Ceci n'est pas qu'un tableau - Essai sur l'art, la domination, la magie et le sacré : Le livre de Bernard Lahire

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La Découverte

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En 1657, Nicolas Poussin peint une Fuite en Égypte au voyageur couché. La toile disparaît ensuite pendant plusieurs siècles. Dans les années 1980, différentes versions du tableau réapparaissent, de grands experts s'opposent, des laboratoires d'analyse et des tribunaux s'en mêlent et nombreux sont ceux à vouloir authentifier et s'approprier le chef-d'œuvre.
De quoi nous parle cette histoire aux allures d'intrigue policière ? Qu'est-ce qui fait la valeur d'une œuvre d'art ? Et d'où vient cette aura attachée aux créateurs et aux œuvres ? Bernard Lahire montre que le sacré n'a jamais disparu de notre monde mais que nous ne savons pas le voir. La magie sociale est omniprésente dans l'économie, la politique, le droit, la science ou l'art autant que dans la mythologie ou la religion. C'est cet effet d'enchantement qui transforme une sculpture d'animal en totem, un morceau de métal en monnaie, une eau banale en eau bénite ; et qui fait passer un tableau du statut de simple copie à celui de chef-d'œuvre.
Puisant avec érudition dans l'anthropologie, l'histoire et la sociologie, ce livre interroge les socles de croyance sur lesquels nos institutions et nos perceptions reposent. Questionnant radicalement l'art et son ambition émancipatrice, il révèle les formes de domination qui se cachent derrière l'admiration des œuvres.

De (auteur) : Bernard Lahire

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5.00 sur 5 étoiles

• Il y a 1 an

Suite de ma découverte de l'oeuvre de Bernard Lahire . L'aventure a commencé en debut d'année avec la decouverte de son dernier bouquin "Les structures fondamentales des sociétés humaines" Elle s'est poursuivie avec "L'interprétation sociologique des rêves " et elle se continue avec "Ceci n'est pas qu'un tableau". Et ce n'est pas fini. Beaucoup de surprise à la lecture de ce bouquin. Le titre ne dit pas tout, le sous-titre "Essai sur l'art, la domination, la magie et le sacré" est plus juste.Il est très peu question du tableau "La fuite en Egypte" de Nicolas Poussin si ce n'est par son histoire depuis sa création qui révèle les mécanismes de pouvoir, de domination et de magie encore en cours de nos jours.C'est une étude de cas éclairante qui n'intervient qu'après un long détour théorique à la mode spinoziste (propositions et scolies). Ce développement est indispensable pour comprendre le poid de l'histoire inconsciente qui se joue entre les acteurs de la culture, les pouvoirs et les marchands. Et tout commence par la magie, la transsubstantiation d'un objet profane en sacré. Pour cela, Bernard Lahire nous transporte dans les sociétés sans état puis en Mésopotamie. Il élabore ainsi une théorie de la domination, de la sacralisation et du rôle des objets culturels quelqu'ils soient. Ça marche évidemment très bien avec la religion : l'eau bénite, l'hostie. Comme beaucoup sans-doute (je pense à Emmanuel Todd), je pensais que la fin des religions nous avait définitivement éloignés du sacré et de la magie. Erreur fondamentale. Après 400 pages de régression historique passionnante puisant dans tous les domaines de l'anthropologie, l'histoire de "La fuite en Egypte" peut enfin commencer avec une rapide biographie de Poussin qui nous permet de comprendre la place place qu'il a rapidement pris vis-à-vis des puissants même s'il a su s'en tenir à l'écart. La magie a opéré. Une controverse nait en 1986 sur l'authenticité du tableau. Experts, galeristes, conservateurs de musées, juristes s'affrontent comme des chiffonniers. On est dans un roman policier mais écrit par un sociologue qui nous a donné les outils pour comprendre les actes performatifs necessaires pour transformer une croûte en chef d'œuvre. La magie opère encore. Une œuvre non authentifiée achetée 240 000 euros en 1986 en vaut 17 millions en 2007. Magie. Si l'oeuvre est consacrée, certains acteurs, notamment ceux qui ont le plus contribués à cette consécration, sont massacrés.La magie opère dans les deux sens. En art comme ailleurs, on ne mélange pas les torchons avec les serviettes, le profane avec le sacré, les dominants avec les dominés. Bernard Lahire conclue magnifiquement son bouquin sur un thème qui lui est cher : la nécessaire interdisciplinarité qui permet d'accéder à un niveau de synthèse suffisant pour étudier les "invariants" et donc les fondements de la réalité sociale. L'hyper spécialisation actuelle en sciences sociales interdit cette démarche. Bernard Lahire n'est pas dupe de sa propre position et a su contourner ces interdictions tant avec sa propre institution qu'avec celles de ses interlocuteurs. Il évoque aussi les artistes qui ont tenté de désacraliser le monde de l'art : Duchamp bien-sûr mais aussi en citant "Asphyxiante culture" de Dubuffet qui etait parfaitement lucide sur la situation des artistes. A lire. Lahire revendique encore et toujours la scientificité des dites "Sciences Sociales" nécessitant une ambition totalisante et le franchissement des frontières pour donner à voir les mondes invisibles. Un post-scritum décrit les conditions de possibilités necessaires à la création scientifique. Il y évoque notamment les travaux de Jack Goody (La raison Graphique) qui l'ont convaincu d'entreprendre ce travail de titan Note personnelle : Je n'ai cessé de penser à Marie-Noëlle Pécarrère artiste peintre en lisant ce livre. Ses tableaux s'inspirent grandement de toute l'histoire de l'art qu'elle doit connaître aussi parfaitement qu'elle en maîtrise les techniques. Elle s'est faite une spécialité de profanation des œuvres sacrées et sacralisation des œuvres impies. Elle m'a fait toucher du doigt la complexité pour les artistes d'évoluer dans les espaces culturels (musées, galeries, écoles, ministères). Ce bouquin illustre cette difficulté sans trop évoquer la situation difficile des artistes. C'est le seul manque dans ce livre. Marie-Noëlle Pécarrère au Grand Palais!

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Dossier-de-l-Art

5.00 sur 5 étoiles

• Il y a 9 ans

Gloire française de la peinture du XVIIe siècle, Nicolas Poussin acquit en 2007 une notoriété publique nouvelle lors de l’achat pour 17 millions d’euros de sa Fuite en Égypte par le musée de Lyon. Les débats sur l’authenticité de la toile, qui durèrent près de 20 ans, le battage médiatique qui permit de réunir la somme, le procès qui précéda l’acquisition : tous les ingrédients étaient réunis pour écrire un livre à sensation, couronné par une happy end. C’est pourtant une tout autre histoire que propose Bernard Lahire en exposant ces péripéties parfois rocambolesques. Le sociologue analyse en effet les us et coutumes des historiens de l’art, des juristes, des marchands, des vendeurs, interrogeant à la fois la valeur accordée à l’art dans la société contemporaine et les rapports de domination exercés à travers lui. Il révèle de cette manière les jalons d’une « consécration » qui n’a souvent rien de désintéressée. Les rivalités professionnelles, les affrontements pour la possession physique des oeuvres ou pour leur possession intellectuelle par l’attribution, sont décryptés sans aucune complaisance. Mais de manière plus large, l’ouvrage souligne les paradoxes de l’histoire de l’art. La discipline ne peut en effet se nourrir seulement de théories, d’idées philosophiques et esthétiques ; elle ne peut travailler uniquement à partir de textes ou même de concepts. Car elle dépend étroitement d’objets matériels qu’elle doit identifier, dater, et parfois attribuer. Sans ce travail préliminaire, elle perd en quelque sorte son existence même : comment parler du peintre Poussin si le déroulement de sa carrière reste imprécis ? Lorsque les sources d’archives sont inexistantes ou lorsqu’une oeuvre disparue depuis des siècles, comme la Fuite en Égypte, réapparaît brutalement en trois, voire en quatre versions, en collection privée, en salle des ventes et dans les réserves ignorées d’un obscur musée, comment reconnaître l’exemplaire original ? B. Lahire met ainsi au jour toute une chaîne de rites et de cérémonials étranges, qui permettent la légitimation sociale d’un objet artistique. Le livre est décapant, car il dévoile au fil des pages le regard « magique » que nous portons sur les oeuvres en général, la manière dont une société les « fabrique » et établit des croyances proches de convictions religieuses. Le cas Poussin pourrait d’ailleurs être facilement transposé à la situation de l’art contemporain, dont la valeur pécuniaire peut sembler tout aussi irrationnelle, ou même à celle de la Joconde, traquée quotidiennement par des milliers d’objectifs photographiques et jamais vraiment regardée pour ce qu’elle est : un portrait de la Renaissance parmi d’autres. Mais il faut aussi souligner que ce sont là des cas extrêmes, qui ne préjugent pas du quotidien laborieux de l’histoire de l’art : sans se soucier des aléas capricieux du marché de l’art, inventorier, étudier, sauver même de pauvres objets, dont la société entière se désintéresse souvent avec une bonne conscience parfaite. Par Christine Gouzi, critique parue dans L'Objet d'Art 513, juin 2015

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L'auteur

Bernard Lahire

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