Caravansérail : Le livre de Francis Picabia

Je tiens Francis Picabia pour un habile touche-à-tout mais pas de génie. Sa peinture, le peu que j'en connais, ne m'a jamais vraiment impressionné. Et mon jugement ne sera pas vraiment modifié par ce « roman surréaliste » (brr-broummm, c’est le bruit que vient de faire André Breton en se retournant dans sa tombe) qui date de 1924. Il y a certes des aspects amusants. D'abord le personnage récurrent de l’écrivain casse-bonbons qui passe son temps à lire à ses connaissances des extraits de ses travaux en cours, pour se faire rassurer ou flatter. Surtout flatter. Et puis Picabia se paie quelques célébrités de l’époque, notamment Cocteau, sous pseudonymes plus ou moins transparents. Et fort heureusement, les quelques notes de cette édition Sillage viennent éclairer la lanterne du lecteur. Parce qu’on a un peu perdu de vue tous ces gens. Son narrateur, plus ou moins autobiographique, a des rapports pas toujours très classiques avec les femmes. Il nous en livre aussi quelques beaux portraits. Ou des vacheries bien phallocrates. Il y a parfois des envolées. Un peu de poésie arrive parfois à surnager. Et une condamnation impressionnante de la bêtise militaire (on sort de la boucherie de 14-18), placée dans la bouche d’un curé ! Ce qui en renforce la portée (on parle d’une époque ou le goupillon était très très proche du sabre). Et a dû déplaire à quelques amis surréalistes peu portés sur l’amour de la soutane. Mais son anticonformisme permanent est un peu forcé et pas toujours drôle. D’autant qu’il « l’agrémente » d’un esprit systématiquement blasé, qui fleure une autre sorte de conformisme. Bref, ça se lit sans être fou-fou. À réserver aux curieux de cette époque des avant-gardes à tout crin de l’entre-deux guerres.