News
René Barjavel : retour sur « La nuit des temps »
Publié le 28/08/2025 , par Julia Baumann

Romancier, journaliste et scénariste, René Barjavel (1911-1985) est l’un des premiers à inventer une science-fiction à la française, accessible, sensible et tournée vers l’humain. Précurseur d’un genre nouveau, conteur visionnaire, il continue à marquer les esprits par la justesse de ses intuitions et la puissance de son imaginaire.
Publié en 1968 aux Presses de la cité, La nuit des temps reste le livre le plus emblématique de René Barjavel. En 2025, ce classique de la science-fiction est remis à l’honneur avec une nouvelle couverture. Une invitation naturelle à redécouvrir un chef-d’œuvre qui n’a rien perdu de sa force ni de sa résonance.
Pourquoi lire La nuit des temps de René Barjavel ?
Ce que raconte La nuit des temps
L’intrigue de ce roman inoubliable commence par un signal énigmatique, capté par une équipe de chercheurs au cœur des glaces éternelles de l’Antarctique. Sous mille mètres de banquise, une découverte sidérante attend l’humanité : les vestiges d’une civilisation disparue depuis 900 000 ans. Un monde bien plus évolué que le nôtre, surgi de la nuit des temps…
Ce qui est exhumé des profondeurs dépasse l’imaginable : une capsule de glace renfermant les corps congelés d’un homme et d’une femme d’une beauté irréelle. À la faveur d’une coopération internationale, la science s’emploie alors à réveiller ces êtres venus d’un autre âge.
À mesure que leur mémoire se recompose, les fragments d’une civilisation raffinée et tragique ressurgissent, porteurs d’une vision du monde aussi fascinante qu’inquiétante. Et au cœur de ces souvenirs, une histoire d’amour hors du commun.
Paru en 1968, La nuit des temps est un roman d’anticipation profond et saisissant, qui mêle avec finesse les ressorts du mythe, de la science et de l’amour. Derrière le souffle romanesque, René Barjavel esquisse une humanité fragile, tiraillée entre progrès et préservation, lucidité et vertige. Ce pouvoir d’anticipation confère au récit une portée prophétique, qui résonne avec une étrange acuité aujourd’hui.
Un roman visionnaire et prophétique
À la lecture de La nuit des temps, on est frappé par la modernité troublante de l’imaginaire de René Barjavel.
Dès 1968, l’auteur anticipe des innovations qui, des décennies plus tard, deviendront réalité : un système de paiement dématérialisé, un traducteur instantané et nombre de technologies miniaturisées autonomes...
Mais la véritable portée prophétique du roman ne réside pas seulement dans sa vision technologique. À travers la mémoire d’une civilisation disparue, René Barjavel met en scène une société en apparence parfaite : prospère, pacifiée, comblée par une technologie qui satisfait tous les besoins.
Un tel équilibre masque pourtant un aveuglement collectif profond. Convaincue d’avoir atteint l’harmonie ultime, cette humanité cesse d’interroger ce progrès qu’elle croit infini. Elle rejette et invisibilise ceux qui ne correspondent pas au modèle dominant, au nom d’un idéal devenu rigide. Surtout, elle dissimule un désir inavoué : celui d’une guerre totale.
Sous ses allures de fable d’anticipation, La nuit des temps questionne le sens même du progrès. En cela, René Barjavel ne se contente pas d’imaginer l’avenir : il nous tend un miroir pour mieux interroger les certitudes de notre époque.
À quel âge lire La nuit des temps ?
Accessible dès 15 ans, La nuit des temps est souvent étudié au lycée. Son écriture limpide, son intrigue captivante et ses personnages attachants en font une excellente porte d’entrée dans la science-fiction.
On ne lit pas ce livre de la même façon à 15 ou à 40 ans, tant ses grilles d’interprétation sont nombreuses : roman d’aventure, histoire d’amour, fable morale, critique du progrès, méditation philosophique... Autant de visages pour un livre dense qui gagne en profondeur à chaque lecture.
Les thèmes clés dans l’œuvre de René Barjavel
L’homme face à la science : une critique du progrès ?
Chez René Barjavel, l’homme est toujours au centre. Quelle que soit l’époque ou le degré d’avancement technologique, c’est l’humain, avec ses failles, ses élans et ses limites, qui constitue la véritable matière du récit.
Mais cette place centrale n’est pas synonyme de toute-puissance. Dans La nuit des temps, l’auteur rappelle avec ironie combien le savoir humain demeure infime à l’échelle de l’univers.
« Ce que nous savons de l’histoire des hommes et de l’évolution de la vie sur la terre n’est pas plus gros qu’une crotte de puce sur la place de la Concorde… »La nuit des temps, René Barjavel
Cette humilité fondamentale nourrit une critique réfléchie du progrès : que devient l’homme lorsqu’il laisse la machine penser et agir à sa place ? René Barjavel dépeint des mondes où l’innovation, privée de conscience humaine, finit par broyer l’individu, industrialiser le vivant et rompre le lien avec la nature.
Pour autant, l’auteur ne rejette pas la technologie en soi : c’est une force ambivalente, capable du pire comme du meilleur. Il valorise les inventions qui protègent, réparent et prolongent la vie. Sa vision du progrès ne se mesure pas à la vitesse ni à la performance, mais à ce qu’il préserve de l’humain et du vivant.
