Depuis quatre milliards d'années, la quantité d'eau à notre disposition sur la Terre n'a pas changé. L'adage de Lavoisier est bien connu: «Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.» Et le cycle de l'eau, substance dont le même Lavoisier découvrit la structure, l'illustre à merveille. La quantité d'eau est un invariant mais sa forme, la durée des circuits qu'elle est amenée à suivre comme sa qualité peuvent être affectées. La Terre a été richement dotée. Elle ne manque pas de cette eau sans qui la vie ne serait pas. Au point même que l'on a dit que, vue de l'espace, on serait tenté d'appeler notre planète Mer! Eluard disait plus joliment, et quelques années avant le premier vol dans l'espace: «La Terre est bleue comme une orange.» Soixante-dix pour cent de sa surface est couverte par les eaux. Les océans abritent près de 98% des ressources en eau de la Terre, soit 1350 milliards de km3 ou 1350 milliers de milliards de milliards de litres. Même pour plus de six milliards d'humains, le compte paraît bon! Ce serait trop simple pourtant. Cette eau, nous le savons tous, est salée et impropre en l'état à toute utilisation humaine, agricole, industrielle ou domestique. Heureusement le soleil est là qui réchauffe et évapore les eaux de la mer, les transforme en nuages puis en pluies et neiges. Les neiges s'accumulent dans les glaciers, en montagne et sur les calottes polaires. Les pluies forment les rivières et les eaux souterraines. Ce sont elles que l'homme peut utiliser, soit en prenant dans les réservoirs que forment les eaux souterraines, soit en attrapant l'eau des fleuves à leur passage devant sa porte. On estime que l'eau qui ruisselle de manière potentiellement utile chaque année sur notre planète représente 40000 km3. Ce chiffre est faible au regard des ressources totales. Mais si on le rapporte au nombre d'habitants, il apparaît tout à fait satisfaisant. Si nous avions chacun également accès à la grande citerne mondiale, nous pourrions tous prélever 15000 litres par jour. Pour mémoire, un Européen n'en utilise chaque jour que 300 à 400 litres. Et de fait nous ne consommons qu'une petite partie de ces 40000 km3. Guère plus de 5% en 1995. Beaucoup moins même dans les régions richement dotées. Beaucoup plus évidemment dans les régions arides.Comme l'or noir, l'or bleu est en effet très mal réparti. Si chacun d'entre nous avait accès aux 15000 litres quotidiens auxquels il a théoriquement droit, le problème de l'eau serait infiniment plus simple à résoudre. Mais ce n'est pas le cas et nous savons bien qu'il pleut beaucoup plus au Canada ou en Amazonie, territoires presque déserts, qu'au Moyen-Orient ou en Californie. Le Koweït reçoit ainsi 10 m3 par habitant et par an, soit un million de fois moins que le Groenland! La France, avec un peu plus de 7000 m3 par habitant et par an, n'est pas dans une situation problématique. Entre les régions désertiques les moins arrosées et les régions équatoriales, le rapport est de 1 à 1000. Pour 22% de la population mondiale, la Chine ne reçoit que 7% des précipitations. En Amazonie, la situation est évidemment inverse : moins de 1% de la population reçoit près de 15% des précipitations.Les régions les plus riches en eau sont l'Amérique du Nord, et notamment le Canada, l'Asie du Sud-Est et la partie orientale de l'Amérique du Sud, l'Amazonie en particulier. En clair, la plupart des régions très riches en eau sont très pauvres en hommes: déserts glacés au Nord de l'Amérique ou forêt équatoriale d'Amazonie. On se rappelle les projets de transport des icebergs du Groenland dans le golfe Persique: formidable troc d'or, du noir contre du bleu… mais on préféra à ce projet le dessalement de l'eau de mer.Ce sont ainsi vingt-six pays qui, dès aujourd'hui, sont en situation de pénurie et ne reçoivent que moins de 1000 m3 par habitant et par an. Près de 400 millions d'habitants connaîtraient une situation de «stress hydrique», avec des prélèvements supérieurs au renouvellement naturel. Pis encore: un rapport publié, début 2003, par l'UNESCO et l'ONU prévoit que d'ici 2050 le nombre de pays en situation de pénurie pourrait doubler. Les analyses les plus alarmistes vont jusqu'à annoncer que les trois quarts de la population mondiale pourraient d'ici un demi-siècle être confrontés au stress hydrique. Les régions qui souffrent déjà, ou vont souffrir le plus, sont l'Afrique saharienne, orientale et australe, le Proche et Moyen-Orient, le Sud-Ouest des États-Unis et le Mexique, la façade pacifique de l'Amérique latine, l'Asie centrale jusqu'à l'Iran et à l'Inde de l'Ouest. Autant de régions où les tensions sont déjà fortes, autant de situations de crise latente ou actuelle qui attisent les fantasmes sur la guerre de l'eau. Les Nations unies ont ainsi recensé plus de 300 situations de conflit potentiel, au Moyen Orient, le long du Nil, de l'Indus ou du Mékong, voire entre des États-Unis, grands consommateurs et assoiffés d'eau, et un Canada si gorgé en eau que celle-ci est le plus souvent fournie gratuitement dans les grandes villes comme Montréal.