Un conte de deux villes : Le livre de Charles Dickens

Le livre débute par une accroche construite autour de contrastes très forts et autour d'une introduction d'un des thèmes dominants qui est celui de la force du mouvement de l'histoire face à laquelle les individus semblent dépourvus de pouvoir. Il débute aussi par un épisode inquiétant: des personnages cheminent sur une route embrumée, dans la boue, à côté d'une diligence (afin de soulager les chevaux). Dickens souligne l'insécurité à laquelle devaient se confronter les voyageurs de l'époque. L'équipage est suivi par un homme qui suscite la méfiance mais il est en réalité porteur d'un message adressé à Jarvis Lorry dont la réponse ("revenu à la vie") est énigmatique. Dickens installe ainsi d'emblée une atmosphère de mystère. Lorry est l'émissaire d'une banque et arrivé à Douvres, il guette l'arrivée d'une jeune femme très blonde, Lucie Manette, avec laquelle il se rend à Paris. Là bas, ils se rendent au coeur du faubourg Saint Antoine où Lucie retrouve son père tout juste sorti d'une longue détention à la Bastille et hébergé chez Defarge un ancien domestique. Lucie et Lorry ramènent avec eux ce dernier, le Docteur Alexandre Manette, à Londres et font en sorte qu'ils reprennent des forces et goût à la vie. A Londres, Le docteur et sa fille témoignent en faveur d'un jeune français Charles Darnay, accusé d'un complot (il s'agit en réalité d'une machination ourdie par son oncle, le marquis de Saint Evremont, pour le faire emprisonner). Par la suite, Charles Darnay épouse Lucie et fonde avec elle une famille. Mais Charles Darnay est en fait l'héritier de la lignée des Saint Evremont qu'il a reniée. Dickens décrit avec force la cruauté des aristocrates comme le marquis de Saint Evremont, à l'égard du peuple (les carosses qui filent à toute allure sans soucis des vies fauchées au passage). Il veut ainsi montrer comment toutes ces injustices ont alimenté la haine et la volonté de revanche du peuple. De la révolte du peuple, le couple Defarge sera un des animateurs et on devine qu'ils vont jouer un rôle de premier plan à partir de la prise de la Bastille. Charles Darnay et Lucie poursuivent une vie tranquille et heureuse avec le docteur Manette dont le traumatisme est pourtant toujours vif. Dickens décrit bien comme le docteur est parfois rattrapé par une sorte de PTSD qu'il tente de fuir en reprenant le banc à l'aide duquel il fabriquait des chaussures en prison. Charles Darnay soutient la révolution quand elle se déclenche mais est conscient des dangers qu'il y aurait à remettre les pieds en France. Ce qui le décide à s'y rendre tout de même, c'est la lettre de l'intendant de son patrimoine qui a besoin de son aide pour sortir de prison. Mais Darnay est vite repéré et emprisonné dès son arrivée en France. Il peut regagner Paris mais est fait prisonnier. Il doit survivre aux massacres des aristocrates en prison et affronter plusieurs procès. La fin du livre relate les efforts de Lucie et du docteur pour le faire libérer et les révélations qui s'ensuivent. On comprend à la fois ce qui est reproché aux Saint Evremont, la raison pour laquelle le docteur Manette a été embastillé, la raison pour laquelle Madame Defarge est si déterminée à faire exterminer les Saint Evremont. Et on s'attache aussi à un autre personnage, l'avocat Sydney Carton, brillant mais alcoolique et très amoureux de Lucie Manette (même s'il sait que cet amour n'est pas réciproque). Dans ce livre, la psychologie des personnages est creusée de façon inégale. Les personnages ont des traits relativement stéréotypés. De fait ce que Dickens semble vouloir nous faire ressaisir c'est le mouvement de l'histoire qui peut tout laminer sur son passage. Les personnages sont résumés par quelques traits stréréotypés. Certains d'entre eux (Darnay, Lucie) sont relativement fades et insignifiants. En ce qui concerne le docteur, j'ai trouvé intéressante la description fine de ses traumatismes. Les personnages qui marquent le plus in fine sont madame Defarge (la tricoteuse motivée par la vengeance) et Sydney Carton qui devient à la fin une figure quasi christique. Dickens dénonce à la fois la cruauté des aristocrates et la violence dont la foule peut être porteuse. Mais le livre n'est pas un livre à thèse. Pour moi, il s'agit d'un livre très romanesque, au rythme intense, qui montre bien comment l'histoire vient percuter des individus "ordinaires" mais qui exalte aussi la capacité de résistance de certains d'entre eux. J'ai beaucoup apprécié cette évocation puissante de la révolution française et la façon dont Dickens exploite les ressorts de secrets de famille que le procès de Darnay va permettre d'évoquer. S'il ne s'agit certes pas du plus dickensien des livres de Dickens, j'ai beaucoup apprécié la lecture de ce roman qui est l'un des meilleurs que j'ai lus sur la révolution.

Avec ce roman qui se déroule entre Londres et Paris, pendant la seconde moitié du 18ème siècle et notamment la période de la Révolution Française, Dickens offre à ses lecteurs un roman historique engagé et passionnant . Charles de St Evremond, un jeune aristocrate indigné par les exactions que sa famille fait subir à ses paysans, renonce à tous ses privilèges et à l'exploitation du domaine ancestral pour aller vivre à Londres où il enseigne le Français . Amoureux de la belle Lucie Manette, la fille d'un médecin qui a subi un long emprisonnement injustifié à la Bastille, il vit heureux en famille jusqu'à ce que le sort terrible de l'intendant français de son domaine le contraigne à revenir dans son pays où il est emprisonné en tant qu'aristocrate émigré. Echappera t'il à la mort qui lui est promise par les révolutionnaires sanguinaires qui tiennent en main la France entière ? Devra t'il payer pour les crimes de son père et de son oncle ? On entre dans le récit en appréciant comme toujours l'ironie pince sans rire de Dickens qui irrigue toute la première partie du texte, puis l'humour cède la place aux descriptions de la fureur révolutionnaire et on bascule franchement dans l'horreur . Le parallèle fait entre Londres la paisible, refuge bienveillant pour les émigrés, et Paris la ville de tous les dangers, montre clairement combien la société victorienne a été horrifiée par les troubles politiques et la Terreur. La prose de Dickens qui sait être poétique , devient lyrique dans l'indignation qui parcourt toute la seconde partie de ce récit épique. On retrouve avec plaisir les constantes du roman populaire du 19ème siècle, coïncidences improbables, coups de théâtre, sauvetages sur le fil du rasoir... Les personnages sont toujours aussi soignés, qu'il s'agisse de l'avocat prétentieux, du banquier compatissant, de la belle ingénue, de la gouvernante courageuse... et tant d'autres. Ce roman est passionnant et comme il est plus court que les autres livres de l'auteur, on a vraiment hâte de connaitre la fin, tremblant pour le malheureux Charles qui se trouve à deux pas de la guillotine... Vraiment j'adore Dickens qui sait procurer à ses lecteurs un plaisir incomparable dans chacun de ses romans.