La technologie, gardienne du vivant
Et si la technologie pouvait servir non à dominer la nature, mais à la préserver ? René Barjavel explore cette idée dans plusieurs de ses romans, en imaginant des écosystèmes clos, technologiquement autonomes, conçus pour abriter le vivant dans un monde devenu hostile.
Dans La nuit des temps, ces environnements prennent une double forme. D’un côté, une ville souterraine autosuffisante, où la nature est recréée dans ses moindres détails. De l’autre, une chambre de survie, destinée à transmettre la mémoire d’une civilisation en danger d’extinction.
Ces refuges technologiques protègent autant qu’ils isolent. Ils incarnent une utopie paradoxale : pensés pour préserver la vie, ils menacent par l’enfermement qu’ils imposent.
L’amour, moteur romanesque et tragique
Chez René Barjavel, l’amour est le cœur battant du récit. Il surgit où on ne l’attend pas, dans des mondes futuristes ou postapocalyptiques. Tour à tour passion pure, tendresse charnelle, désir éperdu ou érotisme à peine voilé, il revêt des formes multiples, toujours traversées par une même quête de lien et d’absolu.
Dans La nuit des temps, l’amour est tragique. Il unit deux êtres au-delà des millénaires, des civilisations et des guerres. Venue des âges anciens, leur histoire bouleverse ceux qui la découvre. Mais cet amour, aussi pur soit-il, ne suffit pas à conjurer la peur ni à triompher de la violence : il résiste à tout, sauf à la bêtise humaine.
Sans adopter les codes du roman sentimental, René Barjavel est un auteur profondément romantique. Il célèbre l’amour dans ce qu’il a de plus absolu : une lumière persistante où réside le cœur de l’humanité.
« Il y a deux choses qui subsisteront sur terre, tant qu’il y aura des humains : l’amour et la guerre. »
La nuit des temps, René Barjavel
Quel est le style littéraire de René Barjavel ?
Journaliste, scénariste, critique de cinéma, René Barjavel a exercé tous les métiers de l’écrivain. Cette diversité se reflète dans son style : une écriture claire, rapide, structurée, qui va droit au fait sans sacrifier la nuance. Chaque mot semble pesé, choisi pour sa justesse.
Pour écrire, René Barjavel lit, observe, se documente. Curieux de tout, il s’intéresse autant aux avancées scientifiques qu’aux évolutions de la société. Avant d’imaginer, il cherche à comprendre. Le réel nourrit toujours sa fiction.
René Barjavel, pionner de la science-fiction française
Quand René Barjavel publie son premier roman, Ravage, en 1943, la science-fiction n’a encore ni nom ni légitimité dans la littérature française. On parle alors de « merveilleux scientifique » ou de romans d’anticipation, destinés à un public d’initiés.
Dans Ravage, il imagine une France plongée dans le chaos après la disparition soudaine de l’électricité. Avec ce roman, il est l’un des premiers à imposer la science-fiction comme un véritable genre littéraire.
Les écrits de René Barjavel touchent un large public, bien au-delà des amateurs de science. Se définissant comme conteur ou fabuliste, l’auteur parle de ses livres comme de « romans extraordinaires ».
Sa science-fiction est philosophique, sociale, parfois prophétique. Elle prouve que l’imaginaire, nourri de savoir, peut émouvoir, éveiller les consciences et interroger l’avenir. Chez lui, la science-fiction n’est pas un décor : c’est un levier pour penser l’homme.
5 choses que vous ne savez (peut-être) pas sur René Barjavel
Il a écrit plus de scénarios que de romans.
On le connaît surtout comme romancier, mais René Barjavel a signé davantage de dialogues et de scénarios pour le cinéma que publié de livres.
La nuit des temps a d’abord été un scénario.
À l’origine, ce chef-d’œuvre avait été imaginé pour le grand écran. Faute de production, René Barjavel en a fait un roman, avec le succès qu’on lui connaît.
Il était profondément antimilitariste.
Marqué par la guerre, René Barjavel a toujours exprimé un refus de la violence collective, une conviction qui transparaît avec force dans La nuit des temps.
Il a couvert les missions spatiales Apollo à la radio.
Envoyé spécial, René Barjavel a assisté au départ d’Apollo 11 et au retour d’Apollo 13, les yeux rivés sur le ciel et l’esprit déjà tourné vers l’anticipation.
Son premier livre publié est un hommage à Colette.
Publié en 1934, Colette à la recherche de l’amour est un essai journalistique empreint d’admiration pour l’autrice. Son premier récit de fiction, Ravage, paraîtra près de dix ans plus tard.
En guise de conclusion…
Plus de cinquante ans après sa parution, La nuit des temps continue de bouleverser les lecteurs par sa justesse, son souffle et sa portée.
René Barjavel y interroge les promesses du progrès, l’équilibre fragile entre science et conscience, en plaçant l’amour au cœur de toutes les réflexions sur le devenir humain.
Lire René Barjavel aujourd’hui, c’est redécouvrir une voix lucide, émue, profondément ancrée dans son temps, et déjà dans le nôtre. Une œuvre à relire, à méditer et à transmettre, sans hésitation.