, pour que le verbe aussi se fasse chair sanglante, je plaçai grand ouvert dans le troisième paquet l’Ecce Homo de Friedrich Nietsche. Un essaim, une nuée de mouches à vers m’entourait sans relâche et ces atroces bêtes, cadeau des bouchers, tourbillonnaient sans cesse avec un vrombissement furieux en me frappant le visage comme des grêlons ». Hanta est un personnage à la fois profondément touchant et dérangeant. Il est touchant par sa volonté de sauver les livres, par sa foi inébranlable en la pensée humaine, sa soif insatiable de connaissances et sa marginalité vis-à-vis d’un monde qu’il peine à comprendre. Mais il est également rebutant par son mode de vie, son manque d’hygiène, et les anecdotes parfois crues qu’il partage sans retenue. Ce mélange de qualités contradictoires m’a rappelé Gregor Samsa dans La Métamorphose de Kafka. En effet, sa cave abjecte, obscure et insalubre, où il passe ses journées à travailler, semble tout droit sortie de l’univers kafkaïen. Hanta lui-même paraît se transformer en rat, comme une métaphore de sa propre déshumanisation. À l’instar de Gregor Samsa, transformé en insecte et rejeté par sa famille, Hanta incarne l’être marginalisé, inadapté, prisonnier d’une existence absurde. Il y a en lui un sentiment d’écrasement et une fatalité qui résonnent profondément avec l’absurdité tragique chère à Kafka. « …mon cavement se semblait repoussant comme l’enfer, la montagne qui bouchait complètement la cour, avec son papier humide et moisi, se mettait si bien à fermenter que l’odeur du fumier était suave à côté, dans les profondeurs de mon souterrain un marécage se putréfiait, de petits bulles remontaient à la surface comme des feux follets au-dessus d’une souche pourrissant dans la vase d’une fosse infecte. Il me fallait alors sortir, échapper à ma presse mécanique… » Le livre est troublant d’actualité. Alors qu’il dénonce la suppression de la culture et la déshumanisation sous les régimes autoritaires, on ne peut s’empêcher à la suppression d’une certaine culture en ce moment aux Etats-Unis sous le régime empreint d’absurdité de Donald Trump au moyen de méthodes violentes et déshumanisantes. Nous assistons en effet à une montée de la censure, notamment avec l’interdiction de certains livres dans les écoles et bibliothèques, en particulier ceux traitant de l’histoire des minorités, du racisme ou des questions LGBTQ+. C’est le retour à une idéologie où certains récits sont effacés, où la culture est perçue comme une menace au lieu d’être un vecteur d’émancipation, ce qui est très inquiétant. Alors que ce livre dénonce également un monde industriel où seule compte la productivité au détriment de la culture, de l’humanité et de la pensée, la montée de l’intelligence artificielle pose aujourd’hui, en des termes proches, les mêmes interrogations et les mêmes angoisses et, parallèlement, la génération la plus jeune revendique le droit à un travail ayant davantage de sens et plus de temps pour soi. Dans le roman, Hanta est un homme du passé, écrasé par un monde qui ne lui ressemble plus. Mais aujourd’hui, ce sont les plus jeunes qui rejettent l’hyperproductivité et réclament une autre approche du travail. Voilà un auteur tchèque que j’ai eu le plaisir de découvrir. Ce livre a été publié en 1976 et a été censuré sous le régime communiste, il a été publié officiellement en 1989 après la chute du régime. En effet, ce livre a été interdit car, à travers la figure tragique de Hanta, l’auteur offre une critique intemporelle de la censure, de l’absurdité du régime communiste, de l’obsession productiviste, de la déshumanisation à laquelle elle conduit, faisant de ce roman une ode à la résistance par la culture. Un livre à lire en ces temps troubles !

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momotombo

4.00 sur 5 étoiles

• Il y a 6 mois

C'est Fahrenheit 451 chez les soviets ! Un récit inspiré du vécu de l'auteur tchécoslovaque, façon dystopie dans les régimes des autocraties administrées communistes. La satyre est d'abord déroutante, par l'excès d'ironie burlesque et sardonique, mais très vite on rentre littéralement dans le livre, comme Hanta depuis 35 ans, au propre et au figuré (livres qu'il pilonne en parvenant à en sauver de la destruction pour les cacher dans son antre). Les répétitions, les récurrences dans la narration, c'est la constance de la presse et de la répression. Difficile de sortir du livre, tant la presse oppresse et Hanta lui, fait le choix de l'impression face à l'oppression... J'entends encore ce pilon sanguinaire ouvrir les veines des livres et en purger les idées. A la fois farce et parabole, ce bouquin est un ovni indispensable a l'heure de la dictature de l'information désinformationelle.

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5.00 sur 5 étoiles

• Il y a 7 mois

Une réelle découverte que cet auteur et ce livre. Une écriture pleine de vie, truculente, maniant avec brio ironie, mélancolie, détachement et réalisme, sans jamais tomber dans le pathos. A consommer sans modération , une pinte de bière à proximité, comme le personnage principal du livre :)

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Fiche technique du livre

  • Genres
    Romans , Roman Étranger
  • EAN
    9782221188743
  • Collection ou Série
    Pavillons Poche
  • Format
    Poche
  • Nombre de pages
    128
  • Dimensions
    184 x 125 mm

L'auteur

Bohumil Hrabal

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7,00 € Poche 128 pages