L'épopée des passeurs - L'âge d'or du trafic de migrants à Djibouti : Le livre de Alexandre Lauret

Aujourd’hui je vais évoquer L'épopée des passeurs essai passionnant d’Alexandre Lauret. Cette enquête sociologique et géographique est sous-titrée L’âge d’or du trafic des migrants à Djibouti. Alexandre Lauret a travaillé pour son enquête à Djibouti : « j’ai vécu à leur contact pendant plus de deux années, entre 2018 et 2021. » Son objet d’étude est l’histoire de la migration de centaines de milliers d’éthiopiens vers le Yémen et l’Arabie saoudite via l’incontournable Djibouti entre 2007 et 2020. Ce qui l’intéresse précisément est le point de vue des passeurs qui organisent les voies de migrations. Ce récit est épatant avec une perspective originale. Il est fréquent de recueillir des témoignages de migrants (pas nécessairement sur cette route), leur périple, leur souffrance ; ici il s’agit de se focaliser sur ceux qui les aident moyennant rétribution. L’auteur a mené plus de soixante-dix entretiens avec ceux qui étaient impliqués dans ce trafic du côté djiboutien. Car en réalité c’est toute une organisation transnationale qui est mobilisée. Il est tout d’abord notable qu’au cours de la quinzaine d’années où le trafic a prospéré il est possible de distinguer plusieurs périodes qui constituent autant de chapitres de l’essai. Force est de constater que : « faire passer des migrants clandestinement durant la seconde moitié du XXe siècle et dans les premières années du XXIe siècle nécessite un savoir géographique, un itinéraire sûr, des connexions et des contacts dans les différents territoires traversés dans un contexte politique particulier, celui des nouveaux États indépendants soucieux d’affirmer le contrôle de leurs frontières. » Selon le principe de l’offre et de la demande les routes se mettent en place progressivement et dès le départ un réseau unique s’instaure avec une centralisation des effectifs et des moyens. Cette stratégie, qui rapporte beaucoup d’argent largement redistribué, sera remise en cause notamment par celui appelé l’Affranchi qui veut monter son propre réseau et développer la concurrence vis-à-vis du Passeur initial. Ainsi : « la chute du réseau unique n’a pas seulement entraîné la diminution du prix de passage, mais bien le renversement du système, au sein duquel les Yéménites disposent désormais de tous les leviers pour dicter leurs conditions. » Chaque étape du dispositif est scrutée avec minutie et ce livre est aussi un regard ethnologique sur Djibouti. Ainsi le khat est largement présent dans ces pages parfois hallucinées. Alexandre Lauret laisse une large place aux verbatim issus des entretiens qui permettent au lecteur de bien appréhender les contraintes pesant sur les passeurs. Le travail de nuit, la multiplication des convois, la fatigue, les risques, la corruption, les ententes avec la police et la gendarmerie tout cela est disséqué. Migrer c’est remettre sa vie entre les mains des passeurs pour des trajets à pied, en minibus ou en bateau, ne plus rien maitriser soi-même. Celui qui fuit son pays en aspirant à une vie meilleure est tributaire de la réussite de chaque étape, il n’est pas totalement maitre de son destin. Il faut affronter les aléas climatiques, les attaques, les agressions, les pillages, les viols, les accidents et les naufrages. L'épopée des passeurs est un texte fort et très incarné. Ce récit empreint de géopolitique et de politique est palpitant et renverse le point de vue habituel. Certes les passeurs (certains) sont devenus très riches mais leur destin a souvent basculé, le bonheur n’est pas forcément là, devoir enterrer des cadavres conduit parfois à abandonner ses perspectives de richesse. Un récit qui contribue à décrire de l’intérieur la réalité et le coût de la migration. Voilà, je vous ai donc parlé de L'épopée des passeurs d’Alexandre Lauret paru aux éditions La Découverte.

J'ai été attirée par ce livre par son titre et ai souhaité "découvrir" ce qui était décrit dans cette épopée et sur cet âge d'or du trafic de migrants à Djibouti. Loin des voies empruntées pour atteindre l'Europe, dans la Corne de l'Afrique, des migrants éthiopiens privés de perspectives quittent en nombre leur pays déchiré par les conflits, parcourent la région aride du nord de Djibouti d'où ils embarquent pour franchir la mer Rouge, avant de traverser le Yémen en guerre afin de tenter leur chance en Arabie saoudite. Pour parvenir à destination, ils remettent leur vie entre les mains de passeurs. C'est à ces intermédiaires, figures honnies d'un trafic sur lequel les États se dédouanent de leurs responsabilités dans les traitements subis par les " clandestins ", qu'est consacré cet ouvrage. À Djibouti, Alexandre Lauret a vécu pendant plus de deux ans au contact de pêcheurs d'une région marginalisée du pays reconvertis dans l'organisation d'une filière migratoire transnationale savamment structurée. Il retrace ici leur histoire, sous la forme d'une véritable épopée. Celle-ci, aussi courte que violente, tient en treize années seulement. Entre 2007 et 2020, ces hommes ont fait transiter plus de 1,2 million d'Éthiopiens. Durant ce laps de temps, défiant les autorités, ils sont devenus plus riches et plus puissants que les ministres djiboutiens avant de tout perdre et de n'être plus rien. Parmi leurs hauts faits, ce ne sont peut-être pas tant les courses poursuites avec les " fédéraux ", les affrontements et les vols de convois entre réseaux ou les rivalités avec leurs homologues éthiopiens ou yéménites qui donnent leur tonalité épique à leurs récits, mais bien davantage le discours politique subalterne à travers lequel ils légitiment leur activité. Ce texte est impressionnant et une étude qui éclaire sur notre monde et sur les migrations et son économie. J'ai déjà lu et "apprécié" des textes (érudes, romans..) du point de vue de ses hommes et femmes qui décident de migrer ou ceux qui les aident, les soutiennent. Cette fois, nous avons le point de vue des "méchants", des "profiteurs". Cela m'a fait penser à la démarche qui a consisté à entendre, témoigner et recueillir le témoignages des bourreaux. Ce texte est est une "histoire qui est donc autant celle d'une activité illicite que celle d'un combat politique de la marge instrumentalisé par les passeurs pour légitimer leur activité." Y a t il vraiment une économie morale de ce trafic d'êtres humains, y a t il des "passeurs engagés"? Ce texte est historique sur la région de cette corne d'Afrique, sur son évolution politique, sociale. A travers des témoignages recueillis, il décrit ce monde des passeurs et son évolution. Mais il parle aussi d'humains traités comme de la marchandises, échanger contre des biens, des armes, torturer, enterrer sans réelle sépulture. Un texte impitoyable, difficile à appréhender mais il donne aussi une vision instructive de notre monde. Il m'a donné aussi "envie" de découvrir les textes plus anciens de Kessel, d'Albert Londres. Et je me pose la question s'il a encore des journalistes écrivains pour relater notre monde et ses côtés obscurs. #Lépopéedespasseurs #NetGalleyFrance