Bruno Dellinger is 40 years old and lives in New York.
Bruno Dellinger is one of the survivors of the World Trade Center attack, the 11th September. Bruno is representative for the go getting part of New York society. In his late 30's, he establishes his own company, a communication and media agency and takes an...
Bruno Dellinger is one of the survivors of the World Trade Center attack, the 11th September. Bruno is representative for the go getting part of New York society. In his late 30's, he establishes his own company, a communication and media agency and takes an office on the 50th floor of the W.T.C.. The business is going well, he invests in young talented artists whom he exhibits in his office space. On the 11th September he is at his desk, like every day and all of his colleague, starting the day, checking e-mails. We all know what happened after that, but we have very few occasion to learn what went through people's minds as they are caught in the towers : it wasn't just the immediate panic, the rush down the stairs, no, as Bruno describes, they didn't take the first attack seriously, they ignored it. On the second, they even bothered to save data, to arrange and lock the office. Half down the fire escape, Bruno almost decides to go back up again, in order to help the fire men. All in all, a long period of split seconds confused decision making until he finally and safely reaches the ground. The aftermath is even worse: the shock, the depression, no business, no history and the long and slow way trying to find energy to rebuild one's life.A superbly sensitive and honest portrait, only words can describe.
Bruno Dellinger is 40 years old and lives in New York.
J'ai pourtant bien discerné qu'il s'agissait d'un avion… Au 47e étage du WTC, la magie, c'était avant tout le silence.Soudain, j'entends le vrombissement strident des moteurs de l'appareil qui s'approche à toute allure de nous. Je ne comprends pas immédiatement, je relève la tête de mon ordinateur et l'impact d'une violence inouïe suit immédiatement. Trois secondes plus tard des tonnes de débris, des poutrelles d'acier, du verre, du kérosène, du feu, des corps peut-être, dégringolent devant nos yeux médusés. Nous sommes choqués, l'inquiétude se lit sur les visages. Suzanne, d'ascendance irlandaise, a le teint d'un naturel très pâle, transparent, mais là, elle est livide. Jonathan, plus sanguin, exhorte sa collègue au calme pour masquer son propre trouble. Le bâtiment oscille violemment, Jonathan pense qu'il s'agit d'un tremblement de terre. Vingt secondes après l'impact, le bâtiment tangue encore si fort que je dois tenir Suzanne par les épaules pour éviter qu'elle ne tombe. «Ne vous inquiétez pas, c'est sûrement un avion qui s'est écrasé contre le bâtiment.» Je ne mesure pas l'absurdité de ma remarque. Au fond de moi, je me dis que c'est un crétin qui a fait une erreur de pilotage, qui a explosé son avion de tourisme sur le bâtiment. Comme le bombardier qui s'était écrasé en 1945 sur l'Empire State Building: quatorze morts, pas de quoi paniquer. Ce qui est bête, c'est qu'on va perdre plusieurs jours de travail.Jonathan et Suzanne ouvrent la porte d'entrée pour essayer de comprendre, déjà le couloir est enfumé, infesté d'une persistante odeur de kérosène. Ils aperçoivent notre voisine, une rescapée de l'attentat de 1993 qui s'enfuit en courant. Ils ne m'entendent même pas leur dire d'évacuer. Ils ramassent deux ou trois affaires, Suzanne attrape son sac d'une main, son thé et la banane de son petit déjeuner dans l'autre, et ils sont dans le couloir. Moi, je veux absolument faire des sauvegardes informatiques. Et puis j'entends une voix me chuchoter que le capitaine du navire se doit de partir en dernier. Alors je raccroche d'abord les tableaux qui sont tombés. Puis je passe tout en revue, j'éteins toutes les machines, la photocopieuse, le répondeur, la machine à timbres, les éclairages. J'enclenche une sauvegarde et, pendant ce temps, j'éteins les autres ordinateurs…[…]La foule qui descend avec moi est multicolore, bigarrée, à l'image des entreprises installées dans ces tours, à l'image de New York qui attire comme l'aimant une immigration venue de toute la planète. Des gros qui transpirent dans la chaleur étouffante, des petits discrets, des Asiatiques, des Indiens, des Noirs, des Blancs, des Juifs, des Arabes, des accents, tous les accents… On parle, de tout et de rien. De l'évacuation bien sûr, mais que dire? Alors on parle des résultats sportifs ou bien de dossiers en cours. Soudain un grand type en bras de chemise, juste derrière moi, reçoit un message texte sur son portable annonçant l'attaque de la tour n°2. Il avertit ceux qui l'entourent mais personne ne panique, personne ne comprend vraiment. Je lui demande si c'est un attentat, il me répond qu'il «y en a marre de ces mecs, qu'il n'y a qu'à les bombarder et les anéantir». Je comprends sans comprendre, je ne m'inquiète pas, tout cela reste très conceptuel. La preuve? On reprend la descente, lentement mais sûrement, sans panique. C'est pas comme ça un attentat! Un attentat, les gens courent, les bombes explosent! Ça ne peut pas être un attentat.Des collègues descendent ensemble et la journée continue, perturbée certes, mais personne n'imagine que le bâtiment puisse s'écrouler. Pourtant l'odeur de kérosène est entêtante, les tubes de néon le long des murs accusent les traits, l'inquiétude, la lividité de certains. À intervalles réguliers, un hurlement relayé d'étage en étage retentit du haut en bas de la tour. «Priority! Priority!» Un brûlé, l'air hagard, descend tant bien que mal, soutenu par un camarade ou par un inconnu, choqué, cloqué, les vêtements et les cheveux brûlés, l'épiderme mangé par les flammes, des lambeaux de peau sombre se détachant sur la chair à vif. En silence, la longue file se colle contre le mur jaune et détourne pudiquement le regard. Pendant quelques minutes, un silence gêné salue la douleur; les conversations ne reprennent que lentement